Dans un entretien accordé au quotidien “Le Matin” : Mohamed Elyazghi : “Aucune réforme ne peut se faire sans un accord entre les forces démocratiques et l'institution monarchique”


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Mardi 7 Avril 2009

Dans un entretien accordé au quotidien “Le Matin” : Mohamed Elyazghi : “Aucune réforme ne peut se faire sans un accord entre les forces démocratiques et l'institution monarchique”
Notre confrère « Le Matin» a publié dans son édition
du lundi 6 avril courant, une interview de Mohamed Elyazghi dans laquelle
ce dernier a recadré
la participation 
de l'USFP au gouvernement.
Voici le texte intégral
de cet entretien :

Question : Plusieurs divergences ont émaillé récemment la solidarité gouvernementale, la dernière en date étant celle relative à la retenue des salaires des grévistes. Quelle distance l'USFP peut-elle avoir avec cette nécessaire solidarité d'un côté et le respect des valeurs et les références du parti ?

Mohamed Elyazghi: Dans les pays démocratiques, lorsqu'un ou deux partis ont la majorité absolue, il n'y a aucun problème. Mais lorsqu'il y a un gouvernement de coalition de trois ou quatre partis, la participation est le plus souvent critique. C'est la règle dans les pays démocratiques.
L'USFP a choisi la participation critique. Cela ne remet pas en cause la solidarité gouvernementale, mais cela laisse la liberté au parti de s'exprimer et de faire part de ses convergences mais aussi de ses divergences sur certaines questions. Cette liberté explique la présence des groupes parlementaires de la majorité au Parlement qui débattent, prennent des initiatives, proposent parfois des amendements qui sont acceptés par le gouvernement. Concernant la question que vous évoquez de la retenue des salaires des grévistes, le Premier ministre a décidé de geler cette décision qui pose débat. Certains estiment que la décision gouvernementale doit être appliquée comme elle l'a été dans le passé dans certains départements, d'autres pensent au contraire qu'en l'absence d'une loi organique sur les grèves, cette décision n'est pas opportune. Le Premier ministre a pris une décision sage et cela a permis au dialogue social de redémarrer.

Pensez-vous qu'aujourd'hui il y ait une mobilisation et un consensus autour de la question essentielle de la crise sociale qui lamine les couches les plus pauvres ?

La question sociale est au cœur des préoccupations des partis politiques, des syndicats, du Parlement et bien sûr du gouvernement. La loi de finances 2009 est une loi sociale et les décisions qui ont été prises notamment d'instituer le dialogue entre syndicats, patronat et gouvernement en témoignent. L'Euromed est entré en application dans la région de Tadla- Azilal et sera étendu à d'autres localités. D'autre part, un certain nombre de secteurs touchés par la crise économique et financière, je pense au secteur du textile, aux équipementiers de voitures... seront aidés. Cette aide devrait permettre de garder les ressources humaines et l'outil de production.

La réforme de la Constitution est au cœur des agendas de certains partis politiques. Quelle est votre position sur cette question ?

Je crois que pour traiter cette question, il faut revenir en arrière. En prenant l'initiative de présenter un mémoire à feu Sa Majesté Hassan II en octobre 1991, l'Istiqlal et l'USFP avaient amorcé le débat et cette initiative a eu des suites.
Il y a eu en effet les amendements à la Constitution en 1992, les deux partis cités s'étaient abstenus et avaient présenté d'autres mémoires à travers la Koutla en 1992 et en 1996. Cela a abouti à la réforme de 1996, nous avions appelé le peuple marocain à voter oui et c'était l'amorce de la part de l'USFP d'une conciliation nationale, ce qui a permis des évolutions importantes par la suite comme le gouvernement d'alternance. Le pays est entré dans une transition démocratique.

Certains diront que cette transition a échoué. Qu’en pensez-vous ?

