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Violations à répétition des droits des migrants en Libye

La complicité de l’UE pointée du doigt


Hassan Bentaleb
Lundi 19 Juillet 2021

Violations à répétition des droits des migrants en Libye
Un autre rapport à charge contre la politique migratoire de l’UE. Cette fois, il est signé Amnesty International qui met en lumière les effroyables conséquences de la coopération européenne avec la Libye en matière de contrôle de l’immigration et des frontières. Il révèle que les violations commises depuis une décennie contre les personnes réfugiées et migrantes se sont poursuivies sans relâche dans les centres de détention libyens durant le premier semestre de 2021, malgré les engagements répétés à y mettre un terme. Un rapport qui surgit seulement quelques mois après la publication du document intitulé : “A distress call for human rights The widening gap in migrant protection in the Mediterranean” par le Conseil de l’Europe qui a fortement critiqué les politiques migratoires des pays européens marquées, selon lui, par le “manque de volonté” d’établir des politiques de protection des migrants à même de permettre de sauver des “milliers de vies humaines”. Retour sur les traits saillants du nouveau document d’Amnesty.

Publié le 15 juillet dernier et intitulé «Personne ne te cherchera», ledit rapport a révélé qu’entre janvier et juin 2021, les gardes-côtes libyens, soutenus par l’Union européenne (UE), ont intercepté en mer et reconduit en Libye quelque 15.000 personnes – soit plus que sur toute l’année 2020 – durant des opérations dites de «sauvetage». Cependant, les témoignages recueillis par Amnesty International font état de façon concordante d’un comportement négligent et violent des gardes-côtes libyens. Certaines personnes ont raconté que ceux-ci avaient délibérément endommagé leurs embarcations, les faisant parfois chavirer. A deux reprises, des réfugiés et des migrants se sont noyés à cause de tels comportements. Un témoin a déclaré que, après avoir provoqué le chavirement d’un canot pneumatique, les gardes-côtes avaient filmé la scène par leurs téléphones au lieu de porter secours aux survivants. A noter que plus de 700 personnes réfugiées ou migrantes se sont noyées en Méditerranée centrale durant les six premiers mois de 2021.

Certains migrants ont affirmé que lors de leurs tentatives de traversée de la Méditerranée, ils avaient souvent vu des avions passer au-dessus de leur tête ou des bateaux naviguer à proximité ne leur offrant aucune assistance avant l’arrivée des gardes-côtes libyens. A rappeler que Frontex, l’agence européenne de gardesfrontières et de gardes-côtes, exerce une surveillance aérienne au-dessus de la Méditerranée pour repérer les embarcations de réfugiés et de migrants en mer, et utilise aussi un drone dans cette zone depuis mai 2021. L’Italie et d’autres États membres de l’UE continuent par ailleurs de fournir une aide matérielle, dont des vedettes rapides, aux gardes-côtes libyens, et œuvrent à la mise en place d’un centre de coordination maritime dans le port de Tripoli, principalement financé par le Fonds d’affectation spéciale de l’UE pour l’Afrique.

Sur un autre registre, Amnesty International a constaté qu’au cours des six premiers mois de 2021, plus de 7 000 personnes interceptées en mer ont été envoyées de force à Al Mabani. Des détenus de ce centre ont raconté qu’ils étaient soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements, à des conditions de détention cruelles et inhumaines, à l’extorsion de rançons et au travail forcé. Certains ont aussi indiqué avoir subi des fouilles à nu particulièrement invasives, humiliantes et violentes.

Le centre de Shara al Zawiyah, à Tripoli, lui aussi précédemment géré par des milices non affiliées et récemment intégré à la DCIM (Direction de la lutte contre la migration illégale), a été affecté à l’accueil des personnes en situation de vulnérabilité. Des personnes ayant été détenues dans ce centre ont raconté que les gardiens violaient les femmes et que certaines étaient contraintes à des rapports sexuels en échange de leur libération ou de biens de première nécessité, comme l’eau potable. «Grace» a expliqué qu’elle avait été violemment battue pour n’avoir pas accepté de se soumettre à ce type de pratiques : «J’ai refusé […] [Le gardien] m’a repoussée violemment avec son arme à feu. Il a utilisé une chaussure de soldat en cuir pour [me frapper] au niveau de la taille». Deux jeunes femmes détenues dans ce centre ont tenté de se suicider à la suite de violences de ce type.

Trois femmes ont, par ailleurs, raconté que deux bébés détenus avec leurs mères à la suite d’une tentative de traversée de la Méditerranée étaient morts début 2021, après que les gardiens eurent refusé de les emmener à l’hôpital alors qu’ils avaient besoin de soins essentiels.

Le rapport d’Amnesty International fait état de violations similaires des droits humains, telles que des coups, des violences sexuelles, l’extorsion de rançons, le travail forcé et des conditions de détention inhumaines, dans sept centres de la DCIM en Libye. Au centre d’Abu Issa, situé dans la ville d’Al Zawiyah, des détenus ont raconté avoir atteint un état de famine faute de nourriture suffisante.

A Al Mabani et dans deux autres centres, Amnesty International a eu connaissance de recours illégaux à la force meurtrière : des gardiens et d’autres hommes armés ont tiré sur des détenus, faisant plusieurs morts et blessés.

Amnesty international a rappelé que les autorités libyennes se sont engagées à fermer les centres de la DCIM où les atteintes aux droits humains étaient monnaie courante, mais des violations similaires ont été commises dans des centres récemment ouverts ou rouverts. Signe de l’impunité profondément ancrée dans le pays, des sites de captivité informels gérés à l’origine par des milices non affiliées à la DCIM ont été officialisés et intégrés à ce service du ministère de l’Intérieur. En 2020, des centaines de personnes débarquées en Libye avaient été victimes de disparitions forcées dans un site informel, alors contrôlé par une milice. Depuis, les autorités libyennes ont intégré ce site à la DCIM, l’ont rebaptisé Centre de rassemblement et de retour de Tripoli (il est familièrement appelé Al Mabani), et ont nommé pour s’en occuper l’ancien directeur et d’autres membres du personnel du centre de la DCIM de Tajoura, aujourd’hui fermé. La fermeture du centre de Tajoura, tristement célèbre pour sa pratique de la torture et d’autres mauvais traitements, avait été ordonnée en août 2019, un mois après que des frappes aériennes eurent tué au moins 53 détenus.

«Malgré les preuves accablantes du comportement irresponsable, négligent et illégal des gardes-côtes libyens en mer et des violations systématiques commises dans les centres de détention après le débarquement, les partenaires européens continuent d’aider les gardes-côtes libyens à renvoyer de force des personnes vers les atteintes aux droits humains qu’elles tentaient de fuir en Libye», a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International. Et de conclure : «Il est largement temps que les Etats européens reconnaissent les conséquences indéfendables de leurs actions. Ils doivent suspendre leur coopération avec la Libye en matière de contrôle de l’immigration et des frontières et se consacrer plutôt à ouvrir les voies d’accès vers la sécurité dont les milliers de personnes en quête de protection actuellement bloquées dans ce pays ont besoin de toute urgence».


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