Voici ce qu’en pense Abdelaâli Benchekroun, chercheur et consultant en ESS.
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Abdelaâli Benchekroun : Le contexte de la crise économique et de la mondialisation a exacerbé le chômage, la pauvreté et la dégradation de l’environnement. Ce qui a favorisé l’émergence depuis quelques décennies des prémices d’une économie sociale et solidaire (ESS) susceptible de contribuer au traitement de ces problèmes selon une approche sociale. L’ESS est constituée d’associations, de coopératives, d’activités liées à l’insertion. Elle se caractérise théoriquement par la prédominance de la gouvernance démocratique, le partage égalitaire ou quasi- égalitaire des richesses produites, la gestion solidaire ainsi que le souci de l’environnement.
Quel diagnostic faites-vous du secteur coopératif au Maroc ?
Le « modèle de développement » économique marocain avait depuis longtemps eu recours à la promotion du secteur des coopératives surtout en agriculture, et particulièrement dans les filières laitière et sucrière. Récemment, une nouvelle loi des coopératives a été instaurée pour en faciliter les procédures. Leur création est désormais moins lente et peut se faire avec cinq personnes au lieu de sept.
Des conventions entre divers départements ont été lancées pour coordonner en quelque sorte le développement du secteur coopératif à travers la coordination des programmes et procédures et consolider le rôle de ces structures dans la lutte contre la pauvreté, la création d’emplois et l’intégration de l’agriculture et l’artisanat solidaire dans l’économie nationale. La nouvelle loi traduit une vision des décideurs pour renforcer la place des coopératives comme facteur de développement dans certains secteurs tels que l’artisanat, le tourisme rural ou l’agriculture en ciblant toujours de franges sociales en situation précaire. Nous constatons, à cet effet, une politique volontariste qui vise l’allégement des procédures, le développement du mouvement de création des coopératives et bien sûr l’organisation de l’octroi des subventions.
Ne pensez-vous pas qu’il y a toujours un problème de pérennisation de ces projets sociaux?
C’est une idée pertinente, car la consolidation du tissu coopératif et la pérennisation des projets de développement portés par ce tissu, sont en effet confrontées à certaines contraintes. Dans la pratique, l’implication des populations dans le choix et la conception des projets demeure relative. Ce qu’on appelle « l’approche participative » devrait réellement être mise en œuvre ou renforcée, pour privilégier et partir d’abord de l’écoute des artisans, des agriculteurs et des porteurs de projets sur leurs idées de projets, leurs besoins et leur motivation. La création de coopératives ne se fait toujours pas sur la base d’étude de faisabilité des projets et de leur viabilité, l’étude du marché et des conditions de commercialisation.
Les acteurs sociaux au sein des coopératives soulèvent toujours un manque d’accompagnement et de formation adaptés à leurs besoins?
Malheureusement, l’absence de formations spécifiques et transversales des coopérateurs porteurs de projets qui assureront la gestion de l’entreprise est une réalité. La problématique de la commercialisation laisse souvent les coopératives ou associations face à la concurrence d’autres secteurs: parfois la participation à des salons et des foires d’artisanat ou de produits du terroir, constitue une bouffée d’oxygène pour celles qui arrivent à y exposer.
Pensez-vous que le public ciblé par l’ESS assimile correctement sa philosophie et ses objectifs ?
La mentalité prédominante dénote une défaillance de l’esprit coopératif et sape souvent l’organisation. L’adhésion au projet suppose l’implication de soi-même et la responsabilisation, une certaine auto-prise en charge et la fin de l’assistanat dans ce secteur, car cet état d’esprit est différent de l’accompagnement ou de l’encadrement qui sont légitimes, souhaités et nécessaires. L’analphabétisme est un handicap pour les membres des coopératives à gérer avec rationalité et gouvernance leurs structures. Dans plusieurs cas de coopératives, il se constitue un noyau familial ou un individu (le gérant ?) qui tire le plus de profit de la structure de l’encadrement des membres de la coopérative, ce qui peut finir par instaurer une situation d’exploitation opportuniste.
Estimez-vous que les différents départements concernés par l’ESS mettent convenablement et efficacement leurs moyens en cohésion ?
Souvent dans les projets de coopératives ou d’associations, plusieurs institutions et départements interviennent sans la convergence ni la synergie ou la mutualisation des moyens et des compétences souhaitées. Ce qui ne facilite pas surtout le suivi-évaluation des coopératives et leur accompagnement qui sont une condition du succès de ces structures et leur pérennisation.
Peut-être qu’une instance de coordination serait une bonne idée pour veiller au bon choix du projet, à son démarrage, son décollage et son contrôle avec les réajustements s’il y a lieu
Certains secteurs, à l’instar de l’agriculture, ont lancé l’agrégation comme modèle d’organisation sectorielle. Est-ce que cette stratégie vous parait adaptable à l’ESS ?
