En bombardant l'Iran, Donald Trump fait le pari hasardeux de la force


Libé
Lundi 23 Juin 2025

En donnant l'ordre de bombarder des sites nucléaires iraniens, Donald Trump a fait le pari de la force plutôt que celui de la diplomatie, un virage stratégique de Washington face à Téhéran aux conséquences difficiles à mesurer pour les experts.

Le président américain a ainsi fait basculer près d'un demi-siècle d'antagonisme entre les Etats-Unis et la République islamique en un conflit ouvert, avec les encouragements d'Israël, alors que Washington avait au cours des dernières décennies privilégié - parfois à contrecœur - la diplomatie.

"Nous ne saurons si (ce pari) est réussi que si, d'ici trois à cinq ans, le régime iranien n'a pas acquis les armes nucléaires qu'il a maintenant de bonnes raisons de vouloir obtenir", déclare Kenneth Pollack, vice-président du Middle East Institute et lui-même ancien analyste de la CIA.

Les renseignements américains n'ont pas conclu que l'Iran construisait une bombe nucléaire. Les travaux sur l'atome de Téhéran étaient largement considérés comme un moyen de pression, et il est probable que l'Iran avait pris des précautions en prévision d'éventuelles frappes.

Mais pour Trita Parsi, un critique de l'action militaire, avec la décision de bombarder de M. Trump, "il est maintenant plus probable que l'Iran devienne un Etat doté d'armes nucléaires dans les cinq à dix ans".

"Nous devrions faire attention à ne pas confondre le succès tactique et le succès stratégique", ajoute M. Parsi, vice-président exécutif de l'Institut Quincy pour une politique d'Etat responsable.

"La guerre en Irak a également été un succès dans les premières semaines, mais la proclamation par le président Bush d'une 'Mission accomplie' a fait long feu", a-t-il rappelé.
La décision d'attaquer de M. Trump - plus d'une semaine après qu'Israël a lancé une importante campagne militaire - est survenue alors que le régime iranien est le plus affaibli depuis la révolution islamique de 1979.

Depuis l'attaque du 7 octobre 2023 contre Israël par le Hamas, qui bénéficie du soutien de l'Iran, Israël a non seulement détruit une grande partie de Gaza mais aussi décimé le Hezbollah, qui frappait son territoire depuis le Liban pour le compte de Téhéran.
Par ailleurs, le principal allié de l'Iran parmi les dirigeants arabes, le président syrien Bachar al-Assad, a été renversé en décembre 2024.
Les partisans de l'attaque de M. Trump font, eux, valoir que la diplomatie ne fonctionnait pas puisque l'Iran est resté inflexible sur son droit d'enrichir de l'uranium.

"Contrairement à ce que certains diront dans les jours à venir, l'administration américaine n'a pas précipité la guerre. En fait, elle a donné à la diplomatie une chance réelle", assure Ted Deutch, ancien membre démocrate du Congrès qui dirige désormais l'American Jewish Committee.

"Le régime iranien meurtrier a refusé de conclure un accord", a-t-il ajouté.
Un avis que partage le sénateur républicain John Thune qui, en rappelant les menaces de Téhéran contre Israël et les propos iraniens contre les Etats-Unis, affirme que l'Iran avait "rejeté toutes les voies diplomatiques vers la paix".

L'attaque ordonnée par Donald Trump survient presque une décennie après que l'ancien président Barack Obama a scellé un accord aux termes duquel l'Iran a considérablement réduit ses activités nucléaires - et dont M. Trump s'est retiré en 2018, au début de son premier mandat.

La majorité du Parti républicain de Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui considère l'Iran comme une menace existentielle, avaient critiqué l'accord sur le nucléaire iranien parce qu'il permettait, selon eux, à Téhéran d'enrichir de l'uranium à des niveaux susceptibles de permettre la production d'armes nucléaires et que les clauses essentielles avaient une date limite d'application.

Mais le président américain, se présentant comme un faiseur de paix, avait déclaré, il y a seulement un mois, lors d'une visite dans les monarchies arabes du Golfe, qu'il espérait parvenir à un nouvel accord avec l'Iran, et que son administration préparait de nouvelles négociations.
Puis Benjamin Netanyahu a attaqué l'Iran, provoquant un revirement abrupt de Donald Trump.

"La décision de Trump de mettre abruptement fin à ses propres efforts diplomatiques rendra également beaucoup plus difficile la conclusion d'un accord à moyen et long terme", estime Jennifer Kavanagh, directrice de l'analyse militaire chez Defense Priorities, qui prône la retenue.

"L'Iran n'a désormais aucune raison de faire confiance à Trump ou de croire que conclure un compromis favoriserait les intérêts de la République islamique", ajoute-t-elle.
Les dirigeants religieux iraniens font également face à une forte opposition interne. D'importantes manifestations ont éclaté en 2022 après la mort en détention de Mahsa Amini, une jeune Iranienne arrêtée pour avoir mal ajusté son voile.

Pour Karim Sadjadpour, de la Carnegie Endowment for International Peace, les frappes américaines pourraient soit renforcer la République islamique, soit accélérer sa chute.

