Chakib Bouallou : Les sources d’énergies renouvelables permettront au Maroc de réduire sa dépendance énergétique


Propos recueillis par Youssef Lahlali
Mardi 9 Février 2016

Chakib Bouallou : Les sources d’énergies renouvelables permettront au Maroc de réduire sa dépendance énergétique
S.M le Roi Mohammed VI a inauguré
récemment Noor I, le plus grand complexe énergétique au monde avec une capacité
totale de 580 MW et une superficie de 3.093 hectares. Ce complexe est constitué de quatre centrales solaires développées
dans le respect des normes
internationales, tant au niveau technologique qu'environnemental, et associées à une
plateforme de recherche et développement qui s'étend sur plus de 150 hectares  
Chakib Bouallou, président du Conseil
 franco-marocain des ingénieurs
et des scientifiques, nous livre
 ses analyses sur les enjeux
énergétiques de l’avenir.  


Libé:  Le Maroc construit le plus grand parc solaire au monde à Ouarzazate, après le plus grand parc éolien en Afrique à Tarfaya. Que pensez-vous de ces projets très ambitieux ?
 Chakib Bouallou : J’ai déjà eu l’occasion de dire que c’est une bonne chose évidemment. Le Maroc doit compenser son manque d’hydrocarbures par le développement des énergies renouvelables. Le parc de Ouarzazate aura une capacité de 560 mégawatts, et en  2020, le Maroc entend augmenter sa production solaire à 2.000 mégawatts ce qui représenterait quasiment la moitié de sa production électrique. C’est vrai que ces projets sont très ambitieux et nécessitent des investissements importants. Pour le moment, le projet en est à sa première phase qui comprend la mise en place de 160 MW et qui devait être achevée initialement en octobre 2015. Probablement, les tests des composantes de cette unité de production pour la connecter au réseau national n’ont pas été concluants pour l’instant, ce qui est habituel pour tout démarrage d’une installation industrielle.

Est-ce que ce grand projet permettra au Maroc de développer la recherche autour de l'énergie solaire? A votre avis, le  pays dispose-t-il d’une infrastructure de la recherche dans ce domaine?
Il est vraiment difficile de répondre à cette question. A ma connaissance et au vu des visites que j’ai pu effectuer dans différentes institutions, je peux parler d’une recherche embryonnaire avec des moyens et une infrastructure très modestes. Les conditions de développement du processus d’innovation, sont une recherche académique puissante, un maillage de collaborations efficaces et des moyens croissants. Le Maroc doit créer le terrain favorable au développement de l’innovation. C’est un enjeu crucial pour le Royaume, qui doit créer les conditions d’attractivité pour réussir le développement de la recherche et des projets industriels sur le solaire. Ma conviction est que l’innovation de demain est fortement créatrice de valeur ajoutée et que le Maroc peut jouer un rôle dans le solaire. Un effort particulier doit être fourni en collaboration avec les universités, la coordination de la recherche publique, les investissements et un début de clusters sans oublier l’amélioration du système d’autorisations administratives. L’industrie dédiée au solaire est l’un des secteurs économiques dont l’effort de recherche doit être le plus important.

Quels rôles peuvent jouer les compétences marocaines à l'étranger dans ce sens? Le Conseil franco-marocain des ingénieurs et scientifiques que vous présidez  organise t-il des rencontres ou traite-t-il des projets dans ce sens?
Les compétences marocaines peuvent jouer un rôle très important pour accompagner le plan solaire national notamment par le biais de l’activité de la recherche sur les systèmes CSP (solaire thermique à concentration) afin de favoriser et de garantir l’introduction des technologies CSP sur le marché marocain, de réduire les coûts de production de l’électricité solaire et créer les conditions économiques favorables à une plus large commercialisation.
Bien entendu, le CFMIS organise régulièrement des rencontres et des débats sur l’ensemble des sujets qui intéressent le Maroc. Récemment, le 16 janvier 2016, le CFMIS a organisé une rencontre  sur la stratégie des niches des matériaux high-tech et les applications industrielles pour le développement économique. Parmi les domaines stratégiques traités, le stockage de l’énergie primordiale dans le cas du solaire et plus largement des énergies renouvelables a été largement évoqué. Nombre de travaux précédents ont posé plus globalement le problème de l’émergence d’une technologie locale, pour un pays en voie de développement comme le Maroc, le développement de la recherche au Royaume et comment éviter l’exode transnational de «cerveaux» et de «travailleurs qualifiés»…

Ne croyez-vous pas qu’un baril de pétrole à moins de 30 dollars aujourd'hui  puisse mettre fin à cette tendance aux énergies propres et renouvelables ou pensez-vous plutôt que le développement des énergies propres est un choix stratégique?
Les sources d’énergies renouvelables et en particulier le solaire vont permettre au Maroc de réduire sa dépendance énergétique et de renforcer sa sécurité énergétique quel que soit le niveau du prix du baril de pétrole. Le Maroc importe 94% de son énergie sous forme de combustibles fossiles provenant de l’étranger et cela a de lourdes conséquences sur son budget. Le Maroc est de plus en plus touché par la sécheresse; il peut utiliser l’énergie solaire aussi pour le dessalement de l'eau de mer. De plus, les énergies renouvelables sont des moyens sûrs et écologiques. Contrairement aux autres énergies, leur exploitation ainsi que leur utilisation ne générèrent qu’un très faible taux d’éléments polluants. En revanche, elles sont intermittentes et moins puissantes mais les chercheurs y travaillent encore, car l’objectif à long terme est d’utiliser entièrement ces énergies aux sources inépuisables pour minimiser les coûts d’investissements et de production de l’électricité et du coup faire baisser le coût d’électricité pour le consommateur final.

