Action éducation : Investir durablement dans l’ avenir


Libé
Dimanche 31 Janvier 2021

Des jeunes du Nord du Maroc participent à une réunion communautaire (2020 par la Fondation du Haut Atlas).
Des jeunes du Nord du Maroc participent à une réunion communautaire (2020 par la Fondation du Haut Atlas).
Les chercheurs en sciences sociales de toutes les disciplines ont partagé une observation qui fera date. Ils ont constaté que les personnes qui appliquent des méthodes dans des contextes réels pour comprendre la vie sociale obtiennent plus d’éclaircissements sur le processus d’enquête que celles qui analysent sérieusement la même chose, mais sans application pratique sur le terrain. Nous apprenons mieux en faisant participer les gens dans les lieux qui incarnent nos questions – les communautés sur le terrain – non seulement pour glaner des informations sur nos sujets mais aussi pour répondre aux besoins des gens. L’apprentissage par la pratique fournit le contexte nécessaire à la réalisation de notre potentiel éducatif ainsi qu’à la croissance de l’humanité.

Reconnaître cela signifie également qu’il existe des pratiques vouées à l’échec, généralement ancrées dans des attentes rabougries quant aux résultats de la recherche, des conceptions biaisées entraînant des expériences sans intérêt. Cela peut conduire à des explications superficielles ou trompeuses des causes des phénomènes sociaux et, pire encore, à des remèdes détachés. Malheureusement, cette limitation informe la structure générale de la recherche et de l’enseignement supérieur et est également fixée dans l’infrastructure de l’apprentissage. Après tout, l’engagement interactif avec les communautés locales afin de les sensibiliser par l’expérience est une orientation pédagogique qui va à l’encontre des salles de classe où les chaises boulonnées sont orientées dans une seule direction, ce qui place les participants dans une position où ils n’ont pas suffisamment d’interface et d’engagement. Bien au-delà de tout doute crédible, les faits montrent également que notre capacité à intégrer des connaissances fondées sur l’expérience est fondamentalement toujours présente et n’a littéralement pas d’âge minimum. Les disciplines universitaires, considérées dans leur ensemble, se sont progressivement réformées vers ce qui a été réalisé à nouveau pendant le Siècle des Lumières en Occident : les étudiants doivent co-investir avec les communautés, avec une continuité entre la collecte de données et les actions visant à améliorer le bien-être. Nous constatons que les universités et les centres d’enseignement de tous âges – avec leurs administrations et leurs ressources correspondantes et de plus en plus spécialisées – apprécient de plus en plus de fournir aux étudiants une approche pratique pour intérioriser de manière significative la gamme des connaissances de la vie en affinant leurs capacités professionnelles et citoyennes. 

En apprenant par l’expérience les racines des défis sociaux, de la pauvreté, de la stratification sociale et du potentiel non réalisé de génération en génération, nous découvrons des caractéristiques de base communes. Il s’agit pour les membres des communautés locales de discuter de ces mêmes caractéristiques et d’identifier des projets locaux pour le changement, les moyens de subsistance et la justice. Il s’agit d’enquêter et de faire évoluer les réponses et les réactions qui, avec persistance, pénètrent les forces entremêlées qui mènent aux luttes et aux solutions socio-économiques et environnementales. Cela implique une personne qui aide à la communication entre les nombreux et divers acteurs qui s’expriment et dont les informations doivent être conservées, organisées et utilisées comme base principale pour la prise de décision. Cela implique également la réconciliation des douleurs passées, avec des excuses et des regrets transmis, et la détermination à atteindre un consensus et à créer les avantages personnels et communs auxquels aspire collectivement la population. Nous savons que les progrès, grands ou petits, ne semblent jamais être linéaires. Chaque contexte est unique. Des stratifications globales sous des formes insupportables se retrouvent dans les salles de classe. Et tout cela, cette chevauchée à travers les fragilités et l’espoir, réveille une quête permanente chez les jeunes en apprentissage pour aider à mettre en œuvre des initiatives communautaires qui semblent si justes, si équitables, si nécessaires et inexplicablement retardées. Cette expérience chez les jeunes peut être si convaincante que la trajectoire de leur vie devient nouvelle, imprévue et revigorée.

Je me considère chanceux d’avoir eu ce genre d’éducation essentielle au milieu de la vingtaine en tant que volontaire du Corps de la Paix des EtatsUnis au Maroc, suivi d’une étude d’action, et maintenant à la tête de la Fondation du Haut Atlas à Marrakech 27 ans plus tard. Je suis frappé lorsque de jeunes étudiants-stagiaires me rendent visite et sont immergés dans leurs analyses, leur observation, leur participation et leur soutien à la pratique des mouvements populaires pour le développement. Ces étudiants en année sabbatique et en fin d’études sont conscients des contradictions difficiles du travail et du potentiel de transformation de ce qui se passe lorsque les membres d’une communauté travaillent dans le cadre de discussions parfois difficiles pour trouver un consensus et avancer. Alors que nous célébrons cette semaine la Journée internationale de l’éducation 2021, j’exprime un souhait qui, je suppose, est habituel pour les anniversaires : que les salles de classe soient conçues comme des centres communautaires où les collégiens et lycéens, les élèves du primaire et les tout petits dessinent leurs cartes communautaires pour une planification participative, y compris en groupes de genre afin de révéler les perspectives, en décrivant leurs visions, les lieux qu’ils aiment et qu’ils estiment devoir améliorer, et les idées pour leur avenir. Nous espérons que les jeunes et les préadolescents pourront peser ensemble les priorités qu’ils aimeraient voir se concrétiser dans leur environnement, leur localité et leur classe. C’est ce vieux rêve, quand l’éducation devient de plus en plus une question d’éveil du cœur, des sentiments de chacun pour les sentiments des autres, des données des communautés remplies de relativité qui guide vers la durabilité, et la poursuite non seulement de la compréhension, mais aussi de l’amélioration intense chaque jour de la vie.

Action éducation : Investir durablement dans l’ avenir
Si, en effet, nous pouvons en savoir plus et avoir une incidence plus importante en faisant plus dans les communautés que nous ne le ferions par le biais de la théorie, comme l’ont dit des spécialistes des sciences sociales de renom, alors cela commence dès le début de l’éducation – ou même avant – lorsque les boulons des chaises sont jetés.

Par Dr. Yossef Ben-Meir 
Le Dr. Yossef Ben-Meir est président de la Fondation du Haut Atlas au Maroc.


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