Zaki Hannache, défenseur des détenus d’ opinion algériens


Libé
Mardi 23 Février 2021

De jeune apolitique rêvant d’immigration à citoyen engagé pour la libération des détenus d’opinion en Algérie, la vie de Zaki Hannache a “radicalement changé” après la première marche du mouvement populaire du Hirak le 22 février 2019. Sorti “de façon involontaire”, comme par “automatisme”, pour rejoindre la mobilisation inédite dans les rues d’Alger, il s’est soudain senti concerné. “C’était la seule solution pour ne pas avoir un mort-vivant au pouvoir”, dit-il, en référence à l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, grabataire, qui briguait un cinquième mandat. “La rage est sortie! Contre la +hogra+ (injustice), le vol, la corruption, l’impunité”, raconte Zaki Hannache. A 31 ans, ce technicien en maintenance industrielle participe à sa première manifestation avec comme seules références les souvenirs lointains du “Printemps de Kabylie” (2001) et le spectre de la guerre civile (1992-2002). Les défilés sont “inimaginables”: islamistes, laïcs, démocrates, hommes et femmes protestent ensemble et pacifiquement. On assistait à “une déconstruction des tabous et divisions érigés par le régime”, se souvient-il. Abdelaziz Bouteflika, lâché par l’armée, démissionne le 2 avril, mais le Hirak persiste, réclamant la chute du “système” qui gouverne l’Algérie depuis l’indépendance en 1962. Dès l’été 2019, les arrestations de militants se multiplient et les organisations de défense des droits humains dénoncent le sort des détenus d’opinion. Zaki Hannache est constamment “branché”. Il se découvre une vocation: informer l’opinion sur les prisonniers du mouvement. Son téléphone sonne sans arrêt. Son profil Facebook est devenu une plateforme d’information face au silence de la télévision publique et des chaînes privées proches du pouvoir. Quotidiennement en contact avec des militants, familles de prisonniers et avocats, il récolte et vérifie les informations concernant les interpellations, les motifs d’inculpation ou encore les conditions de détention des critiques du régime. “Ce Hirak est comme un match de football: il y a un gardien, des attaquants... On ne peut pas tous être attaquants, j’ai donc décidé de m’occuper des informations qui concernent ces affaires de droit”, explique-t-il. Il établit petit à petit une liste des détenus d’opinion et devient ainsi, au même titre que certaines ONG, une source d’informations pour les journalistes, associations et avocats. Zaki Hannache abandonne le foot amateur pour les tribunaux et les sorties de prison sur son temps libre. Il jongle avec peine entre son travail dans une entreprise publique et son engagement, mais qu’importe: “Face à l’injustice je ne peux pas faire marche arrière”. “Ma famille, mes amis et même mes collègues me disent +attention Zaki, ils (les autorités, ndlr) peuvent te faire du mal+, mais jusqu’à quand allons-nous avoir peur?” Si près de 40 prisonniers d’opinion ont été libérés à la veille du 2e anniversaire du soulèvement populaire, à la suite d’une grâce présidentielle, une trentaine d’autres sont toujours derrière les barreaux pour des faits liés au Hirak et/ou aux libertés individuelles, selon le jeune militant. “Je suis heureux pour ces détenus mais la plupart sont en liberté provisoire, les poursuites judiciaires ne s’arrêtent pas pour autant”, dénoncet-il. Les accusations contre les militants sont fondées dans au moins 90% des cas sur leurs publications Facebook, selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), une association de soutien. S’exprimer sur les réseaux sociaux peut conduire en prison, Zaki Hannache en a bien conscience. “Notre pays est devenu le cimetière de nos rêves”, regrette-t-il. “Avant, mon objectif était de me marier et d’immigrer quelque part: au Canada, en France, peu importe! L’essentiel pour moi était de me sauver, mais le Hirak m’a rendu l’espoir d’un changement.” Porte-voix d’une génération pacifique, qui a dépassé ses peurs face à l’engagement, Zaki Hannache se rend bien compte des divisions qui minent le Hirak et des opportunités manquées du mouvement. Il en sort toutefois grandi, avec un apprentissage politique et civique, déterminé à bâtir l’Algérie de demain et à renverser la vieille garde au pouvoir. Son combat personnel reste le même: “Obtenir la libération et la réhabilitation des détenus d’opinion”. “Les convocations, interpellations et poursuites judiciaires doivent cesser!”. Considérant la grâce décrétée par le président Tebboune comme un leurre, le jeune militant met en garde contre “une seconde explosion” populaire, résultat d’une politique autoritaire doublée d’une crise économique et sociale.


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