En effet, si la Marche Verte demeure dans la mémoire collective un événement spectaculaire et mémoriel, c’est du fait que le Discours Royal en constitue le fondement, le socle, le cadre conceptuel et la construction narrative éloquente à plusieurs égards.
Ce texte trace pour le pays le chemin vers trois actes essentiels, à savoir la formulation d’un serment national, collectif, solennel et durable, la cristallisation d’une conscience profonde, politique, moderne, bien enracinée dans la trajectoire historique et la mise en place d’un récit national unificateur et fondateur de l’identité du Maroc contemporain.
Contexte historique : Un monde incertain et un pays en pleine mutation
Il s’agit d’un contexte international décisif à plusieurs égards, la situation géopolitique mondiale en 1975 étant marquée par un processus actif de décolonisation, la persistance des tensions de la guerre froide, le déclin du régime franquiste en Espagne et la multiplication des revendications territoriales et identitaires dans nombre de régions à travers le monde.
Au milieu de tout cela, l’avis consultatif rendu le 16 octobre 1975 par la Cour Internationale de Justice, reconnaît l’existence de liens juridiques d’allégeance entre les tribus du Sahara et la monarchie marocaine. Et cela constitue une base morale mais aussi et surtout juridique très solide que le Défunt Roi Hassan II va subtilement intégrer dans sa rhétorique.
Dans ce sillage, il convient de souligner que la récupération des provinces sahariennes constitue dès lors, non seulement un objectif politique mais aussi le parachèvement d’un long processus de reconstruction nationale entamé bien avant l’indépendance : la récupération de Tanger en 1956, le retour de Tarfaya en 1958 et de Sidi Ifni en 1969.
De ce fait, la Marche Verte se présente comme la phase ultime d’un important mouvement national historique. Par ailleurs, le Discours Royal du 6 novembre intervient dans un moment d’incertitude car l’action peut faire suite à une négociation pacifique ou à une escalade militaire.
C’est ainsi que le Discours Royal du 6 novembre se caractérise par une structuration pleinement maîtrisée, focalisée sur trois volets : historique, spirituel et politique.
Dans cette veine, la dimension historique consiste à légitimer l’action par la mémoire collective historique. A cet égard, le Défunt Roi Hassan II ne se contente pas de rappeler les liens historiques mais s’emploie à présenter l’histoire comme une chaîne ininterrompue de loyauté et de fidélité. Aussi inscrit-il la décision Royale dans une continuité dynastique et nationale, à savoir le passé justifiant l’action présente, l’histoire devenant une norme et le peuple étant présenté comme héritier d’une tradition d’allégeance et de loyauté agissante.
De ce fait, la référence à l’histoire n’est pas tout à fait neutre mais elle enracine la cause saharienne dans la longue durée et lui confère un caractère tout à fait incontestable.
Là-dessus, Feu Hassan II introduit une forte dimension religieuse en invitant les marcheurs à avancer, munis du Coran, symbole de vérité et de paix. De ce fait, le Discours Royal ne mobilise ainsi pas seulement des citoyens mais des croyants engagés dans une cause légitime et juste.
Quant à la dimension politique, elle consiste inexorablement à façonner un corps national uni, le Discours hassanien ayant instauré un «nous» inclusif en indiquant que tous les Marocains sont concernés, qu’ils sont tous responsables et qu’ils participent dans leur ensemble à la souveraineté.
Aussi, cette fusion entre le Roi et le peuple, est-elle au cœur de l’efficacité politique du texte dans lequel la monarchie ne se présente pas comme une autorité extérieure mais comme la voie unificatrice de toute une nation.
Le Discours Royal, un serment national
Le discours du 6 novembre n’est pas un texte ordinaire, il se présente plutôt comme un serment qui prend trois formes :
Ce fut un serment de fidélité à l’histoire. En effet le Défunt Roi Hassan II engage la nation à poursuivre avec dévouement et fidélité son destin territorial et le serment fut fondé sur la conviction que le Sahara est un «droit naturel, historique et moral» du Maroc.
Il s’agit authentiquement d’un serment d’unité. En effet, en appelant 350.000 volontaires, le Discours transforme l’unité nationale en engagement essentiel. En outre, il ne s’agit pas d’une unité abstraite mais d’une unité concrète et incarnée, rendue concrète et visible par le déploiement d’une action collective.
Une stratégie politique d’une grande finesse
Le Discours Royal du 6 novembre est un moment crucial où la monarchie se réinvente effectivement comme un guide moral, une direction politique, un arbitre historique et une incarnation subtile de la nation.
A cet égard, le Défunt Roi Hassan II présente le modèle d’un leadership s’appuyant sur la pédagogie, la légitimité et la responsabilité collective et partagée.
Il s’agit, ainsi, d’une action pacifique utilisée comme ressource politique car l’idée géniale d’une marche pacifique a permis de désamorcer les tensions militaires, de créer un rapport de force tout à fait moral, de placer l’Espagne dans une position inconfortable et de présenter le Maroc comme un acteur responsable sur la scène internationale.
Par ailleurs, l’on se retrouve face à une construction narrative constitutive de l’identité contemporaine du fait que le Discours Royal accomplit effectivement une réelle opération narrative en transformant un événement politique en mythe national moderne.
De ce fait, la Marche Verte s’avère une histoire fondatrice, une fierté nationale, un point de repère et un symbole éloquent de la cohésion marocaine.
La postérité du Discours du 6 novembre, une matrice du Maroc moderne
Et voilà qu’un demi-siècle plus tard, le Discours Royal du 6 novembre 1975 demeure un texte pour saisir la politique du Royaume du Maroc, la conscience nationale, la relation entre le peuple et la monarchie alaouite et la nature de l’Etat marocain moderne.
Il s’agit d’un discours enseigné, transmis à la postérité et célébré, jouant un rôle éducatif et mémoriel… C’est également une véritable source de cohésion intergénérationnelle…
En somme, le Discours prononcé par le Défunt Roi Hassan II le 6 novembre 1975 est bien plus qu’une déclaration politique mais assurément un texte fondateur, un moment de densité symbolique exceptionnelle qui scelle un serment national durable.
L’on peut à cet égard exprimer hautement la fierté de l’épopée de la Marche Verte mais bien plus du Discours Royal qui la précède et lui donne son sens, sa force et sa dimension immortelle…
Rachid Meftah







