Entretien avec Abdelhamid Amine, vice-président de l’OMDH : “Tant que nous combattons pour les droits humains, l’avenir ne peut être que meilleur”


Propos recueillis par Montassir SAKHI
Samedi 30 Mai 2009

Entretien avec Abdelhamid Amine, vice-président de l’OMDH : “Tant que nous combattons pour les droits humains, l’avenir ne peut être que meilleur”
Ancien détenu
politique, ex-secrétaire général de l’Association
marocaine des droits de l’Homme et actuel vice président de cette ONG,  défenseur des Droits Humains tant au niveau national qu’au niveau maghrébin et international, Abdelhamid Amine, continue son combat pour un Maroc démocratique qui respecte les droits de ses groupes et individus.
Dans cette interview, Abdelhamid Amine revient sur ses
souvenirs de jeune militant. Il retrace son itinéraire et évoque son point de vue sur un nombre de
questions politiques fondamentales telles que les réformes constitutionnelles, la situation des libertés publiques au Maroc, la montée de
l’islamisme.

Pouvez-vous nous donner en résumé un aperçu de votre carrière politique, depuis votre jeune âge jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai accédé très tôt à la politique. Dès l’âge de neuf ans je commençais à m’intéresser de la politique. Cela a coïncidé avec l’exile du roi Mohamed V, c’est-à-dire le 20 Août 1953. Au départ c’était le sentiment patriotique et nationaliste de lutte pour l’indépendance, mais après, je me suis engagé dans le cadre des forces de progrès pour la démocratie politique et socio-économique. J’ai adhéré au début de 1966, encore étudiant à Paris, au parti communiste marocain. Depuis ce jour là je suis resté dans mon engagement communiste même si j’ai quitté ce parti par la suite pour m’engager dans une organisation marxiste léniniste en Août 1970, cette organisation portera le nom d’Ila Al Amam par la suite. A cause de mon engagement au sein de cette organisation, j’ai été arrêté le 29 Mai 1972 et condamné dans le cadre d’un procès en Août 1973 avec 24 autres personnes, j’ai été condamné à 15 ans de prison. C’était la peine maximale à ce moment là. J’ai dû passer 12 années et 03 mois de prison avant de sortir en Août 1984. Alors, j’ai retrouvé mes engagements syndicaux, puisque j’étais un syndicaliste avant d’être arrêté, aussi bien au niveau de l’Union Marocaine de Travail qu’au niveau de l’Union Nationale des Ingénieurs du Maroc dont j’ai participé à la création en 70 et 75. J’ai participé au renouveau de la Fédération Nationale du Secteur Agricole, dont j’étais le premier Secrétaire Général de 1989 jusqu’à 1999. Et parallèlement,  je me suis engagé à l’AMDH en 1987. Et à partir du deuxième congrès de l’AMDH qui s’est tenu en Mars 1989, je suis entré au Bureau central de manière officielle, j’étais d’abord secrétaire général puis vice-président, ensuite président de 2001 jusqu’à 2007, et maintenant je suis de nouveau un des deux vice-présidents de l’association, l’actuelle présidente étant notre camarade Khadija Riyadi.
Je peux rappeler également que j’étais parmi ceux qui ont contribué à la création de la première organisation défendant les droits humains au Maroc, et qui était le Comité National contre les répressions au Maroc, c’était en 1972 suite aux arrestations massives qui ont eu lieu à ce moment. Ce comité a cessé d’exister juste après mon arrestation.

A l’ère actuelle, il y a un affrontement d’idées et d’opinions par rapport à la situation des libertés Publiques au Maroc. Certains croient que les violations en matière des droits Humains font déjà partie du passé, d’autres affirment qu’il n’y a plus de changement. Qu’en pensez-vous ?