Le débat est ouvert. Ce que je peux dire c'est que la transition démocratique au Maroc n'est pas celle de l'Espagne, de la Grèce ou du Chili. En Espagne le contexte historique était précis, c'est la fin du régime de Franco. En Grèce, c'était la fin du régime des militaires, au Chili c'était la fin du régime de Pinochet. Au Maroc, nous sommes entrés dans une période de transition démocratique dans le cadre du même régime, c'est-à-dire dans le cadre de la monarchie. L'évolution historique de notre pays demandait un consensus, ce qui nécessite du temps.
Notre dernier congrès, le 8e, a approuvé un manifeste qui insiste sur le choix social démocrate de notre société, qui confirme le choix de notre stratégie démocratique et qui demande d'avancer sur la question institutionnelle. Ces options sont cohérentes avec le comité d'équité et de conciliation qui préconisent des réformes constitutionnelles.
Sa Majesté avait préconisé à l'époque au Conseil consultatif des droits de l'Homme de suivre cette question et avait dans le discours du Trône qualifié la Monarchie marocaine comme étant non exécutive, non législative et non judiciaire.
Il a insisté récemment sur la réforme de la justice et sur la régionalisation qui sont deux grands chantiers très attendus. Le message royal à la réunion d'Agadir sur la régionalisation trente années après la promulgation de la Charte communale de 1996, a donné la direction et le gouvernement travaille sur ces questions déterminantes pour l'avenir du pays. Au sein du ministère de l'Intérieur, une commission travaille sur cette question importante. Nous sommes également en phase avec les autres partis de la Koutla comme l'Istiqlal qui dans la déclaration finale de son dernier congrès a parlé de la réforme de la constitution, le PPS avait fait de même. Nous estimons bien sûr, qu'aucune réforme au Maroc ne peut se faire sans l'accord entre les forces démocratiques et l'institution monarchique.

Que pensez-vous de l'émergence du nouveau parti politique du PAM ?

Le PAM a tenu son congrès constitutif, il a clarifié un certain nombre de choix et s'est donné une direction. Il est prématuré de le juger, attendons de voir ce qu'il fera sur le terrain. Je félicite en tout cas M. Fouad Ali El Himma qui n'a pas tenté de s'imposer comme SG du parti. Il est l'ami du Souverain, ce qui est son droit le plus absolu mais évidemment, il faut éviter toute confusion. Sa Majesté le Roi n'a pas de parti ami, il est au dessus de la mêlée.

L'un des objectifs du PAM était de réduire la balkanisation du paysage politique marocain. La Koutla avait ce même objectif en tentant de créer un pôle de gauche.

La Koutla voulait et veut rassembler les forces démocratiques, ce qui avait fait réagir l'ancien ministre de l'Intérieur Feu Driss Basri qui était, pour faire face à la Koutla, à l’origine de la coalition du Wifaq qui s'est désagrégé après. Avec l'extension du champ des libertés au Maroc, les partis se sont multipliés, ce qui a provoqué une balkanisation du champ politique. Je suis d'accord pour lutter contre cette balkanisation mais ce ne sera pas facile comme on l'a vu avec les tentatives du PAM qui ont échoué. Lorsque l'Espagne a amorcé sa transition démocratique en 1978, il y avait à l'époque 104 partis. Ce sont les électeurs qui ont fait le tri et qui ont fini par avoir trois forces : le Parti populaire, le Parti socialiste unifié et l'extrême gauche.

Dans ces pays, notamment en Europe du Nord, on évoque l'idée d'hyper-démocratie avec des évolutions fortes où la démocratie représentative issue des partis ne regroupe pas tout à fait le champ de la démocratie participative qui représente les ONG, la société civile de plus en plus active. C'est une tendance lourde que l'on observe également au Maroc. Quelle est votre réflexion sur ces évolutions ?

Les partis et la société civile ont chacun leur rôle. Les ONG ne peuvent pas se substituer aux partis politiques et vice versa. A l'USFP, nous avons œuvré, en cherchant des personnalités neutres, à la création d'organisations non gouvernementales comme l'Association marocaine des droits de l'Homme. Je suis allé moi-même convaincre M. El Mandjra de devenir président de l'Association. Nous avons travaillé à la création d'autres associations, clubs. L'idée d'une démocratie participative est une idée neuve qui a plusieurs mécanismes. En Europe, les municipalités qui associent les citoyens aux questions de la cité font appel à des ONG pour un travail de débats.

Quand on analyse les résultats des dernières législatives et le taux très fort des abstentions, on peut se poser la question de l'utilité de la «démocratie» représentative ?

