Alex Saab. De vendeur de porte-clés à monnaie d'échange diplomatique


Libé
Vendredi 22 Décembre 2023

Alex Saab. De vendeur de porte-clés à monnaie d'échange diplomatique

Libéré mercredi par les Etats-Unis en échange d'Américains emprisonnés au Venezuela, Alex Saab, Colombien d'origine libanaise et homme clé du pouvoir vénézuélien, était devenu après son arrestation un des enjeux entre Caracas et Washington.


Homme de paille affairiste du président vénézuélien Nicolas Maduro pour ses détracteurs, serviteur dévoué du chavisme et intermédiaire ingénieux pour ses soutiens, qui lui avaient offert la nationalité vénézuélienne ainsi qu'un passeport diplomatique.


Caracas réclamait sa libération à cor et à cri. Son arrivée dans le pays, après près de trois ans en prison, a été retransmise en direct à la télévision publique.


Soupçonné par les Etats-Unis de tirer les ficelles d'un vaste réseau qui aurait permis à Nicolas Maduro et aux membres du pouvoir de détourner à leur profit de l'aide alimentaire, Alex Saab, qui a eu 52 ans jeudi, a été inculpé en juillet 2019 à Miami.


Avec son associé Alvaro Pulido, également inculpé, Alex Saab était accusé d'avoir transféré 350 millions de dollars (285 millions d'euros) hors du Venezuela sur des comptes étrangers. Il encourait jusqu'à 20 ans de prison.


En juin 2020, M. Saab est interpellé lors d'une escale technique de son avion au Cap-Vert. Après des mois de procédure, la Cour constitutionnelle de l'archipel africain valide son extradition. Sa défense évoque un "suicide constitutionnel", accusant les autorités locales d'être inféodées aux Etats-Unis.


Washington a régulièrement cherché à évincer du pouvoir Hugo Chavez (1999-2013) comme Nicolas Maduro, son héritier. Les Etats-Unis ont ainsi accentué leurs sanctions contre le Venezuela à compter de 2019, en mettant notamment en place un embargo sur les importations américaines de pétrole vénézuélien.


Caracas tente de sauver son homme lige, en allant jusqu'à faire placarder sur les murs des villes du pays des inscriptions comme "Liberté pour le diplomate Alex Saab" ou en créant le hashtag #FreeAlexSaab sur les réseaux sociaux.


"Jamais le chavisme ne s'était autant démené pour quelqu'un. Qu'est-ce qui explique qu'on remue ciel et terre pour lui? Qu'on veuille faire jouer son immunité diplomatique?" s'interrogeait à l'époque de son extradition Roberto Deniz, journaliste d'Armando.info et spécialiste du dossier.


"Il est évident qu'il y a beaucoup de peur. Il peut révéler des choses sur les montages, la circulation des fonds, les surcoûts... C'était la cheville ouvrière des affaires du régime Maduro avec les pays alliés", ajoutait M. Deniz.


Fils d'un entrepreneur libanais à Barranquilla (nord-est de la Colombie), Alex Saab a commencé par vendre des porte-clés avant de se lancer avec succès dans le textile.


"Guidé par son esprit d'entrepreneur cosmopolite, il cherche à dépasser les frontières" et se rend au Venezuela, attiré par "le secteur de la construction", raconte sur YouTube la série "Alex Saab, agent anti-blocus", version très officielle de sa vie.


Selon cette série, M. Saab a obtenu son premier contrat au Venezuela en 2011. Sur les images, on le découvre âgé de moins de 40 ans, arborant une queue-de-cheval, signant au Palais présidentiel de Miraflores une "alliance stratégique" pour des "kits de constructions pour des logements sociaux".

Le président est alors Hugo Chavez et Nicolas Maduro est ministre des Affaires étrangères.


"J'ai proposé un système italien de construction. Après un an de travail et de porte-à-porte, on a réussi à entrer et ouvrir une usine", raconte Alex Saab au journal El Tiempo en 2017. Il souligne alors: "Je ne connais pas le président Maduro", assurant ne l'avoir croisé que lors de cérémonies protocolaires.


Mais, c'est précisément sous la présidence Maduro qu'Alex Saab connaît sa foudroyante ascension pour devenir un "ministre plénipotentiaire de l'ombre", des logements sociaux à la construction de gymnases, estime Roberto Deniz.


En 2016, Maduro lance le programme Clap (Comités locaux d'approvisionnement et de production) de distribution d'aliments subventionnés aux plus pauvres, un des points d'orgue de sa présidence alors que le pays est en pleine crise économique.


Selon sa chaîne YouTube, après "d'importants" succès commerciaux, Alex Saab se convertit en 2018 en "un fonctionnaire public" envoyé en "mission" pour acquérir en Russie et en Iran (deux importants alliés du Venezuela) des "aliments, des médicaments et des produits pour les raffineries".


Alex Saab est notamment un des artisans de la spectaculaire et paradoxale "route iranienne" qui a vu l'Iran approvisionner grâce à des tankers remplis de carburant un Venezuela alors en proie aux sanctions américaines.




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