Aide stratégique au Pakistan : la quadrature du cercle


Par Yossef Ben-Meir *
Mardi 7 Juillet 2009

Aide stratégique au Pakistan : la quadrature du cercle
Dépendant de la manière dont l’aide internationale est utilisée au Pakistan, le cœur et l’esprit des habitants de ce pays peuvent être conquis ou perdus. Des sondages récents indiquent en effet que la majorité des Pakistanais considèrent les conditions économiques et politiques bien plus prioritaires que le terrorisme, ce qui montre qu’il existe une réelle opportunité de contrôler la menace mondiale posée par la situation pakistanaise.
Plus de deux millions de Pakistanais sont déplacés, pour la plupart depuis le mois de mai. L’insurrection a réussi à arracher le contrôle de vastes zones tribales gérées fédéralement, le district de Swat et le district voisin de Buner. Elle menace la province du Penjab - où vivent la plupart des Pakistanais et où se trouvent les armes nucléaires du pays - mais aussi de prendre le contrôle le siège du pouvoir à Islamabad. Le 20 mai, les Etats-Unis ont promis 110 millions de dollars pour l’aide d’urgence et le gouvernement américain veut faire approuver par le Congrès 7,5 milliards de dollars supplémentaires sur 5 ans pour stabiliser un gouvernement pakistanais chancelant. La communauté internationale a également promis 4 milliards de dollars le mois dernier à Tokyo. Les Talibans et Al Qaida sont encouragés à trouver un refuge dans des environnements où le développement humain a disparu et les groupes extrémistes apportent un certain appui de base à la population désespérée, gagnant ainsi sa confiance.
Si les Etats-Unis et la communauté internationale se joignent au gouvernement pakistanais pour renforcer les capacités de la population et réussissent à mettre en œuvre le développement stratégique au Pakistan, l’insurrection sera sapée, la stabilité renforcée et les populations elles-mêmes refuseront le retour des Talibans et d’Al Qaida.
L’envoyé spécial américain au Pakistan et en Afghanistan, Richard C. Holbrooke, et son équipe ont ainsi visité la région du conflit cette semaine pour évaluer non seulement comment répondre aux besoins pressants des personnes déplacées, mais aussi la solution à long terme largement reconnue (y compris par les chefs d’état-major) en matière de sécurité - économique, politique et le développement social. Les experts militaires estiment qu’environ 1 million de soldats sont nécessaires pour stabiliser un pays de cette taille - un engagement qui n’est envisageable que si le pire des scenarios se déroule.
Depuis le Plan Marshall jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale n’a été jamais été absolument obligée d’ajuster l’aide à la paix mondiale et à l’incalculable nombre de vies humaines en jeu.
Depuis 2001, les Etats-Unis ont dépensé 12 milliards de dollars pour aider les Pakistanais. La Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a laissé entendre que dans l’ensemble ces efforts étaient infructueux. Un échec à cette échelle heurte en fait la perception du public des Etats-Unis et de son propre gouvernement. Dans le climat qui règne actuellement au Pakistan, le défi de promouvoir un développement fructueux est bien plus grand et les mêmes approches à l’aide internationale aboutiront certainement aux mêmes malheureux résultats. La situation requiert de repenser l’entière l’approche utilisée en matière d’aide, en la fondant sur les enseignements tirés des expériences passées de développement au Pakistan et ailleurs.
Avant de décrire les stratégies à mettre en place pour dispenser l’aide, l’objectif général recherché doit être spécifié : impliquer les membres des villages locaux et de leur environnement pour qu’ils mettent en œuvre leurs propres projets de développement. Des avantages cruciaux en découlent. Economiquement, étant donné que les populations locales connaissent généralement mieux les opportunités viables et culturellement appropriées à leur propre environnement, les projets de développement qu’ils définissent (par rapport à ceux du gouvernement et des agences internationales) sont plus durables et génèrent davantage d’emplois et de meilleurs moyens de subsistance.
Sur le plan politique, le processus des populations locales identifiant et mettant en œuvre ensemble les projets est une forme participative de démocratie qui organise un mouvement de la population de la base vers le sommet. Sur le plan social, les groupes locaux qui planifient le développement, ce qui implique nécessairement l’échange d’idées et d’information, est en lui-même éducatif ; lorsque l’aide est orientée de manière à soutenir ces processus, la confiance publique est obtenue vis-à-vis des prestataires de l’aide, notamment du gouvernement. Avec le désordre qui règne au Pakistan, quels types d’initiatives peuvent faire avancer l’objectif de l’aide, où doivent-elles être initialement ciblées et comment peuvent-elles être mises en œuvre ? Premièrement, plus de la moitié des deux millions de réfugiés sont inscrits auprès du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
L’aide internationale doit être disponible pour veiller à financer entièrement ce programme d’inscription ; de même, il faut que les réfugiés sachent que l’objectif de l’aide annoncé sera scrupuleusement poursuivi et qu’elle ciblera initialement les communautés déplacées (dont une grande partie est issue du Swat), les franges appauvries de la province du Penjab et du district de Buner, rattaché au Penjab. Deuxièmement, près de 10% des réfugiés vivent dans des camps le long des routes, comme le sud du Swat, où se trouvent également les centres de distribution de nourriture. La colère et le conflit ne cesseront de grandir aussi longtemps que les populations seront dans les camps. Autant que possible, l’organisation des camps doit être similaire à celles des communautés locales spécifiques dont sont issus les réfugiés, afin que le dialogue concernant de nouveaux projets de développement puisse démarrer avant leur retour dans leurs communautés. Les voix locales à l’égard du développement local productif doivent être éveillées le plus tôt possible, ce qui devrait également galvaniser l’opinion populaire réceptive en faveur de la modération. Troisièmement, le modèle d’équipe provinciale de reconstruction utilisé en Irak et en Afghanistan avec un certain succès peut être amélioré à travers la formation d’équipes pakistanaises (avec un appui international respectable) chargées de transférer les compétences en facilitant les méthodes de planification du développement “participatif”. Ces méthodes (ayant recours à des membres et des dirigeants communautaires, à des représentants du gouvernement et de la société civile, aux instituteurs et étudiants universitaires) aident les groupes communautaires locaux à identifier et à hiérarchiser les projets de développement et à élaborer un plan d’action pour leur mise en œuvre. Les équipes construisent aussi des partenariats en impliquant les institutions publiques pakistanaises pertinentes dans les processus locaux de conception des projets. Enfin, la discussion devrait être accélérée avec le gouvernement pakistanais pour instituer des mesures qui décentralisent l’autorité chargée du développement au niveau du district et au niveau local, en simplifiant par exemple la création de groupes civils et politiques, qui peuvent à leur tour renforcer la souveraineté nationale. L’approche locale participative au développement est une alternative à l’approche descendante terriblement coûteuse et même nuisible à l’aide internationale déjà utilisée au Pakistan. La paix mondiale étant de plus en plus en jeu en raison de la situation actuelle du Pakistan, l’aide ascendante est l’alternative urgente à l’approche actuelle.

* Sociologue à l’université du nouveau Mexique à Albuquerque et président
de la Fondation du Haut Atlas,
une association à but non lucratif
pour le développement
communautaire au Maroc.


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