​Najat Razi, ex-présidente de l’Association marocaine pour les droits des femmes et membre du Collectif Printemps de la dignité

La politique gouvernementale consacre l’inégalité et la discrimination


Propos recueillis par Mourad Tabet
Samedi 7 Mars 2015

​Najat Razi, ex-présidente de l’Association marocaine pour les droits des femmes  et membre du Collectif Printemps de la dignité
Libé : Quel bilan dressez-vous de la condition de la femme durant l’année écoulée? 

 Najat Razi : Le 8 mars 2015 coïncide avec un évènement international, à savoir le 20ème anniversaire de la Conférence de Pékin sur les femmes (Pékin +20). La question qui s’impose est la suivante : quel bilan peut-on faire dans ce sens ? La quatrième conférence mondiale sur les femmes s’est tenue en 1995 sous l’égide de l’ONU à Pékin en Chine où tous les gouvernements du monde entier y compris le Maroc ont adopté le plan d’action de Pékin visant à éliminer toute forme de discrimination envers les femmes. Le Maroc s’était engagé à mettre en œuvre ce plan. Mais 20 ans après,  qu’est-ce que notre pays a réalisé dans ce domaine? Qu’est-ce qu’il va présenter à l’occasion de la Journée internationale de la femme surtout que  le 8 Mars coïncide cette année avec la 59ème session de la Commission de la condition de la femme qui se déroulera du 9 au 20 mars 2015, au siège des Nations unies à New York et qui examinera les progrès réalisés dans la mise en œuvre du Plan de Pékin de 1995.

 L’on sait que les associations féminines marocaines ont préparé un rapport parallèle. Quelle en est la teneur?

 Il y a, en effet, deux constats qui marquent ce rapport. Le premier a trait aux écarts qui ne cessent de se creuser entre les hommes et les femmes au niveau du droit. Les femmes meurent encore pendant l’accouchement, le chômage est plus élevé chez les femmes que chez les hommes, le taux d’analphabétisme  est plus grand chez les femmes surtout dans le monde rural. 
Le deuxième constat porte sur la lenteur des réformes qui ont été lancées avant l’arrivée du gouvernement Benkirane. On peut dire sincèrement qu’il n’y a pas seulement stagnation là-dessus mais pis, une régression et un retour en arrière. A preuve, les projets de réformes qui ont été lancés il y a cinq ans par exemple, ont été revus et modifiés dans un sens consacrant l’inégalité et la discrimination.
Un autre exemple de cette régression concerne la montée en puissance du discours conservateur qui dénigre la femme. Le discours du chef du gouvernement regorge d’exemples et de phrases humiliant la femme. Il a défendu  à plusieurs reprises  l’idée selon laquelle celle-ci a un rôle traditionnel, subalterne et inférieur dans la société lorsqu’il a considéré les femmes comme des « lustres de maison ». Pire encore, il a même tenu des propos à connotation sexuelle  pour intimider les femmes. On est donc face à la montée d’un discours conservateur humiliant pour la femme. Car avant l’arrivée de ce gouvernement, ce discours n’existait pas. A vrai dire, ce discours régnait dans la société, mais ce qui se passe actuellement, c’est que l’Etat le consacre officiellement. L’Etat exerce la violence à l’égard des femmes car le chef du gouvernement représente en fait l’Etat. 

Vous avez parlé de régression et de quelques projets qui ont été élaborés avant 2011 et qui ont été enterrés après l’arrivée de ce gouvernement. Pourriez-vous nous en donner quelques exemples ?

Aucun des projets de réformes qui ont été lancés avant 2011 n’a abouti jusqu’à présent. La refonte du Code pénal a été discutée depuis 2009. En 2010, nous avons présenté un mémorandum et on a eu des contacts avec le gouvernement et on a même mis en place un partenariat en vue de préparer ce projet. En dépit de cet effort, ledit projet a été enterré avec l’arrivée de ce gouvernement et un autre projet qui consacre l’inégalité et la discrimination entre les femmes et les hommes et qui a fait fi de nos revendications a été préparé. 
Le deuxième chantier de réformes concerne le Code de la famille, notamment l’interdiction du mariage des mineures. Après cinq ans de mise en application de celui-ci, on a demandé à ce qu’il soit mis fin à l’autorisation de mariage pour les mineures, car elle est devenue une règle et non une exception. Dans ce sens, des groupes parlementaires ont soumis des textes de loi, mais ces derniers ont été réduits à néant. Et un nouveau projet de loi a été élaboré par ce gouvernement pour consacrer la même réalité qu’on a déjà dénoncée. 
L’autre exemple qui reflète cette régression concerne le projet de loi contre la violence. Celui-ci a été adopté en Conseil de gouvernement en 2010. Il était plus ou moins avancé et conforme aux normes internationales, mais il a été gelé sous ce gouvernement qui a préparé un nouveau texte consacrant la discrimination. A titre d’exemple, il dispose que les centres d’hébergement sont ouverts seulement pour les femmes non mariées victimes de violence, mais il exclut les femmes mariées qui sont, selon la vision conservatrice, sous la tutelle de leurs maris. 
Il y a également régression de la relation entre le gouvernement et les associations de la société civile. Il n’y a aucun dialogue ni concertation. La ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social prétend qu’elle est ouverte à la société civile, mais c’est faux. Même nos mémorandums ne sont pas pris en considération. Elle privilégie seulement les associations caritatives proches du PJD ou du moins celles qui partagent la même vision idéologique conservatrice que lui. Par contre, aucune des associations qui sont actives et qui militent dans le domaine des droits des femmes depuis plus de 25 ans, n’a été sollicitée, ni consultée alors que ces associations étaient considérées comme un partenaire incontournable par tous les gouvernements antérieurs à celui de Benkirane.

