Le vertige du changement : Quand la peur devient passage et l’âme se réinvente


Abderrazak HAMZAOUI
Mercredi 5 Novembre 2025

Chaque époque tremble avant de renaître. Face au vertige du changement, les sociétés -comme les individus - cherchent refuge dans leurs certitudes. Pourtant, c’est au moment même où tout vacille que la peur se transforme en passage, que le refus devient éveil, et que naît, dans le tumulte, la conscience du possible.
 
Le frisson du seuil en face de l’inconnu.
 
L’aventure commence toujours par une promesse et un vertige. Entre excitation et danger, l’appel du changement réclame un tribut : renoncer à la sécurité pour entrer dans l’inconnu.
Tout commencement porte en lui une épreuve. Avant que le changement n’advienne, il se heurte à un mur invisible : celui du refus. Entre le monde ancien qui s’accroche et le monde nouveau qui appelle, se dresse un seuil - fait de peur, de doutes, de promesses et de risques. C’est là que tout se joue : certains reculent, d’autres avancent, d’autres encore demeurent figés, prisonniers de leurs contradictions. Car initier le changement n’est jamais un geste simple ; c’est un acte de courage intérieur, un renoncement à la sécurité pour épouser l’inconnu. Ceux qui s’y préparent savent qu’ils s’apprêtent à franchir une frontière symbolique, celle où l’aventure commence et où l’ancien monde tente désespérément de retenir ceux qui osent le quitter.

Une aventure s’annonce. Elle sera excitante, mais dangereuse. Comme toute traversée authentique, elle exige plus qu’un simple désir : elle réclame une offrande. Celui qui ose s’y engager doit savoir qu’il y laissera quelque chose - un confort, un statut, une fonction, parfois même une part de soi. Le changement n’est jamais une promenade paisible sur des terres connues ; c’est une expédition vers l’inconnu, un passage initiatique où chaque pas fait trembler les certitudes.

Tu risques beaucoup : un salaire qui rassure mais t’enchaîne, une position qui t’honore mais t’endort, un privilège que tu crois mériter mais qui t’appauvrit de l’intérieur. Tu risques une liberté que tu pensais posséder, alors qu’elle n’était qu’une permission accordée par le système. Tu risques même ta vie - pas seulement celle du corps, mais cette vie symbolique faite de reconnaissance, d’appartenance, d’image. Car oser initier le changement, c’est mourir à ce qu’on a été, pour renaître à ce qu’on peut devenir.

Le seuil est là, devant toi. Invisible pour ceux qui préfèrent dormir debout, mais infranchissable pour celui qui hésite trop longtemps. Il est fait de peur - peur de perdre, peur d’être seul, peur d’avoir eu tort. La peur est un gardien de pierre : elle ne t’attaque pas, mais t’immobilise. Elle te parle dans ta langue, avec ta propre voix. Elle te dit : «Reste ! Attends encore un peu». Et tu obéis, croyant choisir la prudence alors que tu épouses la résignation.

Ce seuil, pourtant, n’est qu’un mirage. Il se dissout au moment où tu le traverses. Il n’existe que pour éprouver ton courage, pour tester la pureté de ton intention. Car la peur n’est qu’un maître provisoire : elle éduque l’âme avant de s’effacer. Ce que tu redoutais le plus devient alors ton premier signe de liberté. Le danger se transforme en énergie, la perte en promesse, et le risque en lumière.

Ainsi commence l’aventure - non pas celle d’un héros invincible, mais d’un être vulnérable qui choisit d’avancer malgré tout. Celui qui ose franchir le seuil cesse d’être un simple spectateur de l’histoire : il en devient le souffle.
 
Les armes de l’élan : les trois M - Méthode, Moyens et Motivation
 
Hésiter n’est pas faiblir, c’est mesurer la hauteur du pas à franchir. Sans Méthode, Moyens et Motivation, la peur nous fige et l’avenir se dérobe. Le courage se prépare avant de s’exercer.

Il est compréhensible d’hésiter. Même de refuser. Car franchir le seuil n’est pas un geste anodin - c’est un arrachement. Celui qui se tient au bord du changement n’est pas lâche : il est simplement humain. L’esprit calcule, le cœur tremble, la mémoire chuchote. Elle rappelle les désastres du passé, les échecs d’hier, les promesses trahies. Le futur, lui, se dresse comme une mer opaque, pleine d’écueils invisibles. Et l’âme, prise entre les deux, vacille. Elle sait que rester, c’est mourir à petit feu, mais partir, c’est affronter le feu vivant de l’incertitude.

