​Le brun ténébreux et le post blonde


*Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat
Lundi 22 Décembre 2014

​Le brun ténébreux et le post blonde
A priori, il n’y aurait rien de commun entre un roman parlant de l’envoûtement qu’un homme a subi dans la ville de Marrakech et un livre constitué par les posts d’une dynamique facebookienne. Pourtant, les ouvrages de Patrick Lowie, écrivain et homme de cinéma qui a travaillé dans les années 80 avec Fellini, et de Valérie Morales-Attias, auteure de La peau des fantômes publié aux éditions La Croisée des Chemins (qui a été nominé pour le prix Atlas en 2012), flirtent tous les deux avec le thème de l’aliénation. Lors de la rencontre littéraire au Café Piétri, le jeudi 18 décembre, Patrick Lowie présente Marrakech désamour comme étant l’histoire d’un désenvoûtement : « Marrakech est une ville qui ensorcelle les gens…L’ensorcellement de Marrakech est une écriture du désenvoutement ». Mais quelle est la nature de cette rupture dont parle le roman ? Avec qui, voire avec quoi, est-ce que le narrateur rompt ? Avec une ville, avec une femme, avec une extra-terrestre ? En lisant Patrick Lowie, on est réellement déstabilisé car on a l’impression que l’entité dont le narrateur se sépare n’a rien d’humain, même si elle est ancrée en lui : « L’amour est une larme qui glisse sur la paroi de la mort comme cette goutte de désir qui coule sur l’arme de ton corps et donc je viens de là où je suis et donc ta peau douce et donc toi extraterrestre, le tronc avec à la place de la tête un immense sourire ». Le périple du narrateur est une errance, une sombre odyssée, une transition vers le néant. C’est un voyage dont on ne revient pas. La volonté de se désenvoûter n’aboutit pas vers le retour à la normale. On reste prisonnier de ce monde opaque que l’on s’est créé. C’est ce qu’a dit Patrick Lowie lors de la présentation au Piétri : « Le désamour, c’est l’état dans lequel il est…c’est le sentiment d’amour plus fort que l’être aimé ». Ambivalence de l’amour. Le désamour devient « des amours ». Même si rien ne pourra être sauvé : « Comme si notre vie commune ne fut que paranoïas, sorcelleries, étrangetés, ambiguïtés et tous ces aspects qui te caractérisent m’ont pris la nuque en serrant comme dans un jeu sexuel érotique, un mélange de sadomasochisme, d’auto-flagellation et d’auto-satisfaction particulièrement cruel ». On sent une violence du style proche de Khair-Eddine, où le tourment de l’être devient un exercice littéraire en soi. Le narrateur ne peut se débarrasser de ces sensations incorporées en lui. Il devra apprendre à vivre avec. Les chroniques électroniques de Valérie Morales-Attias s’inscrivent dans un autre registre. Elles sont un peu comme ces fours micro-ondes dans lesquels les plats sortent brûlants mais avec une nourriture qui est restée froide. Post blond parle de tout ce qui fait ierch, de toutes ces petites tracasseries qui nous pourrissent imperceptiblement le quotidien. Exemple : « 19 février 2011 – Salon du Livre cet après-midi : des éditeurs r’batis craignent la manifestation, veulent plier bagage et fermer les stands dès ce soir ». Si le ton est jovial, c’est aussi d’aliénations que nous parle cette blonde de Casa. Nous ne sommes pas aussi libres que nous le croyons dans ces sociétés contemporaines du progrès. Mais le ton de ces posts n’a rien de désenchanté. Valérie Morales-Attias est une sorte de Philippe Sollers aux cheveux blonds.
 Elle a quelque chose du personnage principal de Une femme tout simplement de Bahaa Trabelsi. Cette conscience de vivre dans un monde aux structures oppressives, qu’il faut prendre avec légèreté : « 9 février 2013 : Essayer une nouvelle crème et retour aux corticoïdes. Question : peut-on stupidement mourir de coquetterie ? ». Des sujets graves sont également abordés, tels que le suicide de Amina El Filali ou l’assassinat barbare de la petite Wiam en avril 2013. Des discussions philosophiques sont également présentes, notamment avec Hannah Arendt mais aussi avec Angelina Jolie. 
La blonde a un goût poussé pour la culture, pour les livres, pour les débats et tout ce qui lui donne à réfléchir. En juin 2013, elle préside une conférence à la Villa des Arts sur la place de la sexualité dans la littérature. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle soit copine avec les FEMEN. Non, non. Elle reste attachée aux classiques, notamment à Stendhal. Et ces chroniques sont avant tout un hymne à la vie, à l’amitié, à l’amour, voire aux « des amours ».




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