Il y a un côté objectif dans ces résultats qui les explique en partie. Les Marocains sont libres d'aller ou de ne pas aller voter. Nous n'avons pas de loi comme en Belgique qui oblige les électeurs à voter faute de quoi, ils paient une amende.
Dans le passé au Maroc, les chioukhs et les mokkadems mobilisaient les électeurs pour les amener à voter. Aujourd'hui les Marocains sont libres de participer ou non aux élections, mais ce qui est mauvais c'est le taux d'abstention qui interpelle l'Etat, les partis politiques, la société civile car il est impossible de construire une démocratie sans une large participation des électeurs. Une élection, c'est le choix des gouvernants et des représentants au Parlement et si le taux d'abstention est élevé, cela veut dire qu'il y a un désintérêt de la chose publique, ce qui ne manque pas de nous préoccuper.

Cela pose le problème de l'intérêt à la chose publique mais plus grave, celui de la légitimité de ceux qui gouvernent. On peut se demander si les partis politiques ont encore des choses à dire. Après plus d'une décennie de participation au gouvernement, l'USFP a-t-elle encore une vision politique pour mobiliser les électeurs ?

Absolument. Nous avons eu de larges débats au cours du congrès, un nouveau rapport d'orientation, une plateforme politique, économique et sociale largement discutée. Nous avons un projet de société, social-démocrate. Les choix du gouvernement ne sont pas socialistes parce que nous sommes dans un gouvernement de coalition mais cela n'enlève rien à la mission de l'USFP qui travaille dans ce sens.

Quels sont les maux les plus graves qu'il faut combattre au Maroc ?

Il y a bien sûr la pauvreté et le chômage, il y a cette économie de rente qui nous est, nous socialistes, insupportable.

Quelles relations pourraient avoir dans l'avenir l'USFP et le PJD ?

Les relations entre le PJD et l'USFP existent dans un cadre précis, au Parlement. Ce sont des relations d'un parti au gouvernement avec un parti dans l'opposition. Le PJD préside une commission parlementaire, l'USFP préside une autre commission parlementaire et c'est au Parlement qu'il y a des débats. Il peut y avoir des divergences et des convergences sur telles ou telles questions.

Peut-on penser qu'il puisse y avoir des alliances électorales ?

Pour qu'il y ait une alliance, il faudrait que le PJD s'aligne sur notre politique ou que nous nous alignions sur celle du PJD. Je ne pense pas que cela soit possible mais rien n'empêche que sur le plan local, après les élections, qu'il y ait des coalitions.

Un mot sur les prochaines élections communales ?

Les partis politiques doivent présenter au peuple marocain l'élite de ce pays pour diriger les affaires locales. Il faut choisir cette élite au sein des partis mais pas seulement car il y a des personnes compétentes et intègres qui sont dignes d'intérêt. Il faut bien sûr une forte mobilisation et la lutte contre la fraude et la corruption. Deux ministères sont aux avant-postes, le ministère de l'Intérieur et celui de la Justice qui doivent faire appliquer la loi et toute la loi dans toute sa rigueur. Si le peuple marocain voit une réelle volonté dans ce sens, il se mobilisera pour défendre ses intérêts.

Au cours de vos déplacements et rencontres avec les responsables politiques des pays étrangers, la question du Sahara qui vous tient à cœur figure en bonne place. Où en est-on sur ce dossier ?

Nous avons un nouveau représentant du SG des Nations unies, Mr Christopher Ross qui a fait une tournée dans la région, qui a rencontré au Maroc Sa Majesté le Roi, le Premier ministre, d'autres ministres et responsables de partis politiques. Il a rencontré le Polisario à Tindouf et les responsables algériens à Alger. Il est prévu qu'il aille après les élections en Mauritanie. Il a également entendu deux pays l'Espagne et la France qui est membre permanent du Conseil de Sécurité. Le Maroc avait déclaré à la nomination de M. Ross, qu'il refuse de reprendre le dossier du Sahara à zéro. Après les quatre rounds de négociations à Manhasset, l'ancien représentant personnel du SG avait présenté un rapport au Conseil de Sécurité qui soulignait que l'indépendance était irréaliste et irréalisable et qu'il fallait aller vers une solution politique mutuellement acceptable. La dernière résolution du Conseil de Sécurité allait dans ce sens vers de véritables négociations afin de parvenir à un compromis. Le Maroc a présenté son projet d'autonomie interne qui est une plateforme valable de négociations. Ce n'est pas un document à prendre ou à laisser, c'est une plateforme de négociations. Le Polisario peut demander telle ou telle modification, changer tel ou tel amendement et discuter de cette plateforme.  L'Institut américain d'études politiques Hotkins a sorti un document sur l'Afrique du Nord qui a été remis au président Obama et où il estime que l'autonomie interne est une solution viable.

