Moussaoui Ajlaoui : Le grand événement survenu le 31 octobre 2025 rappelle celui du 16 octobre 1975, deux moments charnières séparés par 50 ans d’évolutions


Ilias Rayane
Mercredi 5 Novembre 2025

A l’occasion du 50e anniversaire de la Marche Verte, Moussaoui Ajlaoui, professeur universitaire et spécialiste de la question du Sahara, revient sur la portée historique et géopolitique de cet événement fondateur, en la replaçant dans le contexte des récents développements diplomatiques autour de la question du Sahara marocain. Il analyse la résolution 2797 du Conseil de sécurité, qui consacre la souveraineté du Maroc et érige l’Initiative d’autonomie comme seule base réaliste de règlement, tout en évoquant le rôle de la diplomatie africaine du Royaume, la dynamique de développement des provinces du Sud, et les perspectives d’un apaisement possible des relations entre Rabat et Alger à la lumière du nouvel équilibre régional.

Libe : Alors que nous célébrons le 50e anniversaire de la Marche verte, quelle lecture faites-vous de cet événement national à la lumière des récents développements diplomatiques autour de la question du Sahara marocain ?

Moussaoui Ajlaoui : Le grand événement survenu le 31 octobre 2025 ressemble à celui du 16 octobre 1975, deux moments charnières séparés par 50 ans d’évolutions.
Le 16 octobre, la Cour internationale de justice rendait son avis consultatif sur le cadre juridique du Sahara en 1884, à la suite d’une requête formulée par l’Assemblée générale des Nations unies. Le même jour, feu Hassan II annonçait la Marche Verte, une marche d’attachement et de fidélité entre les Marocains du Nord et ceux du Sahara, s’appuyant sur la conclusion de la Cour selon laquelle le Sahara n’était pas une terre sans maître (terra nullius) et que des liens d’allégeance (bay‘a) existaient bel et bien avec les tribus sahariennes.

La décision d’organiser la Marche verte fut un tournant majeur dans l’histoire de la région, modifiant profondément les équilibres géopolitiques au profit du Maroc, à une époque où l’Algérie et l’Espagne franquiste coordonnaient sérieusement leurs efforts pour fonder un pseudo-Etat servant leurs intérêts respectifs.

Les documents onusiens, les mémoires de responsables politiques et militaires, ainsi que les archives publiées par la CIA, ont révélé la profondeur stratégique de la décision royale : elle liait une vision stratégique d’un conflit complexe à un jeu visant à contrer une tentative d’encerclement du Maroc. La Marche verte a ainsi renversé les rapports de force dans la région.

Le recours à la Cour internationale de justice fut une initiative du défunt Hassan II, qui avait annoncé lors d’une conférence de presse le 17 septembre 1974 la volonté du Maroc de soumettre le différend avec l’Espagne autour du Sahara à la Cour, afin qu’elle détermine si le territoire était ou non sans maître (terra nullius) au moment de l’arrivée de la colonisation espagnole.

Dans l’histoire du conflit, le Maroc a toujours été précurseur dans les propositions visant à sortir des impasses régionales. Lorsque les Nations unies ont mis fin à la question du référendum par la résolution 1309 (2000), et après des années d’impasse diplomatique, le Maroc a présenté en avril 2007 l’Initiative d’autonomie, qui a permis à la communauté internationale de repenser le cadre du règlement, officiellement à l’ordre du jour depuis 1963.

La résolution 2797, adoptée par le Conseil de sécurité le 31 octobre 2025, a mis fin à 50 ans de conflit régional autour du Sahara, en ouvrant une nouvelle phase : celle du règlement fondé sur l’Initiative d’autonomie, considérée comme le seul cadre réaliste, pragmatique et réalisable, mettant ainsi un terme définitif à l’idée de référendum.

