El Moussaoui El-Ajlaoui: Le Maroc est à même de jouer un rôle de premier plan pour conforter la stabilité en Afrique du Nord et de l’Ouest


Propos recueillis par Abdelhaq Rihani*
Mardi 25 Février 2014

El Moussaoui El-Ajlaoui: Le Maroc est à même de jouer un rôle de premier plan pour conforter  la stabilité en Afrique du Nord et de l’Ouest
Membre de 
l’Institut 
de recherches 
africaines 
à l’Université 
Mohammed V Agdal et spécialiste 
en Histoire des sciences et 
techniques dans l’espace saharien, El Moussaoui 
Al-Ajlaoui parle dans cet entretien accordé à notre alter ego Al Ittihad Al Ichtiraki des 
enjeux politiques 
et diplomatiques 
de l’actuelle 
tournée de S.M. 
le Roi dans 
certains pays 
du Continent noir. 
 
Libé : S.M le Roi entame actuellement une visite dans certains pays africains. Que pensez-vous de cette visite et quelles en sont les dimensions diplomatiques et politiques ?
 
Moussaoui El Ajlaoui : La visite Royale s’inscrit dans une stratégie  entamée depuis le début de ce siècle et qui est en progression.  Elle est basée sur la coopération économique dans les secteurs à forte demande  comme les transports notamment aériens, les mines et la pharmacie. 
Cette coopération qui a mis l’accent sur la logique du win-win sert d’exemple pour une coopération Sud-Sud fortement réclamée par les Nations unies comme voie de développement et qui prend le contre-pied des multinationales qui veulent imposer leur propre logique au continent africain. Mieux, cette forme de coopération a permis de sauver certaines sociétés locales sur le point de déclarer faillite comme ce fut le cas pour la compagnie aérienne sénégalaise. 
La diplomatie Royale se base sur des fondements et des orientations à long terme. Reflétant le dynamisme marocain en Afrique subsaharienne, elle est encouragée par un contexte mondial marqué par la crise financière et économique dans laquelle sombre l’Europe. Cette situation qui a permis au Maroc de s’ériger comme une locomotive du moins au niveau des  économies africaines francophones, induit un positionnement qui aura des effets positifs sur l’économie européenne fortement rattachée à celle du Royaume marocain. Le fait que l’Afrique regorge de richesses minières estimées à 46.000 milliards de dollars utilisées dans les communications, l’espace, la médecine et autres explique l’intérêt affiché  par l’ensemble des pays à ce continent.   C’est le cas de la Chine, de l’Europe et du Japon qui organisent souvent des colloques. A noter que les Etats-Unis organiseront au cours de l’été prochain un sommet  afro-américain.  D’autres pays tentent de s’installer dans la région via des investissements financiers et techniques comme c’est le cas pour la Corée du Sud, le Brésil, la Turquie et l’Iran. Il semble donc que le continent africain se soit transformé en zone attractive de dimension mondiale. Et c’est dans ce contexte que le Maroc a pris position sur les plans politique et diplomatique et sa réussite dans ce domine est due à son statut de pays africain lié au reste du continent par des relations historiques, religieuses et d’intérêts communs.

La visite Royale au Mali est la deuxième en moins de cinq mois.  Comment voyez-vous l’avenir  des relations avec ce pays ?
 