Au Maroc, grâce à la lutte des démocrates qui n’ont jamais baissé les bras, et ont combattu pour un Maroc démocratique et de respect des droits humains, il y a eu un certain nombre d’acquis au niveau des droits. A la fin des années 80 et au début des années 90, Hassan II a commencé à lâcher du leste, parce qu’il a compris que la situation mondiale avait changé. On était plus dans un monde bipolaire de guerre froide où les Etats-Unis défendaient coûte-que-coûte leurs alliés. En plus il y avait une lutte interne pour les droits humains. Donc la situation a commencé à changer dans notre pays. Mais, comme nous le disons toujours au sein de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme, les acquis sont encore partiels et fragiles. Partiels parce que cela concernait principalement le domaine des libertés publiques, car il y a eu le relâchement de la plupart des détenus politiques, il y a eu également la réapparition d’un certains nombre des disparus ainsi que le retour de plusieurs exilés. On constate aussi qu’il y a un changement apparent au niveau de la liberté de la presse malgré le faite qu’il y a toujours l’existence des lignes rouges et qu’on ne peut toucher à des domaines qu’avec beaucoup de précaution et d’autocensure.
Ces acquis sont aussi fragiles, et cela pour deux raisons essentielles. Premièrement, nous n’avons pas pu avoir les fondements constitutionnels de ces acquis. On a toujours la même constitution au Maroc de 1962, qui ne diffère pas beaucoup de celles de 1970, 1972, 1996 et de 1996. Peut-être qu’il y a quelques différences d’une constitution à l’autre, mais dans le fond c’est toujours une constitution qui n’est pas démocratique, qui constitutionnalise le pouvoir absolu, et où le roi a la part du lion au niveau des pouvoirs exécutif, législatif, juridique et religieux, à cause, notamment du fameux article 19 de la constitution. Donc nous n’avons pas les assises constitutionnelles d’un véritable pouvoir démocratique qui respecte les droits de l’Homme.
Deuxièmement, nous n’avons pas une économie qui peut permettre le respect des droits économiques, sociaux et culturels qui sont les droits fondamentaux pour la majorité écrasante des populations marocaines. Et bien sûr, quand on n’avance pas au niveau des droits sociaux et économiques, et qu’on avance seulement sur le plan des droits politiques, il y a toujours une menace pour reculer politiquement.

Vous avez évoqué la question des réformes constitutionnelles, quelle est la position de l’AMDH vis-à-vis de ces réformes ?

La gauche gouvernementale, je ne dirais pas a abondonné, mais a gelé le combat pour une constitution démocratique, ou au moins pour de simples réformes. A l’AMDH, nous demandons une réforme totale de la constitution. Faute de temps on ne peut pas parler des caractéristiques fondamentales de la constitution démocratique que nous préconisons.

Aujourd’hui, devant la régression des forces, que vous appelez, Forces de progrès, on assiste à une montée apparente des mouvements islamistes. Pourquoi le recul de la gauche face à ces mouvements ?

Il faut signaler tout d’abord que la nature a horreur du vide. Etant donné que la gauche ne joue pas son rôle, c’est-à-dire le combat pour la démocratie, et les revendications socio-économiques et culturelles du peuple marocain. C’est normal donc que ce peuple ne va pas se reconnaître dans cette gauche, et il se dirige vers d’autres courants tel que le mouvement islamiste. Mais, je crois qu’il ne s’agit que d’une illusion. Pour nous, ce mouvement est incapable de répondre aux aspirations populaires, que cela soit au niveau de la démocratie, puisqu’il ne se réclame pas de la démocratie et du système démocratique, et aussi au niveau des revendications sociales et économiques puisqu’il n’a pas de projet sociétal qui diffère de celui en vigueur actuellement. Donc si les gens se dirigent vers ce mouvement, cela ne peut être que provisoire. Et quand la gauche retrouvera son rôle, et quand les démocrates reprendront le flambeau de la démocratie, je pense que la majorité du peuple marocain se regroupera de nouveau autour de la gauche.

En marge d’un séminaire organisé par le comité préparatoire du Forum Social Maghrébin, une nouvelle organisation de défense des Droits humain au niveau du Maghreb a vu le jour.. Que pourriez-vous nous dire de la Coordination Magrébine des Organisations des Droits dont vous êtes le coordinateur?