En 1975, le différend sur le Sahara était passé de la 4e Commission à la compétence du Conseil de sécurité, à la suite d’une demande espagnole considérant la Marche verte comme une menace pour la sécurité régionale. A l’époque, le Conseil de sécurité avait adopté des décisions sévères à l’égard du Maroc. 50 ans plus tard, ce même Conseil adopte une résolution reconnaissant la souveraineté du Maroc sur son Sahara, marquant ainsi le début d’une ère nouvelle et d’une reconnaissance internationale majeure.

La récente résolution onusienne a réaffirmé la primauté de l’Initiative d’autonomie comme solution réaliste et crédible. Comment expliquez-vous cette position, et en quoi diffère-t-elle des précédentes décisions du Conseil de sécurité ?

Les éléments de réponse se trouvent dans la résolution 2797.
Le Conseil de sécurité y qualifie le différend de régional, en identifiant explicitement les Etats concernés dans le paragraphe 2, ce qui est essentiel pour la détermination des responsabilités, une approche que rejette l’Algérie, qui continue à parler de «deux parties», alors que l’ONU évoque bien les parties au pluriel.
Le paragraphe 5 mentionne la nécessité de «trouver une solution à la question du Sahara occidental et de la région», et l’ajout du mot région souligne la dimension régionale du conflit.

Le paragraphe 4 établit que l’autonomie doit constituer la base de toute solution future, précisant que « une autonomie réelle sous souveraineté marocaine pourrait constituer la solution la plus viable ».

La résolution 2797 évoque également l’avenir de la MINURSO, invitant le Secrétaire général à présenter dans les six mois suivant le renouvellement du mandat une évaluation stratégique sur l’avenir de la mission, en tenant compte des résultats des négociations.

Selon vous, comment la nouvelle politique africaine du Maroc et son retour à l’Union africaine ont-ils contribué à renforcer le soutien international à l’intégrité territoriale du Royaume ?

Le Maroc mène depuis son indépendance une politique africaine claire.
Cependant, son retour à l’Union africaine en janvier 2017 a considérablement affaibli l’instrumentalisation de la question du Sahara par l’Algérie au sein de l’UA.

Un an et demi plus tard, en juillet 2018, le Maroc a réussi à retirer le dossier du Sahara des instances de cette organisation, en limitant son traitement au seul cadre des Nations unies.
Depuis, de nombreux Etats africains ont ouvert des consulats à Laâyoune et Dakhla, plus de vingt pays sur cinquante-trois, renforçant ainsi la position du Maroc.
Ces avancées sont devenues de véritables atouts diplomatiques au service de la cause nationale sur la scène internationale.

Dans quelle mesure la dynamique de développement dans les provinces du Sud, à travers le nouveau modèle de développement, a-t-elle modifié la perception internationale de la nature du conflit ?

Ce sujet fut au cœur du Discours Royal du 31 octobre 2025, où le Souverain a évoqué la souveraineté économique dans les provinces du Sud, illustrée par les investissements importants de grandes puissances telles que les Etats-Unis et la France.

Le Souverain a, à plusieurs reprises souligné le rôle géostratégique des investissements dans ces régions, les transformant en plateformes de croissance, de stabilité et de sécurité vers l’Afrique subsaharienne. Les provinces du Sud sont appelées à devenir un pôle de développement et de stabilité, un centre économique dans leur environnement régional, incluant la zone du Sahel et du Sahara.

Les trois Initiatives Royales majeures, le gazoduc atlantique, l’Alliance atlantique africaine et l’ouverture atlantique pour les pays enclavés du Sahel et du Sahara, ont suscité un large débat et donné lieu à des actions concrètes à l’échelle mondiale, notamment en Afrique.

Comment analysez-vous les positions récentes des grandes puissances, notamment les Etats-Unis, l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume-Uni,  qui renforcent leur soutien à la proposition d’autonomie? S’agit-il d’un tournant stratégique durable ?

Les grandes puissances ont fini par reconnaître l’impossibilité de créer un Etat viable avec un nombre restreint d’habitants sur un territoire immense, estimant qu’il n’existe aucune base réelle pour un tel projet.

