La Marche Verte : de l’épopée nationale au mythe culturel


Hassan Bentaleb
Mercredi 5 Novembre 2025

Le 6 novembre 1975, près de 350.000 Marocains ont répondu à l’appel du regretté Roi Hassan II pour marcher pacifiquement vers le Sahara. Cet événement fondateur, devenu l’un des moments les plus marquants de l’histoire contemporaine du Maroc, n’a pas seulement marqué la mémoire politique du pays. Il a aussi profondément nourri son imaginaire artistique, inspirant écrivains, peintres, cinéastes et musiciens. La Marche Verte est aujourd’hui plus qu’un épisode historique : elle est un mythe culturel, un récit collectif sans cesse revisité, réinterprété et réactualisé à travers les arts.
 
La littérature, gardienne d’une mémoire nationale
 
Dans la littérature marocaine, la Marche Verte s’impose comme une métaphore de la cohésion nationale et de la solidarité populaire. Les récits et essais consacrés à cet événement oscillent entre témoignage historique et exaltation patriotique. L’un des traits dominants de cette production est sa volonté de conserver la mémoire vivante d’une époque où le peuple et l’Etat ont agi de concert autour d’un même idéal.

Les ouvrages d’auteurs comme Abdelhak Najib ou Mohamed Seddik Maaninou incarnent cette tendance : ils décrivent la Marche non seulement comme un fait politique, mais comme une aventure humaine, faite d’émotion, de foi et d’unité. Ces récits, à mi-chemin entre histoire et littérature, participent à la construction d’une mémoire partagée, où la Marche devient une matrice narrative du patriotisme marocain.

La bande dessinée et la littérature jeunesse ont également repris ce thème, cherchant à transmettre l’esprit de l’événement aux nouvelles générations. A travers ces œuvres, la Marche Verte devient un symbole éducatif, un outil de socialisation nationale et de continuité mémorielle.
 
Les arts visuels : du symbole au mythe
 
Les artistes plasticiens et visuels se sont emparés de la Marche Verte pour en explorer la portée symbolique. Loin d’une simple représentation réaliste, ils en ont fait une source de réflexion sur l’identité, le territoire et la mémoire. Peintures, affiches, expositions et concours artistiques se multiplient autour de ce thème, souvent encouragés par les institutions culturelles marocaines.

Ces œuvres s’attachent à revisiter l’événement dans un langage visuel contemporain, parfois abstrait, parfois figuratif, en associant la Marche à des notions de lumière, de mouvement, d’unité ou de spiritualité. L’image de la foule, du drapeau, du Coran ou du désert devient un motif récurrent, métaphore de la solidarité et de la persévérance.

En s’appropriant la Marche Verte, les arts visuels marocains contribuent à la transformation du fait historique en mythe collectif : un mythe qui relie la mémoire du passé aux aspirations du présent, et qui fait de la création artistique un prolongement symbolique de l’action nationale.
 
Le cinéma, entre mémoire et dramaturgie populaire
 
Le cinéma marocain a lui aussi trouvé dans la Marche Verte une source narrative puissante. L’un des exemples les plus notables est le long-métrage La Marche Verte de Youssef Britel, sorti en 2016. Ce film propose une reconstitution historique, mais aussi une plongée émotionnelle dans l’expérience vécue par les marcheurs.

Au-delà du récit héroïque, cette production illustre comment le cinéma devient un outil de transmission de la mémoire nationale. En représentant la Marche sur grand écran, il contribue à populariser l’histoire et à offrir une forme visuelle à un moment collectif, jusque-là transmis par les discours politiques ou scolaires.

Le film ne se limite pas à une commémoration : il inscrit l’événement dans une dimension dramatique universelle, celle de la foi d’un peuple dans une cause juste. Cette approche narrative et émotionnelle illustre la capacité du cinéma à transformer un fait politique en récit épique.
 
La musique : du patriotisme à la réappropriation contemporaine
 
Aucune autre forme d’expression n’a diffusé la symbolique de la Marche Verte aussi largement que la musique. La chanson Sawt Al Hassan Ynadi, écrite par Fathallah Lamghari et composée par Abdallah Issami, reste l’un des hymnes patriotiques les plus populaires du Maroc. En associant ferveur religieuse, émotion collective et engagement national, elle a donné à la Marche une identité sonore, immédiatement reconnaissable et durable.
Mais cette chanson, emblème des années 70, n’est pas restée figée. Elle a été reprise, remixée et réinterprétée au fil des décennies : version salsa au Venezuela, adaptations pop ou orchestrales, et plus récemment, réappropriation dans le rap marocain. Ces transformations montrent que la Marche Verte traverse les générations et continue à inspirer des formes musicales nouvelles, où se mêlent modernité et mémoire.

La musique, en s’ouvrant à ces relectures, montre la vitalité du mythe : elle traduit la capacité de la Marche à évoluer avec les sensibilités de chaque époque, tout en conservant sa puissance symbolique.
 
Un mythe vivant entre mémoire et création
 
Un demi-siècle après l’événement, la Marche Verte ne se réduit plus à une simple commémoration patriotique. Elle s’est imposée comme une matière culturelle malléable, investie par des créateurs issus de différents horizons. Littérature, arts visuels, cinéma et musique convergent pour maintenir vivant un récit national, mais aussi pour en questionner le sens contemporain.

Cette pluralité de représentations révèle une tension féconde : entre fidélité à l’esprit originel de l’événement et volonté de le réinterpréter à la lumière des enjeux actuels. La Marche Verte n’est donc pas seulement un souvenir glorieux ; elle est devenue un espace symbolique de réflexion sur la nation, la mémoire et l’identité.
Ainsi, à travers les œuvres qu’elle inspire, elle continue d’exprimer l’unité du Maroc tout en offrant aux artistes un terrain d’expression pour redéfinir, génération après génération, le sens même du patriotisme.

Hassan Bentaleb 
 


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