Charge fiscale et droits individuels dans l’OCDE


Par Pascal Salin *
Lundi 18 Octobre 2010

Charge fiscale et droits individuels dans l’OCDE
Notre époque est pleine de paradoxes. Mais ces paradoxes naissent généralement de l’arbitraire étatique. Ainsi, les États prétendent mettre en œuvre des politiques de concurrence de manière à imposer la concurrence à des producteurs privés. Or la concurrence n’est rien d’autre que la liberté d’agir, la liberté de faire différemment des autres. Il est alors paradoxal de vouloir imposer la liberté ! Mais il est encore plus paradoxal que ces mêmes États ne s’appliquent pas à eux-mêmes les règles qu’ils prétendent imposer aux autres et qu’ils partent en guerre contre la concurrence fiscale, sous prétexte que la concurrence fiscale serait « dommageable » (pour reprendre le vocable utilisé par l’OCDE au mépris de la neutralité idéologique qu’un tel organisme devrait avoir l’obligation de respecter, sans même faire appel au plus élémentaire devoir d’honnêteté). Mais comment pourrait-on justifier l’idée que la liberté d’agir et de décider par soi-même et pour soi-même apporte des dommages à autrui ?
Certes, quand un producteur privé voit arriver un concurrent susceptible de proposer des produits meilleurs que les siens et à un prix moindre, il craint que ses clients ne se détournent de lui et que cette concurrence lui soit « dommageable ». Il sera peut-être tenté, contre toute logique et contre tout sens moral, de dénoncer cette concurrence – qu’on appellera peut-être une concurrence « déloyale » – et de réclamer l’intervention de la contrainte étatique pour mettre fin à la liberté de produire et de vendre des autres producteurs. Bien entendu, si ses plaintes sont entendues et si un Etat met en place les protections nécessaires pour lui permettre de continuer à produire d’une manière moins satisfaisante pour les clients, il créera des victimes, en l’occurrence les consommateurs privés de gains potentiels et les autres producteurs privés de leurs marchés normaux. Ce n’est donc pas la concurrence qui est dommageable, mais l’absence de concurrence.
Il en va exactement de même pour les politiques publiques, en particulier pour les politiques fiscales. En prétendant empêcher la concurrence fiscale, les États des pays-membres de l’OCDE ou de l’Union européenne veulent priver les citoyens du monde de leur liberté de choisir pour eux-mêmes ou pour certaines de leurs activités l’environnement fiscal qui leur paraît le meilleur. Pour atteindre ce but – nouveau paradoxe – les États essaient de constituer des cartels publics internationaux, alors même qu’ils prétendent lutter contre les cartels privés. Pourtant, ces derniers ne pourraient pas être durablement nuisibles si on laissait subsister la liberté de produire, c’est-à-dire la concurrence, et c’est bien pourquoi, le plus souvent, les cartels privés sont en fait bénéfiques et visent à mieux satisfaire des besoins spécifiques de leurs clientèles. Par contre, les cartels publics qui sont explicitement mis en place pour empêcher la concurrence, sont nécessairement nuisibles, mais aussi, malheureusement, durables.
En limitant la concurrence fiscale, par exemple en cherchant à harmoniser les politiques fiscales ou en luttant contre les « paradis fiscaux », les États des pays à forte fiscalité – les enfers fiscaux – privent leurs citoyens de l’un des grands bienfaits de la concurrence, l’expérimentation. Comme l’a souvent souligné Friedrich Hayek, en effet, la concurrence est un « processus de découverte ». Dans un monde purement imaginaire où la connaissance serait parfaite, la concurrence serait sans doute inutile, car tout le monde saurait quelles sont les meilleures solutions à n’importe quel problème. Mais nous ne sommes pas dans un monde de ce type.
C’est pourtant ce que veulent nous faire croire les Etats à forte fiscalité qui luttent contre la concurrence fiscale. Ils supposent implicitement que leurs politiques fiscales sont les meilleures possibles et que toute concurrence risquerait de provoquer une « course vers le bas ». Mais, si véritablement les taux appliqués dans les enfers fiscaux – par exemple pour la fiscalité du capital – étaient optimaux, les capitaux ne fuiraient pas. Pendant longtemps, des contrôles des changes drastiques ont permis à de nombreux États de spolier le capital. Ils supportent mal que leurs «esclaves fiscaux» puissent fuir vers des cieux plus cléments. Et pourtant, comme le souligne si opportunément la présente étude, le monde entier profite de l’existence de zones à fiscalité faible. En effet, celles-ci ne provoquent pas seulement des déplacements de capitaux, mais elles créent des incitations à accumuler plus de capital.
Il est triste d’avoir à le reconnaître, mais dans le climat intellectuel de notre époque, il faut du courage pour oser défendre les thèses exposées dans la présente étude. Celles-ci sont pourtant fondées sur une théorie économique sérieuse, c’est-à-dire sur une connaissance vraie du comportement des individus en société. Elle permet, en un nombre de pages limité, de connaître l’essentiel de l’argumentation en faveur de la concurrence fiscale. Et elle nous offre un remarquable et nouvel instrument avec l’indice d’oppression fiscale. Car c’est bien d’oppression qu’il s’agit.
Toute création d’impôt, toute augmentation du taux d’un impôt existant a un double effet destructeur : il détruit les incitations à agir et à produire des contribuables, mais il détruit aussi les incitations productives des bénéficiaires des largesses étatiques.
Cet aspect nécessairement destructeur de la fiscalité justifie amplement que l’on s’efforce – comme cela est fait pour la première fois dans la présente étude – d’évaluer l’oppression fiscale. Au lieu de combattre la concurrence fiscale, il n’est peut-être pas de tâche plus urgente à notre époque que de limiter l’oppression fiscale.

* Professeur émérite
d’économie à l’Université
Paris-Dauphine


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