Elles constatent également les réalisations économiques et sociales du Maroc dans le Sahara, ainsi que l’attachement indéfectible du peuple marocain à la marocanité du Sahara.
L’Initiative d’autonomie de 2007, l’appui des pays du Conseil de coopération du Golfe et de nombreux pays africains amis, sans oublier la reconnaissance par l’administration Trump de la souveraineté marocaine, ont créé une dynamique internationale en faveur du droit légitime du Maroc sur son Sahara.

A la lumière de la récente résolution onusienne sur le Sahara marocain, comment voyez-vous l’avenir des relations maroco-algériennes ? Cette évolution peut-elle offrir une opportunité pour reconstruire la confiance et ouvrir de nouvelles perspectives de coopération entre les deux pays voisins ?

Face à une crise interne et à une pression américaine croissante, l’Algérie traverse une isolement diplomatique inédit.
Les Etats-Unis tentent de rapprocher Alger à travers un ensemble d’investissements dans les secteurs du pétrole et du gaz, dans le but de contenir l’influence russe.
Les conseillers de Donald Trump ont d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises que le règlement du conflit du Sahara passe par une réconciliation entre le Maroc et l’Algérie.
C’est pourquoi les Etats-Unis ont veillé à inclure le terme « région » dans le cinquième considérant de la résolution 2797, soulignant l’importance d’une participation active de l’Algérie aux négociations.

Dans les 48 heures qui ont suivi l’adoption de la résolution, le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf a rencontré un responsable du polisario pour coordonner la prochaine phase, avant d’accorder un entretien en arabe et en français à la chaîne AL24, où il a surpris l’opinion en déclarant que l’Algérie aurait pu voter en faveur de la résolution, n’eût été la préambule de la résolution qui évoque la souveraineté du Maroc.

Autrement dit, Alger ne rejette pas la résolution 2797 dans son ensemble, mais émet des réserves sur sa formulation. Il semble qu’il s’agit de l’évocation dans la préambule de l’Algérie comme partie prenante dans le conflit et de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.
Dans un entretien accordé à France 24, Messaad Boulos a saisi la déclaration d’Attaf pour encourager Alger à participer à des négociations de réconciliation avec Rabat, sur la base de cette même résolution.

Le raisonnement d’Attaf aurait logiquement conduit à une abstention, mais Alger a préféré ne pas participer au vote, un choix révélateur d’une autre stratégie.

Les Américains, pragmatiques, souhaitent avancer rapidement vers une nouvelle phase. Leur premier projet de résolution prévoyait un mandat de trois mois pour la MINURSO, avant qu’ils ne le portent à six mois, puis à un an dans la version finale, à condition que le Secrétaire général Antonio Guterres présente dans les six premiers mois une revue stratégique sur l’avenir de la mission, fondée sur les résultats des négociations.

Etes-vous optimiste quant au processus de règlement de la question du Sahara marocain à la lumière de ces derniers développements? Et comment cette avancée pourrait-elle influencer l’avenir de l’Union du Maghreb et la relance de son projet unitaire ?

En politique, il faut rester optimiste, d’autant que le dossier du Sahara a désormais franchi une nouvelle étape, marquée par la reconnaissance par le Conseil de sécurité de la souveraineté du Maroc.

Cependant, tout dépendra de la gestion des luttes internes au sommet du pouvoir algérien. Beaucoup, en Algérie même, reconnaissent une lourde défaite diplomatique sur le dossier du Sahara et d’autres fronts, et tiennent en particulier Attaf et Tebboune pour responsables.
L’évolution du dossier reste donc tributaire du maintien de Tebboune et Chengriha au pouvoir.
Malgré tout, il faut demeurer confiants et travailler à la construction d’une Union du Maghreb capable de relever les défis géopolitiques et sécuritaires de la région.

Propos recueillis par Ilias Rayane
 


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