La première et la deuxième visites royales au Mali ont un goût spécial  non pas parce qu’elles constituent un exemple de coopération Sud-Sud  mais parce qu’elles ont permis à un Etat musulman de venir au secours de son voisin même s’il ne partage pas de frontières terrestres avec lui. S.M le Roi Mohammed VI a déclaré dans son discours d’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta à la magistrature suprême du Mali, que le rôle du Maroc vise la construction et non la démolition. Le Royaume partage avec le Mali une histoire qui remonte jusqu’au 13ème siècle. Plusieurs familles marocaines de Guelmim, Lahmada, Fès et de Marrakech ont émigré vers le Mali. Les noms marocains d’El Amrani, Ben Barka, Boularaf, Zine, Idrissi et d’autres sont connus dans la région allant de Bamako à Tombouctou. La manière avec laquelle la délégation du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a salué le Souverain comporte plusieurs significations.   La prière aux côtés du Roi démontre également que les Maliens voient en lui non seulement une personnalité politique de premier plan et un chef d’Etat mais aussi Amir Al Mouminine. Un pouvoir que seul le Royaume détient. Le respect dû au Roi n’a rien d’artificiel mais découle d’un sentiment envers le Maroc et ses institutions largement partagé au sein des milieux intellectuels et autres et qui dépasse les frontières du Mali pour atteindre d’autres pays qui appellent le Souverain « Sidna » dont le sens historique n’est pas à démontrer.  A ce propos, les demandes d’aide émanant de plusieurs pays africains notamment la Libye et la Tunisie pour l’encadrement et la gestion de champs religieux démontrent la place du Maroc comme base de l’Islam basé sur le rite sunnite malékite et la pensée soufie. Le Royaume participe à la reconstruction des institutions et les conventions signées entre les deux pays au cours de la deuxième visite Royale dans le secteur de l’économie sociale toucheront le quotidien du citoyen malien à condition qu’elles soient appliquées dans le cadre d’une bonne gouvernance. 
 
Quel rôle le Maroc peut-il jouer dans la réconciliation malo-malienne ?
 
La réconciliation nationale au Mali est la voie vers la sécurité. Mais, beaucoup de déclarations, de communiqués  et de querelles laissent penser qu’il y a un grand fossé entre le Nord et le Sud, entre les Touaregs et les Arabes d’une part et les Bambara d’autre part, malgré le mélange racial. En effet, la carte ethnique joue un rôle important dans les alliances politiques et autres. Beaucoup d’habitants du Sud n’ont pas oublié comment le MNLA a été instrumentalisé par le mouvement Ansar Eddine et les mouvements jihadistes  pour séparer  le Nord du Mali du reste du pays et le dénommer Azaouad du  nom d’une région proche de Tambouctou.
La réconciliation malienne a commencé à Ouagadougou. Une commission a été créée dans ce sens mais elle a été rapidement enterrée pour voir émerger un ministère de la Réconciliation nationale et la Promotion du Nord sous la direction de Chiekh Ahmadou Diyara qui j’ai rencontré au Maroc en 2013 et avec qui  j’ai parlé de la réconciliation comme moyen de transition politique et à qui j’ai dit que la justice transitionnelle demeure la seule voie  pour construire le nouveau Mali.  Des propos que mon interlocuteur a partagés tout en estimant  que les responsables de la crise de 2013  doivent rendre des comptes. 
Un colloque organisé en décembre 2013 à Bamako sur la question sécuritaire au Sahara, a  révélé l’importance du travail qui attend la communauté internationale  et les pays de la région pour instaurer une vraie réconciliation. Le rôle du Maroc dans cette entreprise peut passer par la société civile et les institutions des droits de l’Homme. En effet, notre pays a expérimenté la réconciliation et plusieurs instances de dialogue. 
Avec les derniers développements dans la région du Sahel et du Sahara, la régression du rôle de l’Algérie et du Burkina Faso  et  les préparatifs en cours pour la tenue d’un sommet des pays de la région, le Royaume peut jouer un rôle positif dans le processus de discussions entre les Maliens. Ce qui explique la demande faite par le président IBK à S.M Roi Mohammed VI de jouer un rôle au cours de cette phase historique importante. Et c’est dans ce sens que le Souverain a accueilli la délégation du MNLA, sachant que notre pays garde de bonnes relations avec l’ensemble des parties en conflit au  Mali et le communiqué du ministère des Affaires étrangères français sur la deuxième visite Royale met l’accent sur ce rôle. Pourtant, aucune tentative de réconciliation ne peut aboutir si l’on ne prend pas compte des véritables causes de la crise qui secoue le Nord Mali depuis 1963. Seule l’intégration du Nord dans les efforts politiques, économiques et sociaux déployés dans le cadre de la reconstruction d’un nouvel Etat est à même de préserver la société malienne des crises répétitives.    
Toutefois, si la médiation marocaine peut faire avancer le processus de réconciliation, ce sera un gain stratégique pour le Maroc et un exemple à suivre dans la gestion et la résolution des conflits. Mieux, elle aura des effets positifs sur le dossier du Sahara.
Mais il faut garder à l’esprit que les choses ne se présentent pas si facilement tant que l’Algérie considère l’intervention marocaine dans le dossier malien et sa présence religieuse en Tunis et en Libye comme une tentative de l’assiéger. Notamment dans un contexte marqué par le conflit entre la présidence et l’appareil de renseignements. A noter que l’Europe veut que le Maroc joue un rôle régional en prévision de ce qui pourrait advenir en Algérie au cas où les forces détentrices du pouvoir n’arriveraient pas à s’entendre.

