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Benjamin Stora est historien, professeur des universités, spécialiste du Maghreb contemporain. Il est l’auteur
de nombreux ouvrages. Le dernier en date est « Retours d’histoire, l’Algérie après Bouteflika» édition Bayard.
Benjamin Stora a publié une trentaine d'ouvrages et a dirigé plusieurs
publications. Il a également été conseiller historique du film Indochine de Régis Wargnier, de Là-bas... mon pays
d'Alexandre Arcady en 2000, du Premier homme, de Gianni Amelio (2010),
adaptation pour le cinéma du roman d'Albert Camus, et du film "Les Hommes libres" d'Ismaël Ferroukhi.
Dans cet entretien, il nous livre
ses impressions.
Retours d'histoire, l’Algérie après Bouteflika, pourquoi ce livre ?
Tout simplement, comme historien ayant beaucoup travaillé sur l’histoire de l’Algérie, il m’a semblé nécessaire de réfléchir sur l’utilisation par les manifestants algériens de leur propre histoire. J'ai voulu comprendre pourquoi cette utilisation de l’histoire par des gens qui veulent aujourd’hui en finir avec l’actuel régime. C’est revenir à la source de leur propre histoire, c’est plutôt un essai d’interrogation d’un historien sur une histoire qui est en train de s'accomplir.
N'est-ce pas un risque pour un historien de travailler sur l’actualité ou sur des événements en cours ?
Tout a fait. Evidemment, c’est un risque de s’occuper d’une histoire dont on ne connaît pas encore la fin. Mais il me paraissait intéressant de comprendre pourquoi dans un mouvement d’une telle ampleur, il y avait cette utilisation de l’histoir, pourquoi il y avait des mots d’ordre historiques, pourquoi des manifestants brandissaient des portraits, des références, des livres qui ont été écrits par des dirigeants politiques comme Farhat Abass et Mesali Hadj.
Vous faites allusion à des slogans brandis par les manifestants algériens comme « l’indépendance confisquée » ?
L’indépendance confisquée 1962-1978 de Farhat Abbas sorti en 1984 et la constituante souveraine qui a été le mot d’ordre de Msali Hadj dans les années 20 et 30 avec d’autres figures importantes comme Abane Ramdane. C’est une réflexion, je ne raconte pas l’histoire. En effet, c’est une interrogation sur le peuple : comment il va s’emparer de l’histoire pour récrire l’histoire ?
Est-ce le plus grand bouleversement en Algérie depuis que vous l'avez quittée ?
D’abord une foule considérable est descendue dans la rue, comme pour l’indépendance, comme à l’été 1962. Ce sont des manifestations populaires massives qui marquent la continuité entre ces deux séquences majeures de l’histoire de l’Algérie contemporaine. C’est la première fois dans l’histoire de l’Algérie qu’un président quitte le pouvoir sous la pression populaire. Il y a eu d’autres départs comme le coup d’Etat contre Benbella en 1965 et l’assassinat de Boudiaf en 1992. Ces présidents ont quitté le pouvoir dans des circonstances tragiques. Zarwal est parti volontairement. Là, après vingt ans, un président quitte le pouvoir sous la pression de la rue algérienne.
Etes-vous optimiste sur l’issue de ses manifestations pacifiques qui réclament des changements ?
Là encore, je ne suis pas devin, je ne suis pas futurologue. Ce qui m’intéressait, c’est de voir comment, dans un mouvement en cours, il y avait la possibilité de réutiliser l’histoire contre ceux qui s'en servent depuis des années, depuis l’indépendance. Il y a une sorte d’ironie de la réutilisation de l’histoire par le peuple lui-même, c’est le sens de cet essai.
Après l’élection d'un nouveau président, les relations de l’Algérie avec son voisin marocain peuvent-elles changer ?
