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Investir, accueillir, influencer : Le match stratégique du Maroc

Comment le Maroc a fait du football un levier de développement économique et de puissance diplomatique

Vendredi 26 Décembre 2025

Investir, accueillir, influencer : Le match stratégique du Maroc
A l’heure où les projecteurs du football africain se braquent sur le Maroc, une évidence s’impose à qui observe le Royaume au-delà du score et du spectacle. La Coupe d’Afrique des nations 2025 n’est pas un simple rendez-vous sportif inscrit au calendrier de la CAF. Elle est l’aboutissement d’une vision patiemment construite, d’une stratégie de long terme où le sport devient un langage de puissance, un levier économique et un instrument de projection internationale. A travers la CAN, le Maroc ne se contente pas d’accueillir l’Afrique. Il affirme une ambition, raconte une trajectoire et consolide un positionnement. 

Pour comprendre ce que représente réellement cet événement, il faut sortir du prisme sportif et remonter le fil du temps. Le Maroc n’a pas décidé hier de miser sur le sport comme levier stratégique. Depuis plus de deux décennies, le Royaume investit, planifie et structure un écosystème capable d’accueillir des événements internationaux selon des standards élevés, constants et fiables. La CAN 2025 apparaît ainsi comme l’aboutissement logique d’une trajectoire cohérente, fondée sur la continuité de l’action publique, la montée en gamme des infrastructures et une gouvernance de plus en plus fine des grands projets.

Ce qui frappe d’abord, c’est le niveau de maturité organisationnelle atteint. Stades aux normes les plus exigeantes, réseaux de transport interurbains performants, hubs aéroportuaires capables d’absorber des flux massifs, dispositifs de sécurité intégrés, infrastructures numériques adaptées aux exigences de la diffusion mondiale : le Maroc ne se contente pas de répondre au cahier des charges. Il l’anticipe. A ce stade, le Royaume ne se compare plus aux références africaines. Il se mesure, sans complexe, aux grandes nations européennes de l’événementiel sportif.

Cette capacité d’exécution est le véritable marqueur de puissance. Car la différence entre l’ambition proclamée et l’ambition crédible réside dans la faculté à transformer des projets en réalités opérationnelles. La CAN 2025 montre un Etat, des collectivités, des opérateurs publics et privés capables de travailler ensemble, dans des délais maîtrisés, avec une vision claire de l’après-événement. Rien n’est conçu comme temporaire. Tout est pensé comme un actif durable.

Sur le plan économique, l’impact est à la hauteur de cette approche structurée. Entre 600.000 et un million de visiteurs convergent vers les villes hôtes, générant des retombées estimées à près de 12 milliards de dirhams. Ces chiffres ne relèvent pas de l’optimisme marketing, mais d’une dynamique observable sur le terrain. Hôtels complets, restaurants saturés, transports intensifiés, commerce local sous tension positive. La CAN agit comme un puissant catalyseur de consommation et de création de valeur, irrigant l’ensemble de la chaîne économique.

Le tourisme en est le premier bénéficiaire, mais il n’est pas le seul. L’artisanat, les services, l’événementiel, les médias, la logistique et même le commerce informel captent une part de cette manne. Mieux encore, l’événement repositionne le Maroc dans l’imaginaire des visiteurs africains et internationaux. Il ne s’agit plus seulement d’une destination touristique classique, mais d’un pays capable d’accueillir, d’organiser et de sécuriser des événements de masse dans un environnement fluide et maîtrisé. Cette perception est déterminante. Elle conditionne les choix futurs d’investissement, de partenariat et de mobilité.

La CAN joue également un rôle d’accélérateur d’investissement. Les stades rénovés, les routes élargies, les gares modernisées, les équipements urbains remis à niveau entrent désormais dans une phase d’exploitation qui dépasse largement le cadre du tournoi. Ces infrastructures améliorent la compétitivité des différentes régions du pays, renforcent leur attractivité et créent un effet d’entraînement durable. Contrairement à certains modèles où les équipements deviennent des charges mortes après l’événement, le Maroc a fait le choix de l’intégration et de la rentabilité à long terme.

Dans cette architecture économique, Royal Air Maroc apparaît comme un acteur stratégique à part entière. En transportant au moins 500 000 supporters durant la compétition, la compagnie nationale enregistre une hausse exceptionnelle de son trafic, générant environ 1,5 milliard de dirhams de recettes additionnelles. Mais l’enjeu dépasse la performance conjoncturelle. Le renforcement du hub de Casablanca confirme la vocation africaine de la compagnie et consolide sa position comme trait d’union entre l’Afrique, l’Europe et le reste du monde. L’intensification des liaisons avec les pays qualifiés et avec les grandes métropoles européennes à forte diaspora africaine inscrit la CAN dans une logique de connectivité stratégique, bien au-delà de la durée de la compétition.

L’impact social est tout aussi structurant. Des milliers d’emplois directs et indirects sont mobilisés dans des secteurs clés, offrant à de nombreux jeunes une première expérience professionnelle dans des environnements exigeants. Sécurité, accueil, médias, organisation événementielle, logistique : la CAN agit comme un laboratoire grandeur nature de compétences. Elle forme, professionnalise et crée des passerelles vers d’autres industries. Dans l’espace public, les fan zones transforment les villes en lieux de rassemblement, de mixité et de partage. Le football devient un vecteur de cohésion nationale, un langage commun qui traverse les classes sociales, les générations et les territoires.

Mais c’est peut-être sur le terrain diplomatique que la CAN 2025 révèle toute sa portée stratégique. En accueillant l’ensemble du continent africain, le Maroc se positionne comme un partenaire fiable, stable et compétent. La présence de délégations officielles, de responsables politiques, de dirigeants sportifs et de décideurs économiques confère à l’événement une dimension diplomatique informelle mais puissante. Les échanges se font en marge des matchs, dans les tribunes, les salons, les hôtels. Le sport devient un prétexte à la construction de relations, à la consolidation d’alliances et à l’ouverture de nouveaux canaux de coopération.

A l’échelle internationale, la CAN 2025 est un test de crédibilité immédiat. Chaque détail est observé, évalué, comparé. Qualité de l’accueil, fluidité logistique, niveau de sécurité, expérience des supporters : le Maroc joue sa réputation. Et ce test s’inscrit dans une perspective plus large, celle de la Coupe du monde 2030, coorganisée avec l’Espagne et le Portugal. La CAN agit ici comme une répétition générale, une démonstration de savoir-faire qui renforce la confiance des instances internationales et des partenaires étrangers.

Cette stratégie s’inscrit dans une tendance mondiale assumée. Le sport n’est plus un simple spectacle. Il est devenu un outil de diplomatie, d’influence et de développement. De nombreux pays l’ont compris et investissent massivement dans les grands événements à condition d’en maîtriser l’héritage. Le Maroc suit cette logique avec constance et lucidité. Il ne cherche pas à écraser le continent, mais à en tirer vers le haut l’image et la crédibilité. En organisant la CAN à ce niveau d’excellence, il redéfinit les standards africains et offre un modèle reproductible.

Au fond, la CAN 2025 raconte une histoire plus large. Celle d’un pays qui pense le sport comme un langage stratégique, capable de produire de la croissance, de la cohésion et de l’influence. Une histoire où le football devient un outil de soft power, au service d’un projet national lisible et assumé. Le Maroc ne joue pas seulement la CAN. Il joue sa place dans le monde. Et cette fois, le match se gagne bien au-delà du terrain.

Mehdi Ouassat

Mehdi Ouassat

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