C’est un modèle d’organisation autour d’opérateurs à forte assise et capacité managériale qui se veut être un partenariat gagnant-gagnant, surmontant les contraintes liées à la faiblesse des superficies et des moyens individuels. Il devrait permettre aux agrégés de tirer profit des techniques modernes, du financement et du marché que détient en principe l’agrégateur. Celui-ci étant souvent une unité de valorisation ou un grand producteur ou les deux à la fois. L’agrégation a connu des succès importants dans plusieurs pays de par le monde surtout dans des filières comme le sucre, les fruits, la volaille ou les viandes rouges.
Mais dans la réalité, ce dispositif requiert d’abord une réelle implication des agriculteurs et leur appropriation du système et des mécanismes d’agrégation. Le coaching devrait se dérouler au démarrage du projet d’agrégation, mais aussi après deux ou trois ans. D’où l’importance vitale de la promotion d’animateurs ruraux motivés qui, par leurs interventions d’encadrement, pourraient aider à la bonne marche des agrégées et de l’agrégation. Mais surtout il faut du chemin pour davantage « apprendre à travailler ensemble » et construire un rapport mutuellement plus confiant surtout pour affronter la problématique des prix d’approvisionnement que comptabilise l’agrégateur pour les productions des agrégés, peut-être via une péréquation et une véritable « RSA » (Responsabilité sociale de l’agrégateur).
Quelles perspectives pour l’ESS au Maroc et qu’en est-il des projets de coopération pour la promotion et le financement des projets AGR?
Les secteurs associatif et coopératif ainsi que l’agrégation, sont susceptibles de constituer les piliers d’un développement du tiers secteur qu’est l’ESS notamment dans le rural, le social, le solidaire. Ils recèlent objectivement des potentialités pour pouvoir jouer un rôle vital dans la promotion de l’économie sociale rurale, et permettre une vie décente à de larges franges de la population rurale et périurbaine. Pour ce qui est de la coopération internationale, et dans le domaine de l’ESS, il existe des programmes avec l’Union européenne ou des organismes internationaux qui relèvent des Nations unies, de la FAO ou des projets avec des ONG internationales dans l’accompagnement d’associations de développement ou de coopératives. Ces projets concernent également la mise à niveau, l’assistance technique, la formation, des projets d’infrastructures hydro-agricoles ou de développement sectoriels. Il faut davantage s’assurer que tous ces projets ont été affectés aux bons endroits et profitent au maximum. Dans ce contexte, besoin en est d’approfondir l’approche volontariste de ces stratégies ESS. Ainsi la vision relative à ces structures requiert une révision sensible, pour que celles-ci atteignent le niveau de performance et de bonne gouvernance nécessaire et puissent accomplir leur mission socio-économique et promouvoir l’émergence d’un secteur alternatif avec le bien-être de l’Homme au centre du dispositif d’ensemble.
Abdelaâli Benchekroun : Le contexte de la crise économique et de la mondialisation a exacerbé le chômage, la pauvreté et la dégradation de l’environnement. Ce qui a favorisé l’émergence depuis quelques décennies des prémices d’une économie sociale et solidaire (ESS) susceptible de contribuer au traitement de ces problèmes selon une approche sociale. L’ESS est constituée d’associations, de coopératives, d’activités liées à l’insertion. Elle se caractérise théoriquement par la prédominance de la gouvernance démocratique, le partage égalitaire ou quasi- égalitaire des richesses produites, la gestion solidaire ainsi que le souci de l’environnement.
Quel diagnostic faites-vous du secteur coopératif au Maroc ?
Le « modèle de développement » économique marocain avait depuis longtemps eu recours à la promotion du secteur des coopératives surtout en agriculture, et particulièrement dans les filières laitière et sucrière. Récemment, une nouvelle loi des coopératives a été instaurée pour en faciliter les procédures. Leur création est désormais moins lente et peut se faire avec cinq personnes au lieu de sept.
Des conventions entre divers départements ont été lancées pour coordonner en quelque sorte le développement du secteur coopératif à travers la coordination des programmes et procédures et consolider le rôle de ces structures dans la lutte contre la pauvreté, la création d’emplois et l’intégration de l’agriculture et l’artisanat solidaire dans l’économie nationale. La nouvelle loi traduit une vision des décideurs pour renforcer la place des coopératives comme facteur de développement dans certains secteurs tels que l’artisanat, le tourisme rural ou l’agriculture en ciblant toujours de franges sociales en situation précaire. Nous constatons, à cet effet, une politique volontariste qui vise l’allégement des procédures, le développement du mouvement de création des coopératives et bien sûr l’organisation de l’octroi des subventions.
Ne pensez-vous pas qu’il y a toujours un problème de pérennisation de ces projets sociaux?
C’est une idée pertinente, car la consolidation du tissu coopératif et la pérennisation des projets de développement portés par ce tissu, sont en effet confrontées à certaines contraintes. Dans la pratique, l’implication des populations dans le choix et la conception des projets demeure relative. Ce qu’on appelle « l’approche participative » devrait réellement être mise en œuvre ou renforcée, pour privilégier et partir d’abord de l’écoute des artisans, des agriculteurs et des porteurs de projets sur leurs idées de projets, leurs besoins et leur motivation. La création de coopératives ne se fait toujours pas sur la base d’étude de faisabilité des projets et de leur viabilité, l’étude du marché et des conditions de commercialisation.