Est-ce que le Maroc peut constituer un centre de gravité pour la coopération relative aux dossiers des frontières, du terrorisme, de la contrebande, du trafic de drogue et de l’immigration irrégulière ?  
 
Grâce à sa position géostratégique, le Maroc peut jouer un rôle de premier plan dans la stabilité de l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Lors d’un congrès international tenu en 2013 à Rabat sur la sécurité des frontières, plusieurs recommandations ont confié au Maroc la responsabilité de leur mise en œuvre. Donc, il y a une reconnaissance internationale du rôle du Royaume dans la garantie de la stabilité d’une région qui connaît une recrudescence du crime transnational et la multiplication des groupes jihadistes.  

Comment évaluez-vous la position des pays africains dans l’affaire du Sahara notamment avec les derniers développements de l’actualité internationale ?
  
Au sein de l’Union africaine, seuls 11 pays reconnaissent la RASD et plus de 15 pays ont retiré ou gelé leur reconnaissance et c’est là que  réside le mal qui ronge l’UA. Laquelle est dominée par l’Afrique du Sud qui demeure incapable de résoudre les problèmes de ce continent.  Ce pays excelle dans l’instrumentalisation du dossier du Sahara et attise le conflit maroco-algérien afin de mettre la main sur les richesses de l’Afrique. En effet, le parti au gouvernement en Afrique du Sud n’est que la façade des sociétés multinationales spécialisées dans l’extraction de l’or, des diamants et des métaux précieux notamment dans les pays anglophones. Ce qui explique que les 11 pays qui reconnaissent la RASD sont d’abord des pays anglophones et considèrent que le Maroc est un vrai concurrent et un allié de la France que l’Afrique du Sud essaie de chasser du paradis des richesses pétrolières, gazières et des métaux précieux qu’est le Congo Kinshasa. 
L’Afrique du Sud instrumentalise le conflit du Sahara et ne veut pas d’une entente maroco-algérienne. Un jeu qu’elle reproduit  au niveau de la région du Sahel et du Sahara afin de barrer la route à la France et de conquérir, par la même, des centres de pouvoir dans l’Est et le Centre de contient.  C’est dans ce cadre qu’il faut analyser la position des pays africains concernant le dossier du Sahara.

Comment jugez-vous l’interdiction par l’Algérie aux représentants du Maroc d’assister aux travaux du Forum international sur la sécurité et le terrorisme ? Et pensez-vous que l’Algérie va rester les bras croisés face à l’offensive diplomatique marocaine en Afrique ?
 
L’Algérie base son discours politique et propagandiste sur la phobie marocaine et française. Deux pays qui menacent sa révolution. C’est un discours passéiste destiné à dévier le regard sur la réalité actuelle du pays  marquée par des contradictions énormes entre les besoins des citoyens et la richesse démesurée de l’Etat qui possède une réserve en devises étrangères estimées à  200 milliards de dollars.   
 L’affaire de la Sonatrach a ravivé le conflit entre la présidence et les renseignements et a débouché sur un remaniement ministériel avec Ramtan Lamamra comme ministre des Affaires étrangères. Un choix qui n’a rien d’opportun et qui signifie qu’il y a eu exploitation de la question marocaine dans les surenchères politiques algériennes.  Ce qui explique le message de Bouteflika aux cinq ONG des droits de l’Homme rassemblées à Abuja au Niger, l’instrumentalisation de l’affaire du consulat algérien de Casablanca, la fermeture des frontières et l’expulsion des réfugiés africains et syriens vers le Maroc. Une politique qui va certainement perdurer tant que rien n’a été tranché au niveau des centres de décision. Pis, les provocations risquent  de se multiplier dans un avenir proche afin de servir un agenda et des lobbies au sein de ces mêmes centres du pouvoir.    

*Traduction : Hassan Bentaleb
 
 
 


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