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“Une voix sortie de l’ombre” est le premier roman de ChrySultana Rivet : Un auteur est né


Par Jean Zaganiaris
Samedi 1 Mai 2010

“Une voix sortie de l’ombre” est le premier roman de ChrySultana Rivet : Un auteur est né
Derrière une belle histoire d’amour entre Soraya et
Oman, « Une voix
sortie de l’ombre » de ChrySultana Rivet parle
d’un Maroc pluriel mais
pourtant uni, qui cherche
à se construire un avenir.

A la villa des arts de Casablanca, un nouvel auteur marocain était là pour présenter son premier roman. Dans un petit stand à l’entrée, les gens découvrent le livre, qui vient tout juste de sortir. Un proche, qui a lu les trois versions successives du roman avant sa publication chez Marsam, nous confie : « C’est un roman qui restera dans les mémoires une fois que les gens l’auront découvert ; il y a dans ce livre quelque chose de novateur et d’inédit  par rapport à tout ce qui s’écrit dans le champ littéraire marocain. La preuve, un critique littéraire a eu le manuscrit entre les mains et lui a reproché de ne pas assez décrire les paysages du Maroc. Lorsqu’un critique littéraire fait ce genre de reproche, c’est bon signe. C’est que le livre ne va pas être soporifique pour tout un tas de lecteurs qui ne sont pas critiques littéraires, qui ont envie de quelque chose de nouveau, de dynamique, bref du sang neuf et pas des mandarins installés depuis des lustres dans le paysage littéraire, loués à travers les médias par leurs copains journalistes qui n’ont parfois même pas lu le bouquin dont ils vantent les qualités».
Le public s’installe dans la salle du premier étage, qui est quasiment pleine. L’auteur a même droit à un énorme bouquet de rose de la part d’un admirateur et entame la séance de dédicace avant même la présentation. « C’est une histoire qui a l’air originale»,  nous dit Thomas Brun, consultant en communication, présent à la conférence et qui vient d’acheter le roman, «j’ai beaucoup aimé la présentation de l’auteur. J’ai été très intéressé par l’idée de pluralité, de ce Maroc pluriel évoqué par l’auteur».

Un homme et
une femme au Maroc

Zineb, une lectrice, réagit également : « Ce qui me plait dans le roman, c’est que l’auteur parle très bien du caractère paradoxal de certaines Marocaines. Il y a des femmes au Maroc qui aiment leur indépendance, qui aiment sortir, boire de l’alcool entre copines, mais qui veulent aussi, notamment à des moments de fragilité, se blottir contre l’épaule d’un homme protecteur, qui les guident et les orientent». Pluralité des cultures, pluralité des êtres. Voilà le domaine qu’explore ChrySultana Rivet dans son premier roman.  
Le livre parle de la rencontre entre Soraya, 35 ans, revenue au Maroc après plusieurs années passées en France et Oman, plus âgé qu’elle, ancien militant arrêté et torturé pendant les années de plomb. Soraya est la narratrice du roman. C’est une femme-enfant, enthousiaste, optimiste, volontaire. Elle passe sa vie à soulever des montagnes, à vouloir s’impliquer et améliorer les choses au Maroc. Oman, l’homme dont elle tombe amoureuse, est un peu son contraire. Il refuse de s’engager auprès des autres, de croire en l’avenir, de créer des liens affectifs durables parce que l’expérience passée lui a prouvé que l’engagement avait un prix beaucoup trop élevé. En même temps, il est attiré par cette femme qui s’intéresse à lui, qui veut construire quelque chose avec lui, qui s’offre à lui. « Soraya est vierge de ce qui fait le Maroc. », nous dit ChrySultana Rivet, « elle n’a pas connu directement les années de plomb, la terreur, la torture. Elle porte cela en mémoire mais elle veut aussi aller de l’avant. Elle incarne métaphoriquement un Maroc en mouvement, un Maroc qui est celui des jeunes d’aujourd’hui, que ce soit ceux du Boulevard ou bien ceux qui font du rap». L’intérêt du roman se trouve également dans les descriptions que la narratrice fait des villes de Casablanca et d’Errachidia. On y voit les rues de la médina, l’ambiance des bars, les expos d’art, les librairies branchées et on y croise Momo ou Casa Crew. Peinture visuelle d’une ville, où le rêve et la réalité se mélangent pour donner vie à un monde surréaliste et hallucinatoire. En même temps, ChrySultana rappelle que ce roman a peut-être une inspiration autobiographique mais qu’il s’agit avant tout d’une œuvre de fiction. Ce n’est pas uniquement sur la narratrice qu’il faut focaliser l’attention, en y cherchant l’opinion cachée de l’auteur, mais sur ce couple, qui incarne ce Maroc pluriel : « Soraya et Oman vont construire un présent, ce que j’appelle un « être à deux ». Ils incarnent un Maroc pluriel mais cette pluralité n’empêche pas l’unicité, l’union, la symbiose pour construire ensemble un futur digne de ce nom». Dans un pays où tout n’est pas toujours facile, faire ce pari mélancolique sur l’avenir est plus que salutaire. Renvoyant dos-à-dos les visions pessimistes ou euphoriques sur le Maroc, l’auteur se situe dans un entre-deux, où tout reste possible.

Freud oui,
schizophrène non

Le roman de ChrySultana est empreint d’un véritable style. L’auteur joue avec les mots, avec les différentes significations que possède un même terme. « Je m’inscrivais dans une nouvelle démarche, celle de m’ouvrir à l’autre ». Cette ouverture – qui est la clé du roman - est à entendre au double sens du mot. Ouverture au sens spirituel, c’est-à-dire ouverture vis-à-vis de la culture et de la mentalité de l’autre. Mais cette ouverture vis-à-vis de l’autre est aussi physique, corporelle. La narratrice laisse pénétrer en elle autant les idées que le corps de cet homme qui à son tour est aussi pénétré par cette femme, par son amour de la vie, par la saveur de sa peau et de son sexe. La fin du roman est suprenante à tous les niveaux. L’auteur fait preuve d’une audace littéraire qui n’avait pas été osé jusque-là dans le champ littéraire marocain. De plus, ses références sont parfois empruntées à la psychanalyse mais jamais versé dans un symbolisme réducteur et caricatural. Même si ChrySultana emprunte beaucoup à l’Œdipe de Freud pour construire cette histoire d’amour, notamment en faisant de Oman un père de substitution à Soraya, le mérite du livre est d’aller au-delà des thèses simplistes sur un Maroc soi-disant schizophrénique. C’est ce qui a été dit lors de la présentation de l’auteur à la villa des arts : « L’explication en termes de schizophrénie culturelle réduit la pluralité sociale à de la pathologie et prêche bien souvent pour une cohérence qui n’est rien d’autre qu’une uniformisation des conduites, qu’elles soient celles du fondamentalisme islamique ou bien du post-colonialisme occidentaliste encore présent au Maroc. Le roman de Chryssultana  amène à penser les rapports interculturels, y compris au sein d’un même pays, en termes de symbiose, de métissage, de mixité et d’échange. Aujourd’hui, être multiple, être culturellement métissé et être attiré par des formes d’altérité n’est pas une maladie mentale. C’est aussi une richesse ». Souhaitons que ce premier roman ait la réception plurielle et les débats qu’il mérite au sein de l’espace public marocain, et que les gens auxquels croit l’auteur, notamment cette jeunesse marocaine, sachent lui donner en retour une certaine forme de respect et de reconnaissance. 


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