Mais un baril de pétrole à moins de 30 dollars risque de compromettre la recherche dans le domaine des énergies renouvelables au niveau international indépendamment du cas du Maroc. Que pense un chercheur comme vous à propos de la question des énergies?
Le vent et l'énergie solaire sont actuellement considérés dans de nombreux pays notamment en développement comme une partie naturelle et importante du mix de production. La Chine a de nouveau été de loin le plus grand investisseur dans les énergies propres en 2015. Les Etats-Unis ont investi massivement (56 milliards $, en hausse de 8% par rapport à l'année 2014) et l'Europe suit cette tendance. Le développement des énergies renouvelables ne connaît donc pas de ralentissement. Au contraire, 2015 a été une bonne année pour l'installation de capacités d'énergie renouvelable, une augmentation de près de 30% par rapport à 2014. Le Maroc a investi 2 milliards $, partant de zéro en 2014 alors que d’autres pays émergents comme le Mexique (4,2 milliards $, en hausse de 114%), le Chili (3,5 milliards $, en hausse de 157%), ou l'Afrique du Sud (4,5 milliards $, en hausse de 329%). Ce qui signifie qu’aujourd’hui nous sommes capables d’installer plus de capacité pour le même prix. La question est clairement posée pour 2016. Il faudra attendre au moins deux ans pour en voir les effets. Promouvoir les énergies renouvelables alors que le baril de pétrole ne vaut pas plus que 30 dollars risque de devenir un exercice difficile. Le gaz, dont les prix sont en partie corrélés au pétrole, peut concurrencer les énergies renouvelables lorsque les prix sont bas, ce qui risque de contrarier les projets d'investissement dans les énergies renouvelables.
En tout cas, la consommation mondiale d'énergie connaît et connaîtra une hausse accélérée et pour l'essentiel reposera sur des énergies fossiles pour les prochaines décennies. Le contexte d'épuisement progressif nourrira forcément des tensions géopolitiques et accélèrera la recherche de solutions, que ce soit en termes d’énergies de substitution ou en termes d’économies d'énergie...La transition énergétique doit être préparée dans un contexte de développement durable.

Cette année par exemple, les USA sont devenus le premier producteur de pétrole au monde et ont même exporté à l'étranger pour la première fois avec  l'exploitation du gaz de schiste.
Oui, effectivement, l’ascension du gaz de schiste a bousculé l’échiquier mondial de l’énergie. Les Etats-Unis qui talonnaient ces derniers mois l’Arabie Saoudite, le plus gros producteur avec la Russie, l’ont dépassée dès l’automne 2014. Les Etats-Unis ont déjà été exportateurs nets de produits pétroliers, grâce à l’exploitation du pétrole de schiste par fracturation hydraulique, en particulier dans les Etats du Texas et du Dakota Nord. C’est pour cette raison que l’Arabie Saoudite a souhaité s’attaquer aux producteurs de pétrole de schiste en inondant le marché pétrolier et surtout  anticiper un retour sur le marché du pétrole iranien suite à la levée des sanctions contre l'Iran.

Le stockage d’énergie

La pratique de l’effacement électrique à partir de technologies couplant gaz et électricité au niveau des consommateurs à l’échelle des réseaux de distribution confirme la complémentarité entre les vecteurs gaz et électricité dans une optique de transition énergétique. Parallèlement, le sujet du stockage ou de la conversion des excédents d’électricité renouvelable est apparu, mettant en lumière le rôle que les infrastructures de gaz pourraient y jouer via l’injection d’hydrogène ou de méthane de synthèse, souvent regroupé sous le vocable «technologie de conversion d’énergie en gaz combustible» (en anglais «Power-to-gas»).
Le Power-to-gas trouve sa place dans les scénarios 2050 de transition énergétique intégrant une part importante d’énergies renouvelables. Il est présenté comme une solution envisageable à long terme permettant de convertir des excédents d’électricité décarbonée pour des quantités (dizaines de TWh) et des durées (plusieurs jours) importantes. Ainsi, l’injection d’hydrogène ou de méthane de synthèse dans les réseaux de gaz peut être une des voies de transition vers une économie décarbonée avant une hypothétique économie de l’hydrogène.
Cet ouvrage réunit les connaissances permettant de considérer cette option de stockage et de valorisation des énergies renouvelables électriques. Il présente les informations techniques et économiques nécessaires pour acquérir une vision d’ensemble de cette filière et des «marchés ou applications» envisageables à moyen terme. Il s’adresse aux étudiants, chercheurs, ingénieurs et décideurs économiques qui souhaitent comprendre cette problématique pour assurer une meilleure transition énergétique.


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