Il est alors naturel de refuser le saut, de reculer d’un pas, de chercher un signe, un repère, une main. Car sans les trois M - Méthode, Moyens et Motivation - nul ne peut avancer. La Méthode éclaire la route : elle donne forme au chaos, structure le courage, transforme la peur en stratégie. Les Moyens sont les outils du réel : sans eux, la plus noble intention s’épuise dans le vide. Mais la Motivation est le souffle, la flamme intérieure qui alimente le pas suivant quand tout semble perdu. Sans elle, la méthode devient mécanique et les moyens, stériles.

Ceux qui refusent de franchir le seuil ne manquent pas toujours de courage ; ils manquent souvent d’équilibre entre ces trois forces. Ils se jettent dans le rêve sans méthode, ou planifient sans cœur. Ils craignent de tout perdre, car ils ne voient pas encore ce qu’ils peuvent gagner. Leur regard est fixé sur les dangers à venir - l’échec, le jugement, la chute. Et derrière eux, les désastres du passé dressent des ombres longues, des souvenirs qui paralysent.

Entre les deux, le spectre de l’inconnu veille. Il se tient là, silencieux, juste au-delà du seuil. Il n’a pas de visage, car il prend la forme de nos projections. Il se nourrit de nos doutes, de nos calculs, de nos attentes. Plus on le fixe, plus il s’agrandit. Mais dès qu’on avance, il se dissout, révélant qu’il n’était qu’un brouillard - le brouillard de nos propres peurs.
Ainsi, hésiter est naturel. Mais rester figé, c’est déjà renoncer. Celui qui veut transformer le monde doit d’abord apprendre à se transformer lui-même : à armer sa volonté de méthode, son cœur de motivation, et son chemin de moyens. Alors seulement, le seuil cesse d’être une barrière. Il devient un passage.
 
Les âmes suspendues, en quête de sens
 
Entre l’appel du futur et la nostalgie du passé, beaucoup demeurent immobiles. L’aventure semble périlleuse, mais elle porte aussi la chance rare de redéfinir le sens et la direction de la quête.

Autour de nous, certains refusent l’aventure. Ils regardent le changement comme une tempête inutile, une folie passagère qui dérange l’ordre tranquille de leurs certitudes. Ils disent qu’il faut être raisonnable, attendre, laisser venir. Leur voix se veut prudente, mais elle cache souvent la peur — celle de perdre leur confort, leurs repères, ou simplement leur place dans un monde qu’ils croient stable. D’autres hésitent encore. Ils oscillent entre deux appels : celui du connu, rassurant mais stérile, et celui de l’inconnu, vertigineux mais vivant. Leurs yeux brillent d’envie, mais leurs pas restent ancrés dans la terre du présent.

Alors on demeure figé, écartelé entre deux forces contraires : la tentation d’un futur lumineux et la peur de perdre les privilèges du passé. Le cœur veut s’élancer, mais l’esprit rappelle la liste des risques : la ruine, la perte, parfois même la mort. Tout changement profond est un pari aux enjeux immenses - il promet la transformation, mais exige le sacrifice. L’aventure attire comme un feu, mais brûle ceux qui s’en approchent sans préparation. Pourtant, c’est précisément ce feu qui éclaire la route.

Il faut savoir voir dans cette tension une épreuve juste, non un obstacle. Car ce moment suspendu, où rien ne bouge encore, est une invitation à la lucidité. Avant de franchir le seuil, il faut regarder la quête droit dans les yeux et se demander : pourquoi partir ? Est-ce pour fuir quelque chose ou pour trouver un sens ? Est-ce pour conquérir le monde ou pour se conquérir soi-même ? C’est là que le véritable choix se forge - non pas dans l’élan, mais dans la clarté de l’intention.