"Le bombardement par les Etats-Unis des installations nucléaires de l'Iran est un événement sans précédent qui pourrait s'avérer transformateur pour l'Iran, le Moyen-Orient, la politique étrangère des Etats-Unis, la non-prolifération mondiale et potentiellement même l'ordre mondial", a-t-il écrit sur les réseaux sociaux.
"Son impact se fera sentir pendant les décennies à venir".

Les principales réactions

Voici les premières réactions internationales à l'attaque américaine contre plusieurs sites nucléaires iraniens dimanche, par laquelle les Etats-Unis ont rejoint Israël dans sa guerre contre la République islamique:

-"Les événements de ce matin sont scandaleux et auront des conséquences éternelles", a averti le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi, dénonçant le "comportement extrêmement dangereux, anarchique et criminel" des Etats-Unis. "L'Iran se réserve toutes les options pour défendre sa souveraineté, ses intérêts et son peuple", a-t-il ajouté.
 
-L'Organisation de l'énergie atomique iranienne a pour sa part dénoncé "un acte barbare qui viole le droit international", et affirmé que "malgré les complots maléfiques de ses ennemis", l'Iran "ne laissera pas le chemin du développement" de son industrie nucléaire "être arrêté".
 
-"Votre décision audacieuse de viser les installations nucléaires de l'Iran avec la puissance impressionnante et juste des États-Unis changera l'Histoire", a déclaré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans un message vidéo de remerciements à Donald Trump.
 
-"C'est une dangereuse escalade dans une région déjà sur la corde raide - et une menace directe à la paix et à la sécurité dans le monde", a estimé le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres.
 
-La cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, Kaja Kallas, a appelé "toutes les parties à faire un pas en arrière, à revenir à la table des négociations et à éviter toute escalade supplémentaire", sur X. Elle ajouté que l'Iran ne devait pas développer l'arme nucléaire et que les ministres des affaires étrangères de l'UE discuteraient de la situation lundi.
 
-Le Premier ministre britannique Keir Starmer a appelé l'Iran à "revenir à la table des négociations". "L'Iran ne doit jamais être autorisé à développer une arme nucléaire et les Etats-Unis ont pris des mesures pour atténuer cette menace", a déclaré M. Starmer sur X, soulignant que "la stabilité dans la région est une priorité".
 
-L'Arabie saoudite "suit avec une grande préoccupation les développements en République islamique d'Iran, avec le ciblage des installations nucléaires iraniennes par les Etats-Unis", a affirmé le ministère saoudien des Affaires étrangères.
 
-Oman, qui joue le rôle de médiateur entre les Etats-Unis et l'Iran dans les discussions sur le nucléaire, a condamné "cette agression illégale" et appelle à "une désescalade immédiate", a affirmé un porte-parole du ministère omanais des Affaires étrangères. Il a ajouté que "l'action entreprise par les Etats-Unis menace d'élargir l'étendue de la guerre et constitue une violation grave du droit international".
 
-Le Qatar, qui joue le rôle de médiateur entre Israël et le Hamas dans la guerre à Gaza, a mis en garde dimanche contre des "conséquences catastrophiques". "L'escalade dangereuse actuelle dans la région peut entraîner des conséquences catastrophiques tant au niveau régional qu'international", a affirmé le ministère qatari des Affaires étrangères, appelant "toutes les parties à faire preuve de sagesse, de retenue et à éviter toute nouvelle escalade".
 
-Le gouvernement irakien a condamné les frappes américaines, y voyant une "escalade militaire" qui "menace la sécurité et la paix au Moyen-Orient" et "met gravement en péril la stabilité régionale". "Les solutions militaires ne peuvent se substituer au dialogue et à la diplomatie", a plaidé le porte-parole du gouvernement Bassem Alawadi précisant que la poursuite des frappes "conduirait à une escalade dangereuse dont les répercussions dépasseront les frontières de tout Etat". 
 
-Le Pakistan, seule puissance nucléaire du monde musulman et allié des Etats-Unis, a condamné les frappes américaines. "Nous réitérons que ces attaques violent toutes les normes du droit international et que l'Iran a le droit légitime de se défendre en vertu de la Charte des Nations unies", a déclaré le ministère des Affaires étrangères.
 
-Le chancelier allemand Friedrich Merz a "réitéré son appel à l'Iran pour qu'il entame immédiatement des négociations avec les Etats-Unis et Israël afin de parvenir à une solution diplomatique au conflit".
 
-L'escalade militaire au Moyen-Orient risque de déclencher une "guerre aux conséquences irréversibles", a déclaré dimanche la présidente du Comité international de la Croix-Rouge Mirjana Spoljaric.
 
-Les rebelles houthis du Yémen, soutenus par l'Iran, ont dit considérer les frappes américaines comme "une déclaration de guerre" contre le peuple iranien ajoutant être prêts "à cibler les navires et les bâtiments américains en mer Rouge".
 
-"Nous condamnons cette agression criminelle", a écrit sur Telegram le mouvement islamiste palestinien Hamas, allié de l'Iran et engagé depuis 20 mois dans une guerre avec Israël dans la bande de Gaza. "Nous la considérons comme un exemple flagrant de la politique d'imposition de l'hégémonie par la force, une agression basée sur la loi de la jungle, et une violation de toutes les normes et conventions internationales".


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