Le coût réel de la pollution des océans par les plastiques


Romain Troublé
Lundi 19 Mai 2025

Le coût réel de la pollution des océans par les plastiques
Le problème de la pollution maritime par les déchets plastiques est apparu pour la première fois dans les années 1970. Au cours du demi-siècle qui s’est écoulé depuis, le problème a pris de plus en plus d’ampleur, comme en témoignent les expéditions scientifiques menées par la Fondation Tara Ocean (dont je suis le directeur exécutif).

Les gros débris, comme les filets de pêche, et leurs effets désastreux sur la vie marine, en sont le symptôme le plus visible. On estime que ces déchets tuent plus d’un million d’oiseaux de mer et plus de 100.000 mammifères marins chaque année, souvent par enchevêtrement ou étouffement. Ils favorisent le transport d’espèces invasives, déclenchant des effets en cascade sur les écosystèmes dans lesquels ils jouent un rôle central.

Moins visibles, mais plus envahissants, les microplastiques ont été retrouvés dans les fosses océaniques les plus profondes et dans tous les types de vie marine. Les microplastiques peuvent, entre autres, modifier les communautés bactériennes et virales et disperser des toxines chimiques dans les chaînes alimentaires (souvent après avoir été ingérées par des organismes marins). Certaines de ces toxines, comme les phtalates, sont associées à la chimie des plastiques, tandis que d’autres, comme les pesticides et les métaux lourds, sont absorbées par le plastique avant qu’il n’atteigne l’océan et n’entre dans la chaîne alimentaire.

La manière dont ces substances toxiques interagissent avec les plastiques a fait l’objet de nombreuses études. Le plastique est composé de monomères qui ont été chimiquement liés pour former de longues chaînes de polymères – l’éthylène, le styrène et le propylène deviennent le polyéthylène, le polystyrène et le polypropylène. Mais le processus de polymérisation est souvent imparfait, et certains des monomères non polymérisés qui restent dans le plastique, comme différents types de styrène et de bisphénol, présentent des risques majeurs pour l’environnement et la santé.

En outre, d’autres additifs chimiques, notamment des plastifiants, des charges, des colorants, des retardateurs de flamme et des antioxydants, sont incorporés dans les formulations de polymères pour en modifier les propriétés. Enfin, des substances ajoutées non intentionnellement (Nias) – impuretés, matières premières utilisées dans la fabrication, sous-produits et produits de dégradation – se lient aux plastiques finis.

Dans la plupart des cas, comme les monomères libres, les additifs et les Nias sont simplement piégés dans l’enchevêtrement des chaînes de polymères, au lieu d’y être chimiquement liés, ils sont plus susceptibles d’être lessivés au cours de la production, de l’utilisation et de l’élimination du plastique, en migrant dans les liquides, les gaz et les solides. Quelque 16.000 molécules de ce type ont été identifiées, mais leurs effets sont encore mal connus, tout comme leur toxicité, qui peut varier en fonction de la façon dont elles sont combinées. Ce que nous savons, c’est qu’un quart de ces 16.000 molécules présentent un risque pour la santé humaine ou l’environnement en perturbant les processus biochimiques des organismes vivants.

Stopper le flux de microplastiques et de polluants toxiques dans les masses d’eau de la planète est une tâche sisyphéenne. Néanmoins, les scientifiques tentent d’endiguer le problème. Par exemple, l’expédition Tara Europa, en coordination avec le Laboratoire européen de biologie moléculaire et plus de 70 institutions scientifiques à travers le continent, a passé les deux dernières années à étudier comment ces substances dangereuses se retrouvent dans les mers et les océans bordant l’Europe. La mission prévoit de partager ses conclusions prochainement.

La production de déchets toxiques et de débris n’est pas la seule façon dont le plastique peut nuire à la santé des océans. L’industrie du plastique est l’un des principaux moteurs du changement climatique, estimée à 3,4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). La production de plastique est en passe de contribuer à 15% des émissions de GES d’ici à 2050, exacerbant le réchauffement climatique et augmentant ainsi les menaces pesant sur la vie marine, qui est sensible à la hausse des températures de l’eau.

Comme le plastique dégrade l’ensemble de la biosphère, et pas seulement les océans, il ne s’agit pas d’un problème de déchets qui peut être résolu par les efforts de recyclage de quelques citoyens soucieux de développement durable. Il s’agit d’une crise systémique qui nécessite une solution à l’échelle de l’économie. Une meilleure approche consiste à considérer le plastique comme l’une des "nouvelles entités" qui ne doivent pas se répandre dans l’environnement. Un point de vue formulé à l’origine par le Centre de résilience de Stockholm dans le cadre de ses travaux sur les frontières planétaires, puis approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies. Tout en reconnaissant l’impossibilité de définir un seuil précis de nocivité, cette approche met en évidence la nécessité d’une réduction drastique de l’utilisation du plastique.

La recherche suggère qu’il serait économiquement possible de réduire de moitié la production mondiale de plastique à un coût qui serait presque certainement inférieur au coût de l’inaction. Mais, selon une étude récente réalisée par des chercheurs de l’université de Californie à Berkeley, même cette réduction ne suffirait pas à limiter le réchauffement climatique à 1,5° Celsius au-dessus des niveaux préindustriels, l’objectif fixé par l’accord de Paris sur le climat. Au lieu de cela, ils ont constaté que la réalisation de cet objectif nécessiterait une réduction de 75% de la production de plastique par rapport à 2015, date à laquelle l’accord a été adopté.

Pour faire face à cette crise mondiale avec l’urgence nécessaire, il faudra mobiliser les investissements et le soutien pour réduire la production de plastiques à usage unique, augmenter la durée de vie des objets en plastique grâce à la réglementation, et promouvoir la réutilisation et la réparabilité. S’il est tentant de miser sur des solutions à court terme, comme le remplacement des emballages plastiques par d’autres matériaux jetables comme le papier, le carton, l’aluminium, l’acier et le verre, l’objectif ne doit pas être simplement d’atténuer les symptômes d’un mal sous-jacent.

Nos économies sont à l’aube d’un bouleversement, car la nécessité d’une planète habitable et saine devient inéluctable. Ignorer, voire nier la réalité économique de l’urgence écologique actuelle reviendrait à fermer les yeux sur l’étroite dépendance des activités humaines à l’égard d’un environnement stable et favorable. Travailler avec, plutôt que contre, la nature nécessite un changement de paradigme, et cela commence par le plastique.

Par Romain Troublé
Directeur général de la Fondation Tara Océan


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