L’aventure, aussi périlleuse soit-elle, offre une occasion rare : celle de redéfinir ses objectifs, d’épurer ses désirs, de comprendre ce qui mérite vraiment d’être risqué. Elle oblige à trier le superflu du nécessaire, les illusions des vérités. Ceux qui l’acceptent ne sortent pas indemnes, mais transfigurés. Car ce n’est pas seulement le monde extérieur qu’ils cherchent à transformer - c’est leur propre regard sur le monde, et sur eux-mêmes.
 
Les gardiens de la peur, échos de nos propres incertitudes
 
Ils surgissent toujours au moment du passage : doutes, soupçons, voix raisonnables qui freinent l’élan. Ces gardiens du seuil ne sont pas nos ennemis, mais les échos de nos propres incertitudes.

Parfois, on se dérobe. On cherche des excuses, de belles formules pour justifier l’attente : ce n’est pas le bon moment, il faut encore réfléchir, les conditions ne sont pas réunies. Ce n’est pas toujours de la lâcheté - souvent, c’est une manière douce de différer l’épreuve, de gagner un peu de répit avant le saut. Mais à force de repousser le moment, on finit par s’y enfermer. Le temps passe, et ce qui devait être un simple délai devient une habitude, puis une résignation.

Alors, on se retourne vers le passé, comme vers un refuge. On se berce de souvenirs, on idéalise ce qui a été, on s’accroche à des formes mortes en les croyant encore vivantes. Regarder en arrière devient une stratégie d’évitement. C’est une manière de nier la réalité, de refuser l’appel du présent. On se raconte que c’était mieux avant, que le monde d’aujourd’hui est trop dur, trop rapide, trop incertain. Et dans ce mensonge rassurant, on s’endort peu à peu, oubliant que l’avenir n’attend pas.

Il faut dire que les appels sont multiples, contradictoires parfois. D’un côté, la voix du changement murmure : avance, il est temps. De l’autre, celle de la peur répond : reste, tu n’es pas prêt. Entre les deux, l’âme vacille. Ces tiraillements ne viennent pas seulement de l’intérieur ; ils sont amplifiés par les gardiens du seuil. Ces figures symboliques, mais bien réelles dans nos vies, se dressent à chaque tentative de dépassement. Ils brandissent le drapeau de la peur et du doute, se posent en défenseurs du bon sens, de la stabilité, de l’ordre établi.

Les gardiens du seuil portent souvent le visage de la raison, mais ils sont les messagers de la peur. Ils te diront que ton rêve est naïf, que ton projet est trop ambitieux, que ta foi est dangereuse. Ils iront jusqu’à remettre en question la valeur même des acteurs du changement : Qui es-tu pour prétendre faire mieux ? Qu’as-tu de plus que les autres ? Leur arme la plus redoutable n’est pas la critique, mais le soupçon. Ils insinuent que ceux qui veulent changer le monde agissent par orgueil, par intérêt, par calcul. Ainsi, ils empoisonnent la source du courage en la teintant de honte.

Pourtant, ces gardiens ne sont pas nos ennemis : ils sont les gardes du passage, les miroirs de nos propres incertitudes. Leur rôle est de tester la solidité de notre engagement. Si leur voix nous fait douter, c’est qu’elle révèle les failles qu’il nous reste à fortifier. Car aucun changement ne naît dans l’unanimité. Les chemins vers l’inconnu sont toujours gardés - et c’est en affrontant ces gardiens, non en les haïssant, que l’on prouve que l’appel était authentique.

Ainsi se clôt le premier mouvement de toute transformation : celui du seuil, de la peur, et du refus. Chaque changement véritable commence par une résistance - en nous, autour de nous, et parfois contre nous. Le seuil n’est pas un obstacle, mais un miroir : il reflète ce que nous devons quitter avant d’oser renaître. Les hésitations, les doutes, les gardiens de peur et les murmures du passé ne sont pas là pour nous condamner, mais pour éprouver la pureté de notre volonté. Ils séparent ceux qui rêvent du changement de ceux qui en deviennent les artisans. Franchir le seuil, ce n’est pas fuir un monde ancien, c’est le réenchanter ; ce n’est pas détruire ce qui fut, mais y insuffler une autre vie. Car l’aventure du changement, si périlleuse soit-elle, ne se gagne pas par la force, mais par la clarté intérieure - celle qui sait que la peur est le dernier voile avant la lumière.

Par Abderrazak HAMZAOUI
Email : hamzaoui@hama-co.net
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