Les acteurs sociaux au sein des coopératives soulèvent toujours un manque d’accompagnement et de formation adaptés à leurs besoins?
Malheureusement, l’absence de formations spécifiques et transversales des coopérateurs porteurs de projets qui assureront la gestion de l’entreprise est une réalité. La problématique de la commercialisation laisse souvent les coopératives ou associations face à la concurrence d’autres secteurs: parfois la participation à des salons et des foires d’artisanat ou de produits du terroir, constitue une bouffée d’oxygène pour celles qui arrivent à y exposer.
Pensez-vous que le public ciblé par l’ESS assimile correctement sa philosophie et ses objectifs ?
La mentalité prédominante dénote une défaillance de l’esprit coopératif et sape souvent l’organisation. L’adhésion au projet suppose l’implication de soi-même et la responsabilisation, une certaine auto-prise en charge et la fin de l’assistanat dans ce secteur, car cet état d’esprit est différent de l’accompagnement ou de l’encadrement qui sont légitimes, souhaités et nécessaires. L’analphabétisme est un handicap pour les membres des coopératives à gérer avec rationalité et gouvernance leurs structures. Dans plusieurs cas de coopératives, il se constitue un noyau familial ou un individu (le gérant ?) qui tire le plus de profit de la structure de l’encadrement des membres de la coopérative, ce qui peut finir par instaurer une situation d’exploitation opportuniste.
Estimez-vous que les différents départements concernés par l’ESS mettent convenablement et efficacement leurs moyens en cohésion ?
Souvent dans les projets de coopératives ou d’associations, plusieurs institutions et départements interviennent sans la convergence ni la synergie ou la mutualisation des moyens et des compétences souhaitées. Ce qui ne facilite pas surtout le suivi-évaluation des coopératives et leur accompagnement qui sont une condition du succès de ces structures et leur pérennisation.
Peut-être qu’une instance de coordination serait une bonne idée pour veiller au bon choix du projet, à son démarrage, son décollage et son contrôle avec les réajustements s’il y a lieu
Certains secteurs, à l’instar de l’agriculture, ont lancé l’agrégation comme modèle d’organisation sectorielle. Est-ce que cette stratégie vous parait adaptable à l’ESS ?
C’est un modèle d’organisation autour d’opérateurs à forte assise et capacité managériale qui se veut être un partenariat gagnant-gagnant, surmontant les contraintes liées à la faiblesse des superficies et des moyens individuels. Il devrait permettre aux agrégés de tirer profit des techniques modernes, du financement et du marché que détient en principe l’agrégateur. Celui-ci étant souvent une unité de valorisation ou un grand producteur ou les deux à la fois. L’agrégation a connu des succès importants dans plusieurs pays de par le monde surtout dans des filières comme le sucre, les fruits, la volaille ou les viandes rouges.
Mais dans la réalité, ce dispositif requiert d’abord une réelle implication des agriculteurs et leur appropriation du système et des mécanismes d’agrégation. Le coaching devrait se dérouler au démarrage du projet d’agrégation, mais aussi après deux ou trois ans. D’où l’importance vitale de la promotion d’animateurs ruraux motivés qui, par leurs interventions d’encadrement, pourraient aider à la bonne marche des agrégées et de l’agrégation. Mais surtout il faut du chemin pour davantage « apprendre à travailler ensemble » et construire un rapport mutuellement plus confiant surtout pour affronter la problématique des prix d’approvisionnement que comptabilise l’agrégateur pour les productions des agrégés, peut-être via une péréquation et une véritable « RSA » (Responsabilité sociale de l’agrégateur).
Quelles perspectives pour l’ESS au Maroc et qu’en est-il des projets de coopération pour la promotion et le financement des projets AGR?
Les secteurs associatif et coopératif ainsi que l’agrégation, sont susceptibles de constituer les piliers d’un développement du tiers secteur qu’est l’ESS notamment dans le rural, le social, le solidaire. Ils recèlent objectivement des potentialités pour pouvoir jouer un rôle vital dans la promotion de l’économie sociale rurale, et permettre une vie décente à de larges franges de la population rurale et périurbaine. Pour ce qui est de la coopération internationale, et dans le domaine de l’ESS, il existe des programmes avec l’Union européenne ou des organismes internationaux qui relèvent des Nations unies, de la FAO ou des projets avec des ONG internationales dans l’accompagnement d’associations de développement ou de coopératives. Ces projets concernent également la mise à niveau, l’assistance technique, la formation, des projets d’infrastructures hydro-agricoles ou de développement sectoriels. Il faut davantage s’assurer que tous ces projets ont été affectés aux bons endroits et profitent au maximum. Dans ce contexte, besoin en est d’approfondir l’approche volontariste de ces stratégies ESS. Ainsi la vision relative à ces structures requiert une révision sensible, pour que celles-ci atteignent le niveau de performance et de bonne gouvernance nécessaire et puissent accomplir leur mission socio-économique et promouvoir l’émergence d’un secteur alternatif avec le bien-être de l’Homme au centre du dispositif d’ensemble.