Moi, j’ai toujours dit qu'il fallait améliorer les relations avec le Maroc, cela m’apparaît assez évident. La même histoire relie les peuples du Maghreb, à travers la langue, l’histoire, la religion. L’histoire n’est pas écrite d’avance, on ne sait pas ce qui va se passer. Dans le mouvement en cours actuellement en Algérie, la question du rapport de l’histoire avec le Maghreb est assez peu envisagée par les manifestants eux-mêmes qui manifestent d’Oran à Constantine. La référence à l’histoire de l'Afrique du Nord n’est pas assez présente. Il n'y avait pas de revendications explicites sur la question des relations avec le Maroc, elle n’est pas au cœur des revendications.
Pourtant certains slogans de manifestants algériens contre le régime demandaient l’ouverture des frontières par exemple
Certains intellectuels algériens ont écrit des tribunes dans l’Ouest algérien là où c’est très problématique bien entendu. Il y avait des articles dans la presse mais cela ne figure pas au cœur des slogans scandés par les manifestants. Ces derniers réclament la démocratie, la liberté de la presse, la séparation entre le pouvoir politique et militaire par exemple. Ce sont les vrais enjeux de la bataille en Algérie.
La France a perdu récemment Jean Daniel. Dans un entretien accordé à notre journal, il nous avait révélé qu’il avait essayé à maintes reprises d’établir un rapprochement entre Rabat et Alger sans y parvenir. Il avait utilisé ses bonnes relations avec les deux chefs d’Etat de l’époque.
Jean Daniel a été un passeur formidable, d’abord dans le rapport entre la France et l’Algérie, c’était un homme très engagé pour l’indépendance algérienne. Il était aussi engagé dans le rapprochement entre l’Algérie et le Maroc. Nous pouvons dire qu’il a joué un rôle important entre le Maghreb et l’Europe au sens large. Il a été aussi un passeur dans le conflit israélo-palestinien, dans les premières tentatives d’établir des relations entre les deux parties dans les années 80. Ce fut l’une des grandes qualités de Jean Daniel : être un homme - passerelle entre les deux rives de la Méditerranée.
de nombreux ouvrages. Le dernier en date est « Retours d’histoire, l’Algérie après Bouteflika» édition Bayard.
Benjamin Stora a publié une trentaine d'ouvrages et a dirigé plusieurs
publications. Il a également été conseiller historique du film Indochine de Régis Wargnier, de Là-bas... mon pays
d'Alexandre Arcady en 2000, du Premier homme, de Gianni Amelio (2010),
adaptation pour le cinéma du roman d'Albert Camus, et du film "Les Hommes libres" d'Ismaël Ferroukhi.
Dans cet entretien, il nous livre
ses impressions.
Retours d'histoire, l’Algérie après Bouteflika, pourquoi ce livre ?
Tout simplement, comme historien ayant beaucoup travaillé sur l’histoire de l’Algérie, il m’a semblé nécessaire de réfléchir sur l’utilisation par les manifestants algériens de leur propre histoire. J'ai voulu comprendre pourquoi cette utilisation de l’histoire par des gens qui veulent aujourd’hui en finir avec l’actuel régime. C’est revenir à la source de leur propre histoire, c’est plutôt un essai d’interrogation d’un historien sur une histoire qui est en train de s'accomplir.
N'est-ce pas un risque pour un historien de travailler sur l’actualité ou sur des événements en cours ?
Tout a fait. Evidemment, c’est un risque de s’occuper d’une histoire dont on ne connaît pas encore la fin. Mais il me paraissait intéressant de comprendre pourquoi dans un mouvement d’une telle ampleur, il y avait cette utilisation de l’histoir, pourquoi il y avait des mots d’ordre historiques, pourquoi des manifestants brandissaient des portraits, des références, des livres qui ont été écrits par des dirigeants politiques comme Farhat Abass et Mesali Hadj.
Vous faites allusion à des slogans brandis par les manifestants algériens comme « l’indépendance confisquée » ?
