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A quoi servent les rapports d’ activité des institutions de gouvernance ?


Libé
Jeudi 24 Septembre 2020

Le 30 juin de chaque année constitue une date importante dans la vie de bon nombre d’institutions et d’instances régies par le titre XII de la dernière Constitution marocaine dédié à la « bonne gouvernance », celles mises en place antérieurement à la Constitution de 2011 par Dahir conformément à l’article 19 de la Constitution de 1996, puis hissées au rang d’institutions et d’instances constitutionnelles et réorganisées par texte de loi, et d’autres nouvellement créées. La Constitution a particulièrement souligné que ces institutions, en charge de «la bonne gouvernance »,sont indépendantes et les a déclinées en 3 types :

Les instances de protection et de promotion des droits de l’Homme dont : le Conseil national des droits de l’Homme, le Médiateur, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger et l’Autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes les formes de discrimination ;
Les instances de bonne gouvernance et de régulation dont : la Haute autorité de la communication audiovisuelle, le Conseil de la concurrence et l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption ;
Les instances de promotion du développement humain et durable et de la démocratie participative dont : le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance et le Conseil de la jeunesse et de l’action associative.

L’article 160 de la Constitution impose à ces institutions et instances de réaliser un rapport sur leurs activités, au moins une fois par an. Ces rapports sont présentés au Parlement et y font l’objet de débat. Certains des textes législatifs relatifs à la réorganisation ou à la création desdites institutions et instances ont souligné la nécessité de réaliser ces rapports annuellement et ce, avant le 30 juin, tandis que d’autres textes se sont accordés sur l’annualité prévue par la Constitution, sans préciser de date à cet effet. Certaines institutions et instances ont même prévu au niveau de leurs règlements intérieurs des dispositions plus détaillées concernant les rapports précités, notamment leurs contenus, la méthodologie adoptée et l’entité qui en est en charge. 

Le benchmark fait ressortir que les rapports établis par les institutions et instances similaires, ont pour principal objectif d’apporter suffisamment d’informations sur l’état du secteur concerné et ce, malgré la différence des missions imparties, des secteurs objet de la régulation, des enjeux politiques induits par la particularité du contexte historique de chaque pays. Ces informations sont considérées comme stratégiques et sensibles par nature, étant en rapport avec les droits et libertés. Les rapports d’activité retracent les évolutions et les problématiques, ainsi que les difficultés et contraintes que rencontrent les secteurs concernés et les enjeux auxquels ils sont confrontés ; ceux-ci sont également des leviers de mesure du travail de ces institutions et instances à travers la présentation d’un aperçu globalsur les actions qu’elles mènent et de l’évaluation des résultats de leurs exercices, en vue d’avoir un état des lieux sur les difficultés rencontrées dans le cadre de l’accomplissement de leurs missions et attributions.

Lesditsrapports contiennent, par ailleurs, les prévisions pluriannuelles pour l’optimisation des dépenses et pour l’évaluation de l’impact prévisionnel des processus de recrutement, mais également sur l’ensemble des charges de ces institutions. Il y est également fait état des mesures projetées en vue de mutualiser, le cas échéant, les moyens avec les autres institutions et instances, voire les secteurs ministériels en vue d’une rationalisation et d’une réelle gouvernance des secteurs régulés. Ces rapports font également l’objet de présentations et de discussions devant le Parlement, et font l’objet d’une très large diffusion auprès du public, conformément au devoir d’équité et de transparence qui sont le fondement même de l’action de ces institutions.

Pour le Maroc, et conformément à la Constitution, aux textes législatifs encadrant ces institutions et à certains de leurs règlements intérieurs :
Le Conseil national des droits de l’Homme soumet annuellement à Sa Majesté le Roi un rapport sur l’état des droits de l’Homme au Royaume. De plus, le président du Conseil présente une fois par an, conformément aux dispositions constitutionnelles, un rapport d’activité qui fait l’objet de discussion devant le Parlement. Ces rapports sont publiés au Bulletin officiel.
Majesté le Roi, avant fin juin,son rapport d’activité annuel, qui concerne notamment un état exhaustif des plaintes et des demandes, un état des traitements effectués, un état des actions de l’institution en termes de recherche, d’orientation et de renseignement, un état des résultats et leur impact sur le traitement des doléances et la défense des droits des plaignants et également des traitements ayant abouti à classement pour rejet ou se situant hors champ de compétence de l’institution et un résumé des réponses reçues par l’administration au sujet des questions dont elle a été saisie par l’institution.