A l’AMDH, nous avons pris l’initiative de la création de cette Coordination Maghrébine des Organisations des Droits Humains. D’ailleurs, elle a été créée au Maroc en marge d’un séminaire sur les Droits Humains dans les pays maghrébin le 30 Mars 2009. L’objectif est celui d’unir les forces des ONG des Droits Humains maghrébins. Jusqu’à présent, nous avons réussi à mettre toutes les organisations importantes de défense des droits dans cette coordination. Maintenant, cette organisation a beaucoup d’amis et d’ennemis qui essayent de freiner  et d’entraver notre activité. Malgré ces difficultés, nous espérons garder l’unité des défenseurs des droits de l’Homme au niveau du Maghreb. Evidemment il y a eu une première tentative visant à unifier les rangs de militants pour les droits humains, c’était en fin 1989 avec la création de l’Union du Maghreb Arabe, mais comme cela a été créé dans le siège d’une structure officielle, dès que l’U.M.A a commencé à connaître des problèmes, cette expérience a disparu. Et, je crois que nous avons su tirer des conclusions de cette initiative officielle ; d’abord, il faut être indépendant, et être souple sur le plan de la structure organisationnelle. D’ailleurs, c’est pour cette dernière raison que nous utilisons le mot « Coordination » au lieu d’Association ou Organisation.
Donc comme je viens de le mentionner, notre objectif reste celui d’améliorer la situation des droits humains dans les Etats Maghrébins, et la défense des défenseurs des droits humains eux-mêmes, car ils sont souvent soumis à beaucoup de pression et parfois de la répression de la part des rouages étatiques. Et pour illustrer, je citerai l’exemple de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits Humains qui sont empêcher de tenir leur congrès en Tunisie ; il y a également le Conseil National pour les Libertés n’est pas reconnu dans le même pays ; la ligue Libyenne des Droits de l’Homme est obligée d’avoir leur siège en Suisse parce qu’elle n’est pas reconnue par l’Etat Libyenne… Donc il y a beaucoup de difficultés qui entravent l’action de ces ONG. Nous avons besoin de beaucoup de courage et de sagesse pour pouvoir imposer le travail et les revendications de la CMODH.

Sur le plan international cette fois-ci, comment l’AMDH a perçu les récentes violations des Droits Humains au Proche-Orient ?

Je crois que nous avons assisté cette année à des événements abominables, ce que vient de commettre Israël est affreux. Il s’agit de crime de guerre et d’extermination massive contre l’Humanité. On se pose aujourd’hui la question sur le rôle de la cours pénale international ainsi que le Conseil de Sécurité. Mais, ce qui est évident, c’est que l’Israël n’a pas adhéré à la cours Pénale, et il faut signaler que le Conseil de Sécurité est dominé par les Etats-Unis, ce qui permet l’impunité d’Israël.
Dans ce cas là, il faut que tout le monde comprenne que nous n’avons pas aujourd’hui affaire à Israël, mais il s’agit bien des Etats-Unis. Si les Etats-Unis lève la main sur Israël pendant 24 heures, il n y aura plus d’Israël.
Donc, nous devrions combattre l’impérialisme américain qui représente un véritable soutien de cette injustice totale.

Comment voyez-vous l’avenir des Droits Humains au Maroc, ainsi que celui de l’AMDH ?

Je suis un militant. Ce dernier est toujours optimiste, si non il ne peut pas lutter et militer pour le changement. Et tant que nous combattons pour les droits Humains, l’avenir ne peut être que meilleur qu’actuellement. Mais si le combat se relâche, on ne pourra que régresser dans ce domaine.
Pour ce qui est de l’Association Marocaine des Droits Humains, il s’agit bien d’une organisation très forte actuellement. Nous avons 76 sections, et nous aurons en mois de juillet environ 88 sections. Nous avons environ 10 000 membres et nous comptons nous développer davantage dans l’avenir, aussi bien quantitativement que qualitativement. Ce développement se réalisera par un apport de toutes les forces vivantes et en particulier les jeunes et les femmes et les intellectuels.



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