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​Au nom de la mère: Le combat des Chinoises pour assurer leur lignée


Lundi 3 Août 2020

Quand Wang Rong mit au monde son deuxième fils, elle rappela à son mari la promesse qu'il lui avait faite avant même leur mariage: la laisser transmettre son nom de famille à sa descendance.
"Mon père a eu deux filles et je ne voulais pas que notre lignée s'éteigne avec nous", explique à l'AFP la jeune Chinoise. "Je ne voulais pas que mon père regrette de ne pas avoir eu de fils."
En Chine, comme dans de nombreux pays, les enfants portent le nom de leur père, que l'on écrit avant le prénom. Mais de plus en plus de femmes insistent pour transmettre à leurs enfants le nom de leurs ancêtres.
C'est en partie une conséquence de la politique de l'enfant unique qui a sévi pendant près de 40 ans: de nombreuses femmes sont désormais seules à pouvoir hériter du patrimoine -- et du nom -- de leurs parents.
Résultat, les rapports de force au sein du couple ont évolué.
Mais le poids des traditions, l'hostilité des beaux-parents et la peur du qu'en dira-t-on compliquent parfois les choses.
A présent que le deuxième enfant est autorisé, certains jeunes parents ont trouvé la solution: l'aîné porte le nom du père et le deuxième celui de la mère.
Il n'y a guère de statistiques nationales sur le sujet. Mais à Shanghai, ville la plus développée du pays devenue une sorte de laboratoire social, un nouveau-né sur 10 portait en 2018 le nom de sa mère, selon la mairie.
C'est ce qu'a obtenu Wang Rong.
"Nous étions encore sous la politique de l'enfant unique quand notre fils aîné est venu au monde. Mon mari a insisté pour observer la tradition et lui donner son nom de famille", raconte cette assureuse. "J'ai saisi ma chance quand le deuxième enfant a été autorisé en 2016."
Son fils aîné, He Wenshi, 8 ans, a dans sa classe plusieurs camarades qui portent le nom de leur maman.
"Pour lui, il n'y a rien d'étrange à ce que son petit frère âgé de 2 ans, Wang Yunshi, ne porte pas le même nom de famille. Il ne se pose pas de questions", confie Mme Wang. Seuls quelques voisins indiscrets ont pu s'en émouvoir, dit-elle.
Dans les villes, personne ne peut savoir qui porte le nom de qui. Contrairement à la campagne où tout le monde se connaît et où un enfant risque de faire l'objet de railleries si on sait qu'il porte le nom de sa mère, et son père d'être la cible de moqueries sur sa virilité.
Le débat a viré à la polémique nationale en mars dernier lorsqu'une femme a annoncé sur internet qu'elle divorçait parce que son mari refusait que son fils porte son nom à elle.
"Même si c'est en apparence un bon mari, c'est lui qui a tous les privilèges dans le mariage, dont celui de transmettre son nom", écrivait la femme sur le réseau social Weibo, où son message a été partagé 47.000 fois avant d'être retiré par la censure.
Même mariées, les Chinoises conservent toute leur vie le nom de leur père. Selon la loi, les enfants peuvent porter le nom de n'importe lequel de leurs parents. Seule l'habitude donne la préférence au nom paternel.
L'évolution progressive en faveur du nom maternel illustre le changement des rapports de force au sein du couple, observe la sociologue Liu Ye, du King's College de Londres.
Les familles qui n'ont pas eu de fils durant la politique de l'enfant unique (1979-2016) n'ont pas eu d'autres choix que de tout miser sur leur fille. On a ainsi vu naître ces dernières années tout une génération de jeunes femmes ayant fait de bonnes études, parfois à l'étranger, et menant de belles carrières. Les femmes qui transmettent leur nom tendent à gagner davantage que leur mari ou bien à venir de familles plus aisées, dotées d'un meilleur réseau social, dit la sociologue.
Elles ne font ainsi que renouer avec une tradition qui existait il y a 2.500 ans, sous la dynastie des Zhou: les femmes issues des clans les plus puissants donnaient leur nom à leurs enfants, rappelle Zhang Yiren, spécialiste des noms à Pékin.
La question a des conséquences économiques, surtout dans les campagnes, où les garçons héritent majoritairement de leurs parents parce qu'ils peuvent prolonger la lignée.
Selon une étude réalisée en 2019 par la Fédération nationale des femmes, moins de 20% des Chinoises de la campagne apparaissent sur le titre de propriété de leurs terres -- la grande majorité n'ayant aucun droit foncier.
Traditionnellement, dans les campagnes, les filles quittaient leur famille pour aller servir celle de leur mari à qui elles devaient en outre apporter une dot -- au final une perte nette pour leurs parents. Encore aujourd'hui, la préférence pour les garçons se traduit par des avortements de petites filles. D'où un déséquilibre démographique national de 117 garçons pour 100 filles à la naissance.
La proportion est encore plus déséquilibrée dans les campagnes. En 2014, un comté de la province de l'Anhui (est) comptait ainsi 172 garçons à la naissance pour 100 filles.
Pour tenter de rétablir la balance, le comté a alors entrepris d'attribuer 1.000 yuans (125 euros) à chaque famille qui donnerait à un nouveau-né le nom de sa mère. Objectif: convaincre les agriculteurs que les filles peuvent aussi prolonger la lignée.
Mission accomplie. Quatre ans plus tard, le ratio fille/garçon à la naissance était revenu à 100/114.
Mais la limite de deux enfants par couple désavantage toujours les femmes, relève l'écrivaine Shen Liu, qui a elle-même renoncé à donner son nom à son fils unique après une bagarre avec sa belle-famille.
En règle générale, explique-t-elle, si l'aîné est un garçon, il portera le nom du père, puis le ou la deuxième pourra porter celui de la mère. Mais si l'aîné est une fille et le deuxième un garçon, une bataille risque de s'engager pour décider qui donne son nom au garçon. Et dans la plupart des cas, cela reste le père qui décide.
"Ce n'est qu'une autre forme, plus subtile, de patriarcat", estime Mme Shen alors que dans la Chine d'aujourd'hui, les femmes subissent toujours la pression de se marier avant leurs 27 ans sous peine d'être considérées comme des vieilles filles et sont susceptibles d'être moquées sur leur féminité si leur caractère est trop affirmé ou leur diplôme trop élevé. "Il n'y a pas de véritable égalité des sexes", dit Mme Shen.


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