Ce rapport doit également contenir les données concernant les manquements et lacunes rencontrés dans la relation administration/administrés, les recommandations du Médiateur et ses propositions concernant les mesures à prendre pour faciliter la collecte des doléances, fluidifier les procédures administratives, améliorer le fonctionnement de l’administration, institutionnaliser le principe de transparence, de gouvernance et de moralisation des services publics, en passant par l’ajustement des dysfonctionnements relevés et la révision des textes législatifs et réglementaires relatifs au fonctionnement et aux missions de l’administration. De plus, ce rapport doit faire état des données complémentaires relatives aux ajustements et améliorations opérés par les autorités compétentes à la lumière des recommandations et propositions de l’institution. Ledit rapport doit par ailleurs indiquer les axes d’action de l’institution sur le court/moyen terme et un récapitulatif sur la gestion administrative et financière de celle-ci, ainsi qu’un résumé du rapport de la commission d’audit indiqué dans la loi relative à cette institution. Ce rapport est publié au Bulletin officiel et largement diffusé

Le président du Médiateur adresse une copie du rapport précité au chef du gouvernement, et aux présidents de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers. Un résumé en est présenté devant le Parlement une fois par an et fait l’objet de discussion. La Haute Autorité de la communication audiovisuelle présente également annuellement, avant le 30 juin, un rapport de ses activités et actions durant l’année écoulée, son président le soumet à Sa Majesté le Roi et le transmet au chef du gouvernement et aux présidents des deux Chambres du Parlement. Ce rapport doit particulièrement contenir l’état du service audiovisuel public, notamment, en matière de pluralisme, de respect de la déontologie des programmes, de la capacité des opérateurs à remplir les missions de service public leur incombant, la situation de la production audiovisuelle nationale, notamment l’accès des sociétés privées de production audiovisuelle aux marchés publics dédiés à la production audiovisuelle et ce, dans le cadre des appels d’offres, ainsi que la part des petites, moyennes et très petites entreprises. Ledit rapport doit également préciser la part de la publicité, les interactions avec les plaintes reçues et les issues qui leur ont été réservées et ce, conformément aux dispositions relatives au traitement des plaintes. Ce rapport doit, par ailleurs, indiquer les propositions de la Haute Autorité visant le développement du secteur. Cette institution présente un rapport de ses activités devant chacune des Chambres du Parlement et peut faire l’objet de discussion. La même chose pour le Conseil de la concurrence qui présente chaque année, avant le 30 juin, un rapport de ses activités pour l’année écoulée, soumis par son président à Sa Majesté le Roi, et transmis au chef du gouvernement. Les décisions et les avis du Conseil sont joints audit rapport. Ce dernier est publié au Bulletin officiel. Le président du Conseil présente le rapport d’activités devant chacune des deux Chambres du Parlement.

Ce rapport est supposé fournir une analyse de l’état de la concurrence au Maroc durant l’année concernée et, en dehors de la décision d’amnistie, il doit retracer les décisions, avis et recommandations émis par ses soins, ainsi que l’état de suivi de leurs exécutions et les résultats et recommandations des études commanditées par le Conseil de la concurrence. Pour l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption, elle présente également un rapport de ses activités, au moins une fois par an, devant le Parlement pour faire l’objet de discussion. Il comprend, notamment, un état des plaintes et dénonciations reçues, un état des cas non traités par l’instance, un état sur les recherches et contrôles effectués par l’instance et leurs issues

Ce rapport contient également un récapitulatif des entraves rencontrées par l’instance dans l’exercice de ses missions, ses recommandations et ses propositions en vue de l’institutionnalisation du principe de transparence, de gouvernance et de moralisation des services publics, ainsi que la mise à niveau des dysfonctionnements constatés. Il doit également présenter les propositions de modifications législatives et réglementaires encadrant le champ d’intervention de l’instance. Ce rapport est publié au Bulletin officiel. Dans le même registre, le projet de loi relatif à cette instance, approuvé récemment en Conseil de gouvernement, dans l’attente de le soumettre au Parlement pour son approbation, procédera à la modification des dispositions relatives au contenu de ce rapport, il doit contenir notamment, une évaluation de la politique de lutte contre la corruption et un diagnostic de sa situation, un état des activités de l’instance et de ses projections à venir, l’issue réservée aux recommandations introduites au niveau de son rapport précédent, un état des plaintes et dénonciations reçues et des cas qu’elle a traités, un état des traitements qu’elle a opérée durant l’année concernée, les recherches et contrôles qu’elle a effectués et les résultats réalisés sur ce volet et, enfin, un état des entraves qu’elle a rencontrées dans l’exercice de ses missions.

