Vers une meilleure politique de rendement énergétique


Iain Campbell
Vendredi 2 Octobre 2020

S i la climatisation permet de rafraîchir notre air ambiant, dans le même temps cette technologie transforme notre planète en une véritable fournaise.

Cet été, tous les pays ont enregistré des températures caniculaires. Le mois d’août de cette année s’est classé en deuxième place des records de chaleur. Le réchauffement de la planète et des vagues de chaleur estivales plus marquées, ainsi qu’une augmentation de l’urbanisation et la hausse des revenus encouragent une augmentation considérable de la demande en systèmes de climatisation. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que le nombre de systèmes de climatisation en fonction dans le monde va augmenter de 1,6 milliard aujourd’hui à 5,6 milliards d’ici 2050. Au cours des 30 prochaines années, dix systèmes de climatisation seront vendus par seconde.

Les systèmes de climatisation participent substantiellement aux émissions de gaz à effet de serre qui entraînent le changement climatique, aussi bien directement à cause des hydrofluorocarbones (HFC) qu’ils contiennent, qu’indirectement étant donné l’énergie qu’ils consomment. Un rapport récent de l’AIE et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) vient de renouveler l’importance de cette menace en la décrivant comme « l’un des problèmes climatiques et de développement les plus essentiels et les moins considérés de notre époque»

L’amendement de Kigali de 2016 au Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone vise à réduire la production et la consommation de HFC de plus de 80% d’ici 2047. Si cette mesure est mise en œuvre, elle permettra d’éviter 0,4°C de réchauffement de la planète au cours de ce siècle. Mais si l’amendement de Kigali nous fournit une stratégie pour résoudre la question des frigorigènes, la communauté mondiale doit s’atteler dès à présent au problème d’intensité énergétique des climatiseurs. La plupart des systèmes de climatisation vendus à l’heure actuelle ont un rendement énergétique 2 à 3 fois inférieur à celui des meilleurs produits disponibles sur le marché. Cela s’explique en grande partie par le choix des consommateurs qui préfèrent acheter des systèmes de climatisation à bas prix, sans se soucier des implications en termes de calcul du coût du cycle de vie de leur achat. Selon l’AIE, une large distribution sur le marché de systèmes de climatisation au meilleur rendement pourrait réduire de moitié la demande d’énergie à des fins de climatisation. Si d’une part le secteur de l’air conditionné doit poursuivre ses efforts dans le domaine du rendement énergétique, nous devons quant à nous prendre des mesures pour orienter dès à présent le choix des consommateurs vers les meilleurs produits disponibles. Cela implique de revoir de fond en comble notre approche du rendement énergétique, ce qui va à son tour exiger de la part des décideurs et de ce secteur d’activité de collaborer pour prendre des décisions audacieuses.

Une méthode envisageable pour stimuler le rendement énergétique consiste à utiliser les politiques d’intervention, en particulier dans le domaine des normes minimales de rendement énergétique (minimum energyperformance standards, MEPS). A l’heure actuelle, les MEPS se situent juste au-dessus du niveau des produits aux pires caractéristiques en termes de résultats de climatisation, dans le but de les faire sortir du marché et d’assurer une forme de protection aux consommateurs. Mais comme la croissance du marché ne cesse de s’accélérer, les décideurs devraient plutôt établir les MEPS en fonction des meilleurs produits disponibles sur le marché – en d’autres termes, les MEPS devraient se situer juste en deçà du plafond technologique, plutôt que juste au-delà du plancher technologique. Non seulement une évolution aussi importante protègerait les consommateurs, mais elle réduirait en outre énormément les coûts du cycle de vie liés à la possession et au fonctionnement de systèmes de climatisation. En même temps, cela laisserait suffisamment de place pour la concurrence entre les produits, ce qui entraînerait une baisse du prix d’achat des systèmes au meilleur rendement.

Une telle politique pourrait s’inspirer du modèle japonais Top Runner program lancé en 1999 et chercher à en repousser les limites : ce programme fait effectivement progresser le marché de la climatisation dans ce pays, tout en réalisant des économies d’énergie et en réduisant les coûts liés au cycle de vie. Ce système encourage les consommateurs à acheter les systèmes fournissant les meilleurs résultats dans le cadre d’un programme d’étiquetage, ce qui à son tour fait augmenter les économies d’échelle et fait baisser les prix. En exigeant du marché des technologies de climatisation à meilleur rendement, Top Runner renforce en outre la confiance des investisseurs. Le fait de viser le rendement maximum de cette manière à l’échelle de la planète pourrait faire diviser par deux ou trois le coût du cycle de vie pour les consommateurs propriétaires d’un système de climatisation, ce qui supprimerait le besoin de production de plus de 1.300 gigawatts d’électricité dans le monde. Cela éviterait également une production comprise entre 157 et 345 gigatonnes d’émissions de dioxyde de carbone au cours des quatre prochaines décennies

Si nous réussissons à mettre en place des politiques fondées sur les meilleurs produits de climatisation disponibles sur le marché plutôt que sur les articles les plus fréquemment vendus, cela nous permettra donc d’éviter des émissions de carbone, de réduire les dépenses publiques de production d’électricité, de faire faire des économies aux consommateurs, tout en continuant à motiver le marché à développer des produits dotés de meilleures caractéristiques. Mieux encore, un changement de politique de cette envergure pourrait préparer le marché à accueillir des produits de climatisation ayant un potentiel de rendement énergétique encore meilleur comparé à celui des prochaines générations de ces produits. En 2018, une coalition internationale a lancé le Global Cooling Prize afin d’identifier le modèle de système d’air conditionné résidentiel qui utilise le moins d’énergie et qui contient des frigorigènes ayant un effet faible sinon nul sur le climat.

Huit équipes ont développé des technologies qui ont en théorie cinq fois moins d’impact sur le climat, par rapport aux systèmes de climatisation standards vendus à l’heure actuelle sur le marché. Suite à la période de test qui aura lieu cet automne, le gagnant se verra décerner un prix d’un million de dollars en mars 2021, pour récompenser sa solution de climatisation innovante. Mettre à l’échelle une solution de climatisation de ce type pourrait faire économiser aux consommateurs du monde entier 1.000 milliards de dollars en frais d’exploitation dans les 30 prochaines années et éviter jusqu’à 0,5°C de réchauffement d’ici la fin du siècle. Ces chiffres ne représentent en outre que le seul secteur résidentiel. Un simple changement de point de vue dans notre conception du rendement énergétique peut permettre à davantage de gens de bénéficier de la climatisation, se montrer avantageux pour les consommateurs et aplatir la courbe de la demande énergétique liée à la climatisation et celle des émissions de carbone. Si nous voulons une climatisation écologique, nous devons faire un bond en avant pour nous rapprocher du plafond technologique.

Par Iain Campbell
Chercheur principal au Rocky Mountain Institute


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