Contractualisation : Le péché originel des gouvernements PJD


Libé
Mardi 27 Avril 2021

Le PJD s’est appuyé sur un référentiel religieux et un emblème censé symboliser la volonté de mener le Maroc vers un avenir lumineux pour s’imposer comme parti majoritaire en 2011. Cependant, dix ans après leur arrivée aux commandes, le constat est sans équivoque. L’échec est flagrant et la cassure avec une majorité des citoyens est réelle. On peut même parler d’un gouffre béant. Oui, la lampe a perdu son éclat. Elle n’a plus rien de lumineux. Pire, elle a fini par assombrir le climat social dans un pays fortement ébranlé par la crise sanitaire. Les gouvernements pjdistes successifs n’ont pas cessé d’œuvrer pour démanteler de nombreux acquis sociaux, ce qui nous a permis de découvrir le vrai visage de ce parti, celui d’une formation de droite dure, opportuniste et peu soucieuse de l’intérêt général. Parmi les expressions de cet échec cuisant il y a, évidemment, les marches et manifestations qui rythment la rue marocaine et dont les acteurs sont des centaines d’enseignants au statut précaire, victimes,selon leurs dires, d’une injustice d’Etat. La contractualisation est, en effet, la parade conçue et imposée par le PJD pour accélérer la mise en pièces de l’enseignement public marocain. Toutefois, ce péché originel du PJD avait besoin de deux parties pour qu’il soit consommé ! Il y avait d’un côté des diplômés désœuvrés en quête d’une opportunité pour accéder à un emploi. L’offre venue de l’Etat fut, pour eux, l’occasion idéale de mettre un pied à l’étrier et de se faire doucettement une place dans la fonction publique. Cette façon d’agir très “marocaine” enrobée par des expressions fourre-tout de style “sir âala Allah” et “menhna henna rabbi tamma”, n’accorde que très peu d’importance à la réalité juridique du contrat signé et qui stipule, pourtant, la durée limitée de l’emploi. De l’autre côté de la table, il y avait des décideurs politiques convaincus ou incités par des donneurs d’ordre internationaux de la nécessité de privatiser l’offre éducative au Maroc en commençant par la précarisation du statut de l’enseignant. Cette mesure est pour le moins surprenante d’autant qu’elle émane d’un parti prétendument d’un référentiel religieux. Comme beaucoup de citoyens, j’aurais espéré voir le PJD faire de l’enseignement public son cheval de bataille au moins par fidélité au vieil adage rapporté par les livres de fiqh et qui insiste sur la nécessité de l’apprentissage « du berceau à la tombe ». Hélas, il y a,souvent, des défaillances entre les principes et les actes ! Les dix ans de gouvernance pjdiste ont fini par mettre à genoux l’enseignement public qui doit être, pourtant, une mission régalienne et une responsabilité immuable de L’Etat. Il est même le critère essentiel du développement d’un pays car le devenir d’un peuple est étroitement lié au socle commun d’un enseignement de qualité, gratuit et ouvert à tous les citoyens quels que soient leurs niveaux de vie et leurs lieux de résidence. La décision de contractualiser des centaines d’emplois d’enseignants répondait, donc, à la volonté d’affaiblir l’école publique, ce qui ouvrirait la voie à l’enseignement privé, devenu l’une des pompes à fric les plus lucratives au Maroc. Que faire donc pour sortir de la crise de contractualisation? Comment y mettre fin sans créer un dangereux précédent? Tout d’abord, il faut impérativement cesser de répondre par la matraque policière aux manifestants. Un Etat qui aspire à une vie démocratique juste et apaisée doit privilégier le dialogue et faire de la violence légitime l’ultime réponse à une revendication sociale. La probité intellectuelle invite à reconnaître les torts propres à chaque partie. Les enseignants contractuels savaient pertinemment le caractère temporaire et éphémère de leur engagement. En faire une injustice, après coup, relève, à l’évidence, de la volonté de forcer la main aux pouvoirs publics et remet en cause une règle essentielle du Code du travail. Et ce n’est pas à des enseignants, sans doute, cultivés qu’on doit rappeler ce principe juridique fondamental. Cela dit, le péché originel a donné naissance à une ribambelle de situations sociales complexes. Les enseignants sous contrat ont, depuis le début de leurs missions, construit une vie familiale et nombreux sont ceux qui se sont lancés dans des achats immobiliers. En un mot, ils ont continué à creuser le sillon de leur vie et y mettre fin brutalement impliquerait la mise en danger de plusieurs familles. Partant de là, l’intérêt général impose au gouvernement pjdiste de trouver une solution en adéquation avec la situation. Une intégration de ces enseignants contractuels s’impose. C’est la solution la plus juste non seulement envers ces personnes, mais aussi pour montrer aux citoyens que le péché originel ayant mené à ce grave dysfonctionnement fut une erreur de parcours. Le courage en politique ne va pas de pair avec l’entêtement. Reconnaître ses erreurs est plutôt un signe de maturité et une promesse pour une politique plus juste. L’enseignement n’est pas un secteur privatisable en tout cas pas comme la question est traitée au Maroc. La seule différence qui devrait exister entre le public et le privé réside dans les prestations annexes telles les sorties extra-scolaires et la qualité des repas de la cantine. Mais dans les deux formules, les élèves suivent un même programme conçu par le ministère de tutelle. La richesse du Maroc est essentiellement fondée sur sa jeunesse. En faire une priorité, c’est jeter les fondements d’un avenir meilleur pour tout le pays. Une précision importante s’impose : l’école publique n’a pas vocation à créer des fonctionnaires ! Obtenir un diplôme aussi prestigieux qu’il soit ne devait pas garantir, de facto, un droit à un poste dans la fonction publique. L’école est là pour fournir à tous les citoyens les armes nécessaires pour accéder au marché de l’emploi le plus convenablement possible. Parallèlement, l’Etat doit agir, en constance, sur tous les leviers pour que chaque citoyen puisse obtenir un emploi et il revient à chacun de se frotter à la concurrence pour y arriver. Bien sûr le droit à un emploi est garanti par la Constitution. Mais hormis dans les pays totalitaires où on impose un travail, à chacun, ce droit constitutionnel est, en réalité, un vœu pieux ou rarement exaucé y compris dans les pays les plus avancés. En guise de conclusion à cette contribution, seuls un enseignement public performant et une politique économique soucieuse de faire foisonner les offres d’emploi peuvent mettre un terme à la crise endémique du chômage qui frappe de plein fouet des foules immenses de la jeunesse marocaine.
Par Mohamed Lmoubariki
Historien résidant en France


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