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L’hiver marocain profiterait aux grandes équipes: Quel crédit accorder à une surprenante assertion ?

Quand la science rattrape la tradition et que les températures changent les règles du jeu

Vendredi 26 Décembre 2025

Alors que la CAN 2025 entre dans le vif de sa deuxième journée et que les premiers enseignements du terrain commencent à s’imposer, une certitude se dessine déjà avec clarté. Cette Coupe d’Afrique des nations organisée au Maroc n’est pas une édition comme les autres. Ce que nous vivons depuis le coup d’envoi dépasse le simple cadre sportif. C’est une rupture. Une bascule profonde, annoncée par les chiffres, confirmée par la météo et désormais perceptible à l’œil nu.

Depuis toujours, la compétition continentale se nourrit d’un paradoxe. Elle sacre parfois les plus forts, mais elle a souvent offert aux plus courageux un terrain d’expression unique, façonné par la chaleur, l’humidité et l’usure. La CAN a longtemps été une guerre d’attrition, une épreuve où la maîtrise technique devait composer avec la survie physiologique. Or, le Maroc a introduit une variable nouvelle, presque révolutionnaire à l’échelle africaine. Une CAN disputée en plein hiver, sous des températures avoisinant les 13° C, sur des pelouses rapides et d’une qualité exceptionnelle, sans pauses fraîcheur imposées pour protéger les organismes. Un détail en apparence, une fracture en réalité.

Les chiffres, eux, ne mentent jamais. Les études physiologiques sont claires depuis des années. Au-delà de 30° C, la capacité à maintenir des efforts à haute intensité s’effondre. Les données parlent d’une chute pouvant atteindre un quart de la production physique dans les phases les plus exigeantes du jeu. Lors de la dernière édition disputée en Côte d’Ivoire, cette limite invisible avait dicté sa loi. Même les joueurs issus des championnats les plus intenses avaient dû ralentir, gérer, renoncer à leur ADN. Les cooling breaks n’étaient pas un confort, mais un signal d’alarme. Les corps étaient au bord de la surchauffe.

Au Maroc, ce plafond physiologique n’existe plus. Le contraste est saisissant. Les données issues des analyses de sprint et d’explosivité, notamment celles croisées par des acteurs comme le Centre international d'étude du sport (CIES) et SkillCorner, leader du marché du tracking automatisé, montrent que les championnats joués dans des climats tempérés produisent un football radicalement plus intense. Le Fast Index, qui combine fréquence et explosivité des courses, place sans surprise les ligues européennes en tête. Ce sont précisément ces standards que l’on voit émerger sur les pelouses marocaines. Les joueurs habitués à la Premier League, à la Bundesliga ou à la Serie A peuvent enfin reproduire, en sélection, ce qu’ils font chaque semaine en club. 

La conséquence est immédiate et profonde. L’écart physique entre les grandes nations du continent et les sélections moins armées se creuse avec une brutalité inhabituelle. Là où la chaleur obligeait tout le monde à jouer à un rythme similaire, le froid relatif libère les puissances établies. Le Maroc, le Sénégal, l’Algérie ou le Nigeria, dont les effectifs sont majoritairement composés de joueurs évoluant en Europe, peuvent imposer une intensité constante, presser haut, multiplier les courses sans craindre l’effondrement. Pour les équipes dont les joueurs sont issus de championnats plus lents ou moins exigeants, l’adaptation est autrement plus complexe.

Cette bascule se lit également dans la manière dont le jeu se structure. Lors de la précédente CAN, la possession avait souvent été un piège pour les favoris. Les chiffres sont encore dans toutes les mémoires. Des équipes dépassant largement les 60% de possession avaient échoué face à des blocs bas disciplinés, protégés par la chaleur qui rendait toute accélération répétée presque impossible. La destruction du jeu l’emportait sur sa création. Au Maroc, l’équation change. Le coût énergétique de la possession se rééquilibre. Tenir le ballon n’est plus synonyme d’usure excessive. Au contraire, cela devient un outil pour étirer l’adversaire, le presser à la perte et l’asphyxier progressivement.

Le tournant le plus révélateur se situe peut-être dans les données défensives. Lors de la dernière édition, certains chiffres de pressing frôlaient l’absurde au regard des conditions climatiques. Un PPDA (Passes Per Defensive) comparable à celui des meilleures équipes européennes, affiché sous une chaleur écrasante, relevait davantage de l’inconscience que de l’ambition tactique. (Un PPDA bas indique un pressing agressif, tandis qu'un PPDA élevé suggère une approche plus passive).Les organismes n’ont pas suivi. Des équipes ont littéralement explosé, victimes d’un football joué contre nature. Aujourd’hui, sous des températures bien plus clémentes, ce même pressing devient soutenable. Mieux encore, il devient la norme pour les sélections capables de l’assumer.