Dans une conférence de presse, tenue lors du Forum de Paris, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine évoquait les conflits qui empêchaient le projet de l'UPM de se déployer, à savoir le conflit du Moyen-Orient et celui qui opposait le Maroc et l'Algérie. La fermeture des frontières obérait, disait-il, le développement de toute une région. Que pensez-vous de ce conflit larvé qui a duré des générations entières ?

La situation des relations entre le Maroc et l'Algérie est inacceptable et insupportable car notre avenir, et nous le savons tous, est commun. Seule une stratégie unitaire des cinq pays d'Afrique du Nord permettrait à la région d'évoluer et d'assurer une vie digne aux populations du Maghreb. Cela permettrait de faire avancer une idée, celle du Maghreb uni qui reste chère au cœur de tous les Maghrébins malgré les vicissitudes politiques et de défendre nos intérêts dans le cadre de l'UPM ou dans tout autre cadre politique. Cela suppose des relations bilatérales saines qui nous permettraient de défendre ensemble des dossiers comme celui du terrorisme, la drogue, la contrebande,  l'émigration clandestine...
Nous avions pensé à l'arrivée du président Abdelaziz Bouteflika, qu'il serait l'homme de la réconciliation. Il est maghrébin, il est né au Maroc, il a milité dans ses années de jeunesse au parti de l'Istiqlal, il connaît le personnel politique du Maroc. Une décennie après son arrivée au pouvoir, nos relations sont toujours bloquées alors que nous avons des familles de part et d'autre de la frontière.

Un mot sur la rupture des relations avec l'Iran ?

Nous avions de bonnes relations avec l'Iran comme en témoigne la présence d'une grande personnalité chiîte Skhiri le plus en vue de la hiérarchie religieuse dans ce pays qui était présente pendant le dernier ramadan aux causeries religieuses devant le Roi. Mais l'attitude récente des autorités iraniennes à propos d'un fait a été jugée inacceptable.
Le Maroc avait manifesté sa solidarité avec le royaume de Bahreïn après les déclarations de certains responsables iraniens qui avaient estimé que Bahreïn était la province de l'Iran. Le Maroc n'était pas le seul à le faire, une quarantaine d'Etats l'ont fait. L'Iran a choisi le seul Maroc pour l'interpeller dans des termes inacceptables. M. Taieb El Fassi a convoqué l'ambassadeur de l'Iran pour lui demander des explications.
L'Iran n'a pas répondu. Il faut ajouter à cela les velléités de l'Etat iranien de faire de l'extension du chiisme un instrument politique. Tous les pays sunnites souffrent de cette intervention qui est à mon avis politique plus que religieuse.
On le voit dans l'émigration maghrébine, dans les pays africains du sud du Sahara avec qui nous partageons d'excellentes relations. L'Iran fait cela dans un but hégémonique.

Sur un tout autre sujet, celui du football, en particulier et du sport en général, quelle analyse faites-vous de ce secteur ?

Au-delà de l'aspect du jeu et de la compétition nationale et internationale, le sport est un élément de cohésion d'un pays. La dimension éducative et sociale du sport démontre le degré d'évolution d'un pays, les capacités de sa jeunesse, de sa culture.
Lors des assises du sport, le message royal était très clair soulignant les dysfonctionnements, les entraves, l'enlisement dans l'improvisation, le pourrissement et l'exploitation mercantile.
Sa Majesté avait appelé à l'élaboration d'une stratégie nationale pour sortir de la crise et restructurer le paysage sportif national, renforcer les infrastructures, redynamiser la pratique du sport. Les responsables qui s'occupent de ce secteur doivent en tirer les conséquences car le sport est une question vitale pour le devenir de notre jeunesse.
Le football préfigure les évolutions générales dans ce secteur du sport et après le dernier match avec le Gabon, où l'équipe nationale a été battue chez elle, les Marocains ont subi une énorme frustration et il devient éminemment urgent comme le soulignait le message royal de se pencher sur la question du football en particulier et du sport en général.



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