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Amina Bouayach, présidente de l’Organisation marocaine des droits humains : «L’héritage et l’avortement nécessitent une nouvelle vision militante»


Propos recueillis par Montassir SAKHI
Mercredi 5 Janvier 2011

Amina Bouayach, présidente de l’Organisation marocaine des droits humains : «L’héritage et l’avortement nécessitent une nouvelle vision militante»
L’histoire de la lutte des mouvements féministes au Maroc ne se limite pas à la cause féminine. Elle la dépasse pour s’ouvrir sur la lutte sociale et la lutte pour les droits humains en général. L’apport de la femme, une
composante
primordiale des familles des détenus politiques et disparus, est considérable pour la découverte de
plusieurs vérités
abominables qui témoignent d’un autre Maroc, celui de Driss Basri, d’Ahmed Dlimi, du général Mohamed Oufkir et d’autres responsables des années de plomb.
Dans cette interview, Amina Bouayach, figure emblématique du mouvement
féministe au Maroc, nous retrace les pas franchis par ce
mouvement et nous entretient des défis à venir.

Libé : Quelle évaluation faites-vous des luttes féministes du Maroc postcolonial?

Amina Bouayach : Le mouvement féministe a occupé une place primordiale au cœur des évolutions et transformations qu’a connues le Maroc. Ce mouvement n’a jamais été en marge des débats politiques et débats relatifs à la Chariaa ayant marqué le Maroc postcolonial. Ainsi, ce mouvement a-t-il trouvé sa place sur la scène politique marocaine diversifiée et plurielle. Ceci d’autant plus que la cause féminine est devenue une cause sociétale. Dans ce cadre, il est utile de rappeler que le débat ayant accompagné le Plan national pour l’intégration de la femme était un débat national qui a fait entendre toutes les voix. Ainsi, des parties se sont-elles déclarées favorables à ce plan et d’autres l’ont rejeté. Pourtant, le mouvement féministe, en partenariat avec différents acteurs, a su avoir l’appui du monde politique qui a manifesté clairement son soutien à l’égalité et à la liberté de la femme. Cela s’illustre par l’instauration du Code de la famille, ce qui atteste du fait que le processus de la lutte féminine au Maroc est positif.

 Au sein de l’OMDH, vous avez rencontré plusieurs cas de femmes ayant enduré les atrocités des années de plomb. Ces femmes ont subi des violations graves de leurs droits ou bien elles font partie des familles des victimes. Parlez-nous de ces femmes et de  la contribution de votre organisation à leur soutien?

Tout d’abord, il faut signaler que les victimes des violations graves des droits humains et les anciens détenus des centres d’incarcération avaient des familles composées en majorité de femmes. Ces dernières ont joué un rôle prépondérant dans la découverte de la vérité. Ce sont ces femmes qui ont ouvert le débat au niveau national et international sur le phénomène des disparitions forcées. Elles ont, par ailleurs, présenté les dossiers et informations sur la disparition de leurs fils, maris et frères aux défenseurs des droits humains pour militer et médiatiser ces violations et les centres de détentions secrets. Ces femmes ont lutté pour la vérité et sans elles, l’opinion publique nationale et internationale n’auraient pas découvert plusieurs réalités par rapport aux années de plomb au Maroc.
En outre, depuis 1989, date de la création de l’Organisation marocaine des droits humains, nous avons entamé notre communication avec les familles des détenus politiques et disparus qui purgeaient leurs peines aux centres de détentions Agdez, Tazmamart, Kalât Magouna et autres. Nous avons contacté également la famille Oufkir et les familles de plusieurs prisonniers politiques. A travers leur capacité de mobilisation, de militantisme et de protestation, ces familles, composées essentiellement de femmes, étaient notre soutien primordial pour le plaidoyer de la vérité. A cette occasion, je tiens à remercier ces femmes et ces familles qui nous ont accompagnés avant que notre OMDH ait appelé en 1993 à la création de la Commission de la vérité. Ici, il faut rappeler qu’au moment où les dossiers des disparus de Tazmamart étaient verrouillés, Mme Aïda Hacchad et Mme Raïss, femmes de deux détenus à Tazmamart, étaient en contact avec l’OMDH, et ont pu faire entendre la voix des torturés de ce centre de détention lors du premier congrès de notre organisation.
A côté des familles des détenus politiques et disparus, il y a plusieurs femmes qui ont subi des violations graves des droits humains et de leur dignité lors de leur activité politique. Dans ce cadre, aussi, l’OMDH a soutenu ces victimes qui feront la gloire du Maroc d’aujourd’hui et de demain.

Certains observateurs affirment que les luttes féminines connaissent actuellement des reculs. Qu’en pensez-vous?

Je pense que les mouvements féminins, et le mouvement des droits humains en général, sont appelés à réaliser une évaluation objective de leur action qui s’est étendue sur une durée relativement longue. Ils sont appelés également à évaluer les défis qui se posent aujourd’hui. Je crois que la plupart des défenseurs des droits humains affirment avoir réalisé un grand nombre d’acquis. Or, la question qui se pose est la suivante : comment préserver ces acquis et les développer? Cela se pose parce que nous n’arrivons pas jusqu’à l’heure actuelle à respecter comme il faut les droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels. L’interaction entre les mouvements des droits humains et les mouvements féministes devrait aboutir à la mise en place d’une stratégie de communication entre les différents acteurs pour pouvoir réaliser un travail collectif sur les problématiques prioritaires. J’entends par là des problématiques telles les questions de l’héritage et l’avortement qui nécessitent une nouvelle vision militante. Une vision qui nous pousse à prendre en considération ce que nous avons déjà réussi, c’est-à-dire, cette interaction positive entre les luttes sociales et la lutte pour les droits humains. 


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