Ce changement structurel modifie profondément l’ADN de la compétition. On passe d’une CAN de gestion à une CAN de harcèlement. D’un football où l’on conservait le ballon pour éviter de courir à un football où l’on court pour le récupérer. Dans ce contexte, les joueurs formés au gegenpressing européen évoluent dans un environnement qui leur est enfin familier. Pour la première fois, la tactique des sélections s’aligne naturellement sur celles des clubs. Ajoutez à cela la qualité irréprochable des pelouses marocaines, et vous obtenez un cocktail qui laisse peu de répit aux équipes habituées à ralentir le tempo.

À mesure que l’on prend de la hauteur, une autre réalité s’impose. Cette CAN pourrait marquer la fin relative des surprises dites romantiques. Pendant longtemps, les mauvaises conditions ont agi comme un égalisateur invisible. Un joueur valorisé à des dizaines de millions d’euros souffrait autant de la chaleur qu’un joueur local. Le talent était nivelé par le bas. Au Maroc, ce nivellement disparaît. Les pelouses rapides et les températures idéales laissent s’exprimer la hiérarchie des valeurs marchandes avec une netteté rarement observée en Afrique.

Pour autant, réduire cette CAN à une simple démonstration de puissance serait une erreur. Car une autre variable, plus sournoise, traverse cette édition comme une ligne de fracture : le calendrier. Les joueurs ont rejoint leurs sélections à peine six jours avant le match d’ouverture. Une préparation historiquement courte qui bouleverse les repères traditionnels. Dans ce contexte, la stabilité de l’effectif devient un facteur de performance majeur. Les études l’ont démontré à maintes reprises. En période de compétition dense, la cohésion et les automatismes priment sur les talents individuels.

L’exemple sud-africain de la précédente édition reste éclairant. Une équipe sans stars mondiales, mais riche de connexions forgées en club, notamment le Mamelodi Sundowns, avait défié toutes les projections. A l’inverse, des sélections composées d’individualités brillantes mais peu habituées à jouer ensemble avaient peiné à trouver leur rythme. Avec seulement quelques séances tactiques à disposition, les entraîneurs sont contraints de faire des choix conservateurs. Les onze de départ évoluent peu. Les coups de pied arrêtés prennent une importance accrue, devenant un refuge tactique dans un contexte où le jeu placé demande trop de temps pour être affiné.

À cette complexité s’ajoute enfin la dimension mentale, sans doute la plus imprévisible. Physiquement, les joueurs arrivent dans un état presque idéal. Ils sont au cœur de leur saison, avec du rythme mais sans l’usure accumulée de fin de saison. Psychologiquement, en revanche, la charge est immense. La CAN se dispute au moment le plus sensible de la saison européenne. Le mercato hivernal s’ouvre en plein tournoi. Les agents s’activent. Les clubs observent avec inquiétude. La peur de la blessure, la pression contractuelle, la culpabilité vis-à-vis des coéquipiers laissés en club créent une pollution mentale permanente.

Dans les coulisses, une forme de guerre froide s’installe. Les joueurs sont physiquement au Maroc, mais une partie de leur esprit reste tournée vers janvier. Les études ont déjà mis en évidence l’effet d’évitement des blessures, ce mécanisme inconscient qui pousse certains joueurs à réduire l’intensité des duels lorsqu’un transfert majeur se profile. Dans un tournoi où les marges sont infimes, cette charge cognitive peut faire basculer un match, voire une campagne entière.

A l’heure où débute la deuxième journée de cette phase de groupes, une chose apparaît déjà avec netteté. Cette CAN n’a plus grand-chose à voir avec celles du passé. Ce n’est plus une épreuve d’endurance sous un soleil écrasant. C’est une compétition de vitesse, de pressing et de maîtrise, où la puissance financière et la préparation européenne trouvent un terrain d’expression inédit. Sur le papier, les conditions semblent taillées pour les grandes sélections du continent. Reste une inconnue majeure, celle que ni la data ni les modèles ne peuvent totalement apprivoiser. Le mental. Car au bout du compte, l’équipe qui ira au bout ne sera peut-être pas seulement celle qui court le plus vite ou qui presse le plus haut, mais celle qui saura, au cœur de l’hiver marocain, oublier que sa carrière se joue aussi, déjà, au mois de janvier. 

Mehdi Ouassat

Mehdi Ouassat

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