Vers l’Indépendance du Maroc : LES PRÉMISSES D’UN DIALOGUE DANS UN CONTEXTE TROUBLÉ (Juin – Août 1955) : Les contacts avec le Conseil National de la Résistance


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Mercredi 16 Septembre 2009

Vers l’Indépendance du Maroc : LES PRÉMISSES D’UN DIALOGUE DANS UN CONTEXTE TROUBLÉ  (Juin – Août 1955) : Les contacts avec le Conseil  National de la Résistance
L’écrit de feu Abderrahim Bouabid que nous publions a été rédigé d’un seul trait, à Missour, au cours de l’hiver 1981-82. Le texte de ce manuscrit évoque une période charnière dans le processus qui a conduit à la fin du protectorat. De l’épisode d’Aix-les-Bains aux
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe  d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.


Le nom du caïd Madani était déjà sur la liste des candidats. D’où, pour nous, la nécessité politique absolue de veiller au choix des membres. Le conseil, aux yeux du peuple marocain, n’était acceptable qu’en tant qu’étape de transition devant conduire à la restauration de Mohammed V. D’ailleurs, pour lever toute équivoque, lui dis-je, le parti me ferait connaître son accord sur l’institution que lorsque celleci, après son installation aurait déclaré publiquement qu’elle n’avait pas de raison d’être que celle de prendre les dispositions nécessaires au retour du roi à Rabat.
- « Mais c’est là une attitude nouvelle ! » me répondit-il. « Le roi ne m’a rien dit de tel à Antsirabé. »
- « Il s’agit d’une attitude que dictent des circonstances nouvelles », ai-je répondu.
« Lorsque l’idée d’un conseil du trône avait été envisagée, il y a plus d’un an, le général Boyer de Latour n’était pas à la Résidence. Le dernier message du
Président de la République à Ben Arafa ne peut susciter que de la méfiance ».
Cette méfiance allait se révéler, quelques jours après, parfaitement fondée.
En effet, le 17 septembre, le nouveau résident général était venu à Paris rendre compte à son gouvernement. Pierre July, ministre des Affaires tunisiennes et marocaines avait insisté pour que des entretiens aient lieu directement entre nous et le général résident en sa présence, rue de Lille. Si Bekkaï et Fatmi Ben Slimane eurent une longue entrevue : il s’agissait de leur faire admettre la présence du caïd El Madani, comme troisième partenaire au conseil du trône. Ils répliquaient qu’un tel choix serait contraire aux accords d’Antsirabé. « Ce sont pourtant les instructions de mon gouvernement », répondit le résident général.
Le lendemain, je me rendis rue de Lille. Il y avait là le ministre Pierre July, le général Boyer de Latour, et deux membres du P.D.I dont Abdelhadi Boutaleb.
Je revis aussi l’ancien collaborateur du général Juin, qui, quatre ans auparavant avait pris à mon encontre un arrêté m’interdisant le séjour dans les régions de Rabat, Casablanca, Safi et Fès, en raison de mes activités syndicales. L’accueil fut glacial, en dépit des efforts du ministre pour détendre quelque peu l’atmosphère.
Pierre July commença par nous dire que le résident général aurait souhaité nous entretenir à Rabat, plutôt qu’à Paris. Je répondis que notre parti avait des représentants aussi qualifiés à Rabat.
« D’ailleurs, ajoutai-je, que les entretiens se déroulent à Paris ou à Rabat, peu importe. L’essentiel est de savoir, sans ambiguïté, à quels résultats ils vont aboutir. »
Puis le résident général développa, avec franchise, la conception qu’il se faisait du conseil du trône : celui-ci devrait être équilibré entre partisans yousséfistes et partisans arafistes. C’est pourquoi, il considérait légitime d’y faire participer le caïd El Madani. Si notre accord était donné sur cette formule, « Ben Arafa pourrait alors se retirer à Tanger ». J’avais bien noté que le résident général s’appliquait à employer les mots « se retirer » ou « retrait ».
J’ai remercié le résident général de sa franchise et lui promit d’en faire de même.
« Si vous jugez que Ben Arafa doit se retirer comme vous le dites, c’est que vous considérez par la même qu’il n’y a plus au Maroc de Arafistes ; pourquoi alors tenezvous au caïd Madani sensé, suivant votre propre raisonnement, ne représenter personne ? Sa fonction dans ce conseil consisterait surtout à s’opposer au retour à Rabat du monarque légitime. Les seuls « Arafistes », comme vous dites, sont les membres de « Présence-française ». Il serait plus logique de proposer comme « Arafiste » le Docteur Causse !
Par ailleurs, puisque vous avez bien voulu être franc avec nous, nous tenons à vous affirmer ce que nous avons toujours soutenu sans détours. Ce conseil n’est qu’une institution intérimaire, devant céder la place, le jour venu, à la restauration de Mohammed Ben Youssef. »
Il me fut répondu que ce point de vue était celui de l’Istiqlal, mais pas nécessairement de celui des autres tendances. J’ai répliqué que notre attitude était l’expression fidèle de la volonté de toute la nation marocaine.
Une dernière et nouvelle proposition du résident général : pourquoi, dit-il, ne pas renoncer à Si Bekkaï et au caïd El Madani et s’entendre sur deux autres personnalités neutres, qui avec le grand vizir, formeraient ce conseil ? En somme une institution de fantoches facilement malléables.
