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Accaparement des terres agricoles en Afrique : efficacité ou respect des droits ?


Par Mathieu Bédard *
Samedi 24 Avril 2010

Accaparement des terres agricoles en Afrique : efficacité ou respect des droits ?
L’accaparement des terres agricoles («land grabbing») en Afrique défraie les chroniques des médias s’intéressant à l’économie du développement. Ce nouveau phénomène choque : des sociétés privées ou des institutions provenant de pays riches ou émergents achètent des terres dans des pays pauvres (souvent dépendant de l’aide humanitaire) pour les cultiver. Selon une étude de l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires, plus de 3 millions d’hectares de terres africaines auraient été en négociations et/ou achetées par des investisseurs ou des institutions étrangères lors du premier trimestre de 2009.
En Éthiopie, un pays dépendant de l’aide alimentaire pour nourrir 4 millions de personnes, on assiste par exemple à des expropriations musclées menées par ces sociétés à la pointe du fusil et avec la bénédiction de l’Etat. Ces pratiques sont fréquemment qualifiées de «néo-colonialisme », de  «spéculation», d’effet pervers de la «mondialisation libérale» et des «marchés libres». La confusion
intellectuelle règne autour du  phénomène, d’autant qu’un terme, fondamental, apparait trop peu souvent dans la couverture qu’en font nos médias : «l’expropriation».
Il est vrai qu’il n’est pas facile de convenir d’une définition précise de ce qu’on appelle désormais le «land grabbing ». La diversité des systèmes et des cultures juridiques, des différents régimes fonciers et les caractéristiques de chacune de ces implantations agricoles étrangères en Afrique compliquent cette  tâche. Le phénomène auquel il
est fait allusion a pourtant toujours
deux caractéristiques :
une transaction entre l’État et
une société d’exploitation agricole
étrangère, et la violation
de droits individuels des
citoyens sur ces terres agricoles.
Comment expliquer que
ces expropriations se fassent si
facilement?
Le premier problème est
que souvent en Afrique les
droits de propriété privée ne
sont pas, ou très peu, reconnus.
Les fermiers originaires
n’ont accès à aucun titre formel
ni de juridictions «officielles»
où faire valoir leurs droits traditionnels.
En effet, les droits
de propriété fonciers en
Afrique sont souvent d’une
tradition plus communautaire
que leur contrepartie occidentale.
Mais cela ne signifie pas
qu’ils n’existent pas ou qu’ils
ne sont pas légitimes.
Historiquement, ces droits
individuels étaient définis par
les coutumes locales de la tradition
tribale concernée. Les
Anciens avaient un rôle important
non seulement dans la
résolution des disputes, mais
étaient aussi source du droit.
Ce que la colonisation avait pu
laisser des droits individuels
«communautarisés» de propriété
fut remplacé par une
collectivisation centralisée un
peu partout en Afrique avec la
vision socialiste et nationaliste
des indépendances. La proximité
et la sagesse de l’ancien
furent remplacées par la soidisant
efficacité du bureaucrate
planificateur.
Ensuite, non seulement la
propriété traditionnelle n’est
plus respectée et remplacée
par la propriété étatique, mais
des bureaucrates très souvent
corrompus sont aux commandes
des droits sur les
terres. Dans le cas des expropriations
dites de «land grabbing
», les transactions des
sociétés ou institutions étrangères
avec les États africains
peuvent atteindre plusieurs
milliards de dollars, la transaction
la plus importante rapportée
serait de 4 milliards USD
entre l’Inde et l’Éthiopie.
Comme le rapportent de nombreuses
ONG surveillant cette
problématique, les élites africaines
sont plus qu’incitées à
bafouer les droits individuels
traditionnels pour leur compte.
Les paysans originaires
voient donc leurs terres qualifiées
de «non-propriété disponible
». Il serait pourtant une
erreur de ne pas y voir une
expropriation.
Un argument en faveur du
land grabbing est mis en avant
de manière récurrente par ses
promoteurs: l’efficacité économique.
Le gouvernement de
l’Éthiopie justifie par exemple
avoir cédé des terres arables à
des sociétés agricoles saoudiennes
et indiennes en invoquant
certains des avantages
liés à l’investissement étranger
: introduction de nouvelles
technologies, création d’emplois,
retombées économiques
positives.
Mais cette évaluation des
avantages du «land grabbing»
occulte le fait qu’il repose sur
l’expropriation, qui est un problème
de non-respect des
droits individuels et qui passe
avant les problèmes d’efficacité
économique. Le rôle de la loi
n’est en effet pas d’optimiser
«l’efficacité sociale» de l’usage
de la propriété mais de respecter
la propriété. L’efficacité
économique est une bonne
chose, mais elle doit être
subordonnée au respect des
droits individuels.
Ici une clarification s’impose.
Le lien est souvent fait entre
«land grabbing» et «mondialisation
libérale». Il est vrai que
la mondialisation est souvent
défendue par les libéraux sous
l’angle de l’efficacité. Ensuite
ce processus de contrats internationaux
est effectivement
symptomatique de la mondialisation.
Pourtant il est erroné
de penser que les libéraux
puissent défendre le «land
grabbing» tel que défini plus
haut. Le message de la tradition
libérale est en effet une
défense du libre marché et de
la mondialisation, mais avant
tout, sur la base du respect des
droits individuels : le droit de
contracter librement suppose
d’abord le respect du droit de
propriété.
Le «land grabbing» n’est
donc pas un problème de
«mondialisation libérale»,
mais bien une violation des
droits individuels, justement
dénoncée par la tradition libérale.
Ensuite, il faut se garder
d'extrapoler pour conclure que
tout investissement étranger
est violation de droits : dans
les cas où les véritables détenteurs
des droits cèdent ceux-ci
à des investisseurs, étrangers
ou non, il n’y a absolument
aucune raison de s’immiscer
dans cet accord privé, unanime
entre les parties concernées et
mutuellement bénéfique.
Enfin, laisser ce débat glisser
sur le terrain de l’efficacité économique
constitue une dérive
faisant place à l’autoritarisme
et niant les droits individuels
des Africains. Et si l’Afrique
doit se sortir du marasme économique,
ce sera sûrement
avec un peu moins d’autoritarisme
et davantage de respect
des droits individuels.

* Analyste sur www.unmondelibre.org.


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