Le rapport d’activités contient également les recommandations de l’instance et ses propositions adressées au gouvernement, aux institutions publiques, aux collectivités territoriales et aux autres personnes de droit public et des institutions du secteur privé concernant les dispositions à prendre en vue de l’institutionnalisation du principe de transparence, de gouvernance, de moralisation des services publics, ainsi que les propositions de l’instance en vue de la révision des textes législatifs et réglementaires encadrant son champ d’intervention. Le président de l’instance soumet à Sa Majesté le Roi le rapport annuel précité et le présente devant le Parlement qui le discute lors de sa réunion plénière. Il est également publié au Bulletin officiel. En ce qui concerne les instances de promotion du développement humain et durable et de la démocratie participative, le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique présente au moins une fois par an un rapport retraçant ses réalisations pour l’année écoulée et ses projections pour l’année à venir. Le président du Conseil soumet ce rapport à Sa Majesté le Roi et le publie au Bulletin officiel. Ledit rapport fait l’objet de discussion devant le Parlement. 

Concernant le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance et le Conseil de la jeunesse et de l’action associative, ils préparent au moins une fois par an un rapport d’activités qui est soumis, par leurs présidents respectifs, à Sa Majesté le Roi et publiés au Bulletin officiel. Ilsfont l’objet de discussion devant le Parlement. Malgré toutes les remarques pouvant être soulevées concernant les rapports d’activités précités, notamment, l’incohérence des dispositions s’y rapportant, ils doivent être préparés par chacune des institutions et instances en fonction de leurs missions et des contenus qu’ils doivent mettre en exergue.

Il est également nécessaire de souligner l’avis du Conseil constitutionnel, dansle passé, et celui de la Cour constitutionnelle actuellement concernant ces institutions et instances, notamment la question de leur indépendance et leur relation avec l’institution législative. De ce fait, nous considérons que ces rapports constituent un instrument pour évaluer l’activité de ces institutions et instances et pour s’arrêter sur leur capacité à être des instances de « bonne gouvernance » se caractérisant réellement par l’intégrité et la transparence dans la gestion des secteurs et champs dont elles sont investies. Par conséquent, il est nécessaire :

En premier lieu, que ces institutions et instances préparent ces rapports avec régularité en veillant au sérieux et au professionnalisme dans cette action ;

En deuxième lieu, mettre en place des délais précis, tel que légalement requis, pour que ces institutions et instances les mettent à la disposition des acteurs et du reste des institutions et des autres autorités et du public. Il est également primordial de respecter ces délais, d’autant plus que la pratique démontre le non-respect de certaines instances de ces délais ;

En troisième lieu, ces rapports doivent contenir suffisamment de données et d’informations pertinentes et exactes, ce qui en fera une source essentielle d’information et une référence incontournable pour les acteurs, le gouvernement, le Parlement et le reste des institutions et des citoyens. Ils présenteront également une image fidèle et claire du secteur ou du champ concerné en toute transparence, d’autant plus que certaines instances non constitutionnelles ayant réussi à réaliser des rapports très intéressants constituent des sources crédibles faisant foi.
 

L’ensemble de ces mesures sont de nature à nous fournir une image réelle du degré de réussite de ces institutions et instances à être des instances « de bonne gouvernance », non seulement dans leur gestion et supervision des secteurs ou champs leur incombant, mais également concernant leur gestion interne, administrative et financière (mode de fonctionnement, processus de recrutement, liquidation du budget) pour qu’elles deviennent un exemple à suivre en matière de gouvernance. Ceci permettra par ailleurs à leurs actions d’être empreintes de transparence, d’intégrité, de neutralité et d’objectivité qui sont autant de qualités fondamentales pour ce type d’institutions et d’instances. Ce n’est qu’à ce titre que leur indépendance sera effectivement renforcée.

Par Hicham Madacha
Universitaire spécialiste des sciences politiques et du droit public


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