Défi sociétal de transmission des valeurs nobles

Ce que la mort du professeur Hajar murmure


Abderrazak Hamzaoui
Vendredi 18 Avril 2025

Défi sociétal de transmission des valeurs nobles
Le fracas silencieux : ce que la mort d'un professeur nous murmure : Un matin, une hache s’est levée à l’extérieur d’une salle de classe à Erfoud. Non pas sur du bois, mais sur une vie.
Une professeure de formation professionnelle, fauchée par la main de celui qu’elle devait éclairer. A Fquih Ben Salah, un autre professeur, cette fois de mathématiques, a été transporté d’urgence à l’hôpital, blessé, par un élève. A Khémisset, un jeune condamné à six mois pour avoir tenté de tuer son enseignant.

Ces histoires ne sont malheureusement pas des cas isolés. Elles se répètent, elles s’additionnent, et finissent par former une fresque inquiétante. Une onde de choc que certains veulent encore traiter comme des incidents. Mais il y a des silences plus assourdissants que les cris. Car au fond, il ne s’agit pas seulement de justice à rendre, ou de discipline à imposer. Ce ne sont pas des coupables qu’il faut chercher, mais un miroir qu’il faut oser regarder. Ces actes sont des signaux. Des symptômes. Le cri muet d’un système à bout de souffle.

L’approche systémique nous l’enseigne. Pour comprendre un phénomène, il faut descendre. Creuser sous les événements. Lire les tendances. Débusquer les structures invisibles. Et au cœur de ces structures, il y a ce qui guide nos gestes à notre insu : nos croyances. Nos valeurs. Ce tissu mental qui forge une société. Et là, le constat est là. Notre société souffre non pas d’un excès de violence, mais d’un déficit de sens. Les valeurs nobles — respect, patience, écoute, transmission — ne sont plus les piliers. Elles sont devenues des souvenirs. Peut-être est-il temps de les réapprendre. Il faudrait chercher non pas à punir, mais à semer. Replanter dans nos écoles, dans nos foyers, dans nos récits communs ce qui faisait de nous des humains debout. Car sans ces racines, le fruit sera toujours amer.

Tout le monde hoche la tête. Le mal est connu, le constat est partagé. Mais une question persiste, têtue, essentielle: comment fait-on renaître les valeurs quand elles ont déserté les cœurs? C’est là que commence le vrai chantier. Non dans la désignation du coupable, ni dans l’énième débat sur ce qu’il faudrait croire ou interdire. Mais dans le comment. Ce mot discret, mais fondateur. Un des piliers de la programmation neurolinguistique nous y invite : cessons de nous égarer dans le «quoi» ou le «qui». C’est le chemin, pas la cible, qui mérite qu’on y dépose notre énergie.

L’histoire de l’humanité nous a livré ses grands bâtisseurs de sens : la religion, la science, la philosophie… et l’art. Mais aujourd’hui, les premières vacillent. Les religions s’entrechoquent dans des clameurs confuses, peinant à offrir une boussole commune. La science, elle, avance, trébuche, se remet en cause, et c’est là toute sa force… mais aussi son talon d’Achille face à ceux qui cherchent des vérités figées. Quant à la philosophie… Qui, sans y être contraint par un programme scolaire, ose encore plonger dans Spinoza, Nietzsche, Ibn Arabi, Aristote ou Platon ? La pensée, aujourd’hui, est souvent jugée trop lente pour notre époque pressée.
Reste l’art. Reste la parole. Reste l’histoire.

Pas celle des manuels, mais celle des petites histoires. Celles qui se glissent dans l’oreille et réveillent l’âme. Celles qu’on écoutait, enfants, assis au bord d’un tapis, les yeux grands ouverts face à la voix d’une grand-mère qui savait, elle, transmettre les grandes leçons sans lever le ton.

Qui a oublié Kalila wa Dimna, ces fables persanes d’Ibn al-Muqaffa’? Qui n’a jamais souri ou réfléchi en lisant les fables La Fontaine ? Ces histoires-là ne sont pas anodines. Elles sculptent les consciences, doucement, mais durablement.  Si notre époque peine à trouver du sens, c’est peut-être qu’elle a cessé de raconter. Alors, pour bâtir des valeurs durables, peut-être faut-il recommencer à tisser des récits. Des récits qui élèvent sans assommer, qui éveillent sans sermonner. Des histoires simples… mais puissantes. Parce qu’un peuple qui cesse de raconter cesse aussi d’espérer.

Il y a dans l’air comme un frémissement. Une mémoire qui se réveille. On assiste, sans tambour ni trompette, au retour du récit. Non pas comme simple distraction, mais comme outil, comme levier, comme art de gouverner l’invisible. L’histoire — celle que l’on raconte, pas celle que l’on date — regagne du terrain. Dans les sphères du leadership, dans les mutations du changement, dans l’engagement des parties prenantes, dans le marketing, dans l’éducation… Elle n’est plus un supplément d’âme. Elle devient langue de stratégie.

Et cela dit beaucoup de notre époque. Nous avons compris, ou plutôt retrouvé, que là où les chiffres échouent, les histoires touchent. Là où les plans s’effondrent, les récits mobilisent. C’est pourquoi les compétences en storytelling, aujourd’hui, ne cessent de croître. Elles se raffinent, s’affinent, s’enseignent même dans les écoles les plus sérieuses.

Mais une question demeure: qu’allons-nous faire de ce pouvoir ? Car au-delà des ventes et des likes, il reste un trésor à réinvestir: la transmission des valeurs. Pas à coups de grands discours ou de dogmes figés. Mais à travers ces petites histoires, celles qui tiennent en quelques centaines de mots, qui se lisent en quelques minutes, mais qui restent des années dans le cœur. Des récits brefs, mais profonds. Des mots simples, mais porteurs de noblesse. Des scènes du quotidien, mais habitées par l’écho de ce qui élève.
Il s’agit d’enraciner le sens dans le souffle court du moment, comme on plante une graine dans une terre qu’on croit stérile. Et si demain, nos enfants retrouvaient le goût du bien à travers une histoire ?

Créer des histoires, oui. Des histoires qui portent du sens, qui murmurent des valeurs oubliées, qui réveillent ce qu’il y a de plus noble en nous. Mais cela ne suffit pas. Une graine, aussi rare soit-elle, ne devient pas arbre sans l’eau, la lumière,  l’espace pour croître. De même, une histoire — même chargée de vérité — a besoin de terreau pour exister. Elle doit être enseignée, portée, relayée, et non pas laissée au hasard comme un mot lancé dans le vent.

C’est là que tout commence : Dans les salles de classe, où les récits devraient redevenir des outils de construction intérieure. Dans les médias, trop souvent saturés de vacarme, où une histoire juste pourrait créer du silence fertile. Et surtout, dans cette agora moderne que sont les réseaux sociaux, où les influenceurs peuvent être plus que des vitrines : des passeurs de sens.

Et sans oublier les personnes publiques qui les incarnent car une valeur ne se transmet pas uniquement en l’affirmant. Elle se diffuse par l’exemple. Elle s’incarne dans les mots qu’on choisit, les récits qu’on élève, les regards qu’on change et les actions qu’on fait. Ce n’est donc pas seulement une question de raconter. C’est une question de cultiver. Et de créer, ensemble, un climat où les histoires vraies ont enfin une chance de fleurir. Autrement nous tendons droit vers des monstres.

Abderrazak Hamzaoui
hamzaoui@hama-co.net


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