Je refusai sèchement de discuter d’une telle formule, et Pierre July restait silencieux, les deux membres du P.D.I également. Plus tard, j’ai su, par l’intermédiaire d’une personnalité française, qu’après mon départ de la rue de Lille, les membres du P.D.I avaient assuré le résident général qu’ils n’étaient pas opposés à l’idée d’un conseil neutre, sans la participation de Si Bekkaï. Je n’ai jamais pu vérifier l’authenticité de cette
nouvelle28.
J’ai informé Si Bekkaï de la teneur de mes conversations avec le résident général, je le mis en garde contre les pressions que l’on pourrait exercer sur lui, l’amenant à des concessions qui contrediraient l’esprit et la lettre des accords d’Antsirabé. Je lui ai rappelé que d’après les instructions de Paris, Ben Arafa devait se retirer avant le 12 septembre. Or, le général Boyer De Latour, était venu informer son gouvernement que le vieillard avait changé d’avis et qu’il entendait se maintenir à Rabat. Bien entendu, il s’agissait d’une nouvelle manoeuvre, destinée, sans doute, à permettre à la Résidence de composer un conseil du trône à sa convenance.
Ce qui m’inquiétait, c’est que Bekkaï paraissait décidé à faire partie de ce conseil, pensant qu’il était à même de déjouer les intrigues qui pourraient l’attendre. J’ai essayé de lui expliquer, mais sans le convaincre, qu’il devrait attendre le transfert en France de Mohammed V, pour donner son acceptation.
« D’ailleurs, lui dis-je, le résident général ne parle que du « retrait » de Ben Arafa, et non d’abdication. Ce « retrait » pourrait donc, dans son esprit, n’avoir qu’un caractère provisoire... Au cas où le conseil du trône se montrerait quelque peu indépendant, il n’est pas exclu que la menace d’un retour de Ben Arafa
apparaisse...».
Ce qui confirma ces appréhensions, c’est que M. de Boissessou, ministre français à Tanger, aurait fait savoir que le représentant de l’Espagne au Comité de contrôle, s’était déclaré opposé à l’installation de Ben Arafa dans cette ville, avant qu’il n’ait au préalable abdiqué. Or, le résident général est absolument opposé à ce que ce dernier renonce à ce qu’il appelle ses prérogatives. »
Si Bekkaï en fut quelque peu ébranlé. « Une mise au point, dit-il, est nécessaire. Dans notre esprit, bien entendu, il ne s’agit que d’un départ définitif. »
Le lendemain, la presse française, annonçait la venue à Paris du général Kettani, accompagné du général Noguès. Ce dernier, était chargé par E. Faure, de convaincre le général marocain d’être le troisième membre du conseil du trône, à la place du caïd El Madani. Je connaissais très peu l’ancien aide de camp du général Noguès.
Il avait la réputation d’un homme intègre. Il avait surtout évité, en 1952-53, de prendre position contre Mohammed Ben Youssef, contrairement à ce qu’avaient fait d’autres officiers marocains de l’armée française. Mais pourrait-il résister dans l’exercice de ses fonctions à ses chefs militaires, tel le maréchal Juin ? Etait-il partisan du retour à Rabat du monarque légitime ? Personne d’entre nous ne pouvait répondre à ces questions. En tout cas, Bekkaï ne semblait pas très réjoui de cette nouvelle candidature.
Mais, Kettani était un général que la politique ne tentait pas. Il refusa d’être le troisième homme du conseil, malgré toutes les démarches entreprises. Il a déclaré ne « vouloir trahir personne » : il ne voulait ni être « pour le peuple marocain contre la France, ni pour la France contre le peuple marocain ».
A la suite de cet épisode, nous apprîmes que le général Boyer de Latour offrait sa démission si le gouvernement n’acceptait pas son plan d’action. Celui-ci n’admettait le retrait de Ben Arafa, que lorsque l’accord aurait été passé sur la composition du conseil du trône et sur la composition du gouvernement marocain qui, selon lui, devrait comprendre une majorité de traditionalistes. Donc un conseil docile, et un gouvernement garant de l’intangibilité du traité de Fès. Ce plan prévoyait l’octroi aux Français du Maroc d’un statut leur assurant leur autonomie politique. Enfin, un statut particulier était préconisé, pour les tribus, en vue de leur garantir leur individualité !
En somme, une partie du Maroc relèverait du domaine de la souveraineté française, l’autre partie, laissée en principe aux Marocains, serait elle-même divisée en plusieurs zones. Cette conception semblait s’inspirer des idées émises, deux ans auparavant, par le président Emile Roche29 .
Quant au président E. Faure, approuvé par A. Pinay, il avait hâte de régler au préalable, le cas de Ben Arafa. Ce n’est que par la suite, qu’on installerait le conseil du trône, et que le gouvernement marocain pourrait être constitué. Sa méthode était d’agir par étape, en maintenant la « concertation » avec « les nationalistes » marocains, c’est-à-dire avec le parti de l’Istiqlal. Au cours de son séjour à Paris, le général B. De Latour, qui voulait ignorer les accords d’Antsirabé, avait proposé la rupture du dialogue. « Dites-leur que c’est à prendre ou à laisser », avait-il conseillé à M. Pierre July.


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