La Constitution de 2011 a consacré plusieurs droits pour les femmes, mais on constate un retard dans la mise en œuvre de ses dispositions. Cela est-il dû, selon vous, à un manque de volonté politique ou à autre 
chose ?


 Effectivement, la question essentielle qu’on doit se poser à l’occasion du 8 Mars 2015 est la suivante : qu’en est-il de l’opérationnalisation de la Constitution 2011 notamment en ce qui concerne ses dispositions relatives aux droits des femmes? Pour nous, il n’y a aucune avancée là-dessus. Les statistiques montrent, au contraire,  qu’il y a une régression des droits économiques, sociaux, politiques et civiques. Quant à la mise en place de l’Autorité de la parité et de la lutte contre toutes les discriminations, une commission a été créée en 2012 pour  étudier le projet de loi relatif à cette autorité. On a adressé un mémorandum dans ce sens au gouvernement en juin 2012, mais on n’a reçu aucune réponse, aucune séance de travail n’a été tenue avec une association défendant les droits des femmes, et pis encore le projet a été élaboré en catimini alors que nous avons droit à l’information, ce qui constitue un autre aspect de la régression dont j’ai parlé auparavant. Notre surprise a été  grande lorsque nous nous sommes rendu compte qu’un projet de loi a été soumis aux membres de l’Exécutif. La version publiée par le portail du Secrétariat général du gouvernement n’a pris en compte aucune des revendications que la coalition Printemps pour l’égalité et la démocratie a présentées dans un mémorandum. Cette autorité aura seulement une mission consultative selon le projet gouvernemental, alors que notre objectif visait à ce qu’elle ait un rôle d’investigation et de suivi.  Nous souhaitions que cette autorité élabore des rapports, qu’elle ait le droit d’intervenir dans les cas où il y a violation des droits de la femme, qu’elle propose des lois, et qu’elle étudie les plaintes qui lui sont soumises. L’autorité telle qu’elle figure dans ce projet de loi est une instance qui agit sur commande. 

La ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, Bassima  Hakkaoui, a élaboré un plan dénommé « Ikram ». Pourquoi l’avez-vous rejeté ?   

 Nous ne sommes pas contre le plan gouvernemental pour l’égalité, mais nous avons plusieurs remarques concernant ce sujet. Il y a eu un plan dénommé « Agenda pour  l’égalité » élaboré par l’ancienne ministre Nezha Sqalli. Cet agenda a été adopté par le Conseil de gouvernement et financé par l’UE. Le gouvernement Benkirane était donc dans l’obligation de respecter les engagements du Maroc à l’égard de l’UE et de la communauté  internationale. Mais il a pris cet agenda et l’a modifié en lui donnant une nouvelle dénomination, à savoir  « Le plan gouvernemental de l’égalité en perspective de la parité 2012-2016 » et il a même ajouté un sous-titre Ikram. La première remarque que nous avons faite, c’est que l’égalité est la fin, alors que la parité n’est qu’un moyen pour atteindre cette fin.  Nous avons également contesté l’utilisation du mot «Ikram» qui a, pour nous, une connotation paternaliste. Il fait référence également au don. C’est une dénomination qui ne rime pas avec le discours des droits de l’Homme.  

 Le leader de l’USFP, Driss Lachguar, a brisé, à maintes fois, quelques tabous en appelant  à la légalisation de l’avortement, à la criminalisation de la polygamie et du mariage des mineures et à l’ouverture d’un débat national sur la question de l’héritage. Qu’en pensez-vous ?

Ces prises de position reflètent l’interaction entre le mouvement féminin et les partis politiques. Lors de la création de l’OSFI, il y a eu un débat important sur ces dossiers. Le mouvement féminin avait posé la question de la révision de l’héritage et surtout  de ses aspects qui pourraient lever les injustices qui frappent la femme. Nous défendons  également la légalisation de l’avortement. Car l’avortement se pratique clandestinement et conduit, dans plusieurs cas, à la mort des femmes. Afin de mettre fin à ces drames humains, nous appelons à sa légalisation. 
Quant à l’interdiction de la polygamie, nous estimons que cette revendication est tout à fait justifiée car dans la pratique, quelques hommes recourent à des stratagèmes pour contourner les dispositions du Code de la famille en vue d’épouser une deuxième femme. En plus, nous estimons que la polygamie constitue une discrimination envers la femme. C’est pour ces deux raisons que  nous militons pour l’interdiction de la polygamie. 
On peut dire que le mouvement féminin partage entièrement les revendications exprimées par l’USFP. Ce que nous souhaitons, c’est que les autres partis politiques fassent de même et qu’ils y adhèrent.


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