L’indépendance confisquée 1962-1978 de Farhat Abbas sorti en 1984 et la constituante souveraine qui a été le mot d’ordre de Msali Hadj dans les années 20 et 30 avec d’autres figures importantes comme Abane Ramdane. C’est une réflexion, je ne raconte pas l’histoire. En effet, c’est une interrogation sur le peuple : comment il va s’emparer de l’histoire pour récrire l’histoire ?
Est-ce le plus grand bouleversement en Algérie depuis que vous l'avez quittée ?
D’abord une foule considérable est descendue dans la rue, comme pour l’indépendance, comme à l’été 1962. Ce sont des manifestations populaires massives qui marquent la continuité entre ces deux séquences majeures de l’histoire de l’Algérie contemporaine. C’est la première fois dans l’histoire de l’Algérie qu’un président quitte le pouvoir sous la pression populaire. Il y a eu d’autres départs comme le coup d’Etat contre Benbella en 1965 et l’assassinat de Boudiaf en 1992. Ces présidents ont quitté le pouvoir dans des circonstances tragiques. Zarwal est parti volontairement. Là, après vingt ans, un président quitte le pouvoir sous la pression de la rue algérienne.
Etes-vous optimiste sur l’issue de ses manifestations pacifiques qui réclament des changements ?
Là encore, je ne suis pas devin, je ne suis pas futurologue. Ce qui m’intéressait, c’est de voir comment, dans un mouvement en cours, il y avait la possibilité de réutiliser l’histoire contre ceux qui s'en servent depuis des années, depuis l’indépendance. Il y a une sorte d’ironie de la réutilisation de l’histoire par le peuple lui-même, c’est le sens de cet essai.
Après l’élection d'un nouveau président, les relations de l’Algérie avec son voisin marocain peuvent-elles changer ?
Moi, j’ai toujours dit qu'il fallait améliorer les relations avec le Maroc, cela m’apparaît assez évident. La même histoire relie les peuples du Maghreb, à travers la langue, l’histoire, la religion. L’histoire n’est pas écrite d’avance, on ne sait pas ce qui va se passer. Dans le mouvement en cours actuellement en Algérie, la question du rapport de l’histoire avec le Maghreb est assez peu envisagée par les manifestants eux-mêmes qui manifestent d’Oran à Constantine. La référence à l’histoire de l'Afrique du Nord n’est pas assez présente. Il n'y avait pas de revendications explicites sur la question des relations avec le Maroc, elle n’est pas au cœur des revendications.
Pourtant certains slogans de manifestants algériens contre le régime demandaient l’ouverture des frontières par exemple
Certains intellectuels algériens ont écrit des tribunes dans l’Ouest algérien là où c’est très problématique bien entendu. Il y avait des articles dans la presse mais cela ne figure pas au cœur des slogans scandés par les manifestants. Ces derniers réclament la démocratie, la liberté de la presse, la séparation entre le pouvoir politique et militaire par exemple. Ce sont les vrais enjeux de la bataille en Algérie.
La France a perdu récemment Jean Daniel. Dans un entretien accordé à notre journal, il nous avait révélé qu’il avait essayé à maintes reprises d’établir un rapprochement entre Rabat et Alger sans y parvenir. Il avait utilisé ses bonnes relations avec les deux chefs d’Etat de l’époque.
Jean Daniel a été un passeur formidable, d’abord dans le rapport entre la France et l’Algérie, c’était un homme très engagé pour l’indépendance algérienne. Il était aussi engagé dans le rapprochement entre l’Algérie et le Maroc. Nous pouvons dire qu’il a joué un rôle important entre le Maghreb et l’Europe au sens large. Il a été aussi un passeur dans le conflit israélo-palestinien, dans les premières tentatives d’établir des relations entre les deux parties dans les années 80. Ce fut l’une des grandes qualités de Jean Daniel : être un homme - passerelle entre les deux rives de la Méditerranée.