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Une vingtaine de spécialistes dressent la radioscopie des Marocains de l’extérieur : Profils variés et hétérogènes

Attachement au pays et au legs culturel marocain


Hassan Bentaleb
Samedi 15 Juin 2019

«Diversification des profils professionnels, ralentissement des arrivées et des naturalisations, recompositions territoriales, importance des dynamiques associatives dans l’intégration et l’attachement au pays, éclosion d’une nouvelle identité hybride, ancrée dans le legs culturel marocain, et ouverte sur la culture dominante, renouveau du religieux, implication constante de la migration dans le développement du pays». Telles sont les nouvelles caractéristiques de la migration marocaine à l’étranger brossées par les 24 auteurs de la quatrième édition de «Marocains de l’extérieur  2017» dont le rapport a été présenté, jeudi dernier à Rabat, par la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger.

Profils variés et hétérogènes
Mohamed Berriane, professeur à l’Université Mohammed V de Rabat et coordinateur scientifique de l’ouvrage, a indiqué que la migration marocaine est aujourd’hui composée de différents groupes aux profils variés et hétérogènes. Selon lui, il y a peu de similitudes entre les immigrés de la première génération nés au Maroc et aujourd’hui retraités dans les pays européens et ceux des générations suivantes nés dans ces mêmes pays ou avec les jeunes cadres qui dirigent des sociétés dans des pays de l’Afrique de l’Ouest ou l’Afrique Centrale ou encore les jeunes expatriés marocains ou maroco-européens envoyés dans les pays du Golfe par les grandes multinationales. «Migrations successives, différents contextes des pays d’accueil et évolutions propres à chaque communauté expliquent les décalages observés autrefois et qui se sont accentués aujourd’hui», a-t-il expliqué.
Au Sénégal,  le classique profil du commerçant de tissu de la rue Mohammed V à Dakar, généralement originaire de Fès, a muté pour céder la place aujourd’hui à un autre plus diversifié et composé certes de commerçants, mais ce profil ne se limite plus au commerce de tissu, mais touche aussi des employés, des salariés, des ouvriers et des directeurs d’entreprises qui s’activent dans différents secteurs d’activités tels que les services et la santé, le BTP, les banques et les affaires, le transport, l’administration ou l’expertise (Johara Berriane). Dans les pays du Golfe, les employés domestiques et la main-d’œuvre du bâtiment écrasés par le système de la kafala cohabitent aussi avec des cadres exerçant dans de grandes sociétés européennes ou émiraties, comme les compagnies aériennes, les banques, les sociétés d’informatique, l’import-export, le journalisme, ou bien sont des cadres de la fonction publique dans la police, l’armée, la justice ou les affaires religieuses. En Europe, le statut de l’ouvrier et de l’employé dans les services est remplacé par celui du petit commerçant et de l’entrepreneur. Les Marocains représentent désormais la deuxième communauté des entrepreneurs non-UE en Espagne, tout comme ils occupent la première place en Italie avec 18,7% du total des entreprises créées par les immigrés extra-européens.
Ces Marocains font l’objet de plus en plus, mais dans une moindre mesure,  d’une redistribution spatiale comme c’est le cas en France où une répartition de la population marocaine, depuis les départements de l’Est qui sont d’anciennes régions d’installation d’une immigration ouvrière, aujourd’hui en crise à la fois économique (chômage) et sociale (soulignée par le vote FN), en passant par la façade atlantique où la présence marocaine a, jusqu’ici, été faible mais qui bénéficie de conditions économiques plus favorables.
Le même phénomène mais moins important est observé en Allemagne pour ce qui est des étudiants marocains qui sont en train de se déplacer des anciens länder de l’Ouest là où vivait la majorité des migrants d’origine marocaine vers les nouveaux Etats fédéraux de l’Est où les universités offrent plus de place et où le coût de la vie est plus bas. L’Espagne affiche la même mobilité des Marocains. Que ce soient les étudiants à la recherche de certaines filières ou les travailleurs poussés par les effets de la crise, les Marocains d’Espagne bougent sans cesse. C’est le cas également des Marocains aux USA qui émigrent vers de nouveaux Etats de résidence.

Eloignement et attachement
L’éloignement dans le temps et dans l’espace du Royaume n’empêche pas ces  Marocains de l’extérieur de conserver leur attachement à leur pays d’origine. Ils arrivent même à transmettre ce lien aux générations suivantes qui sont nées et ont grandi en Europe, qui à leur tour, développent une culture et une identité hybrides. L’installation dans la durée se traduit également par l’esquisse d’un renouveau religieux qui émane de personnes novatrices, qui sont généralement des intellectuels formés aux sciences humaines, à l’itinéraire séculier et qui, parfois, n’ont pas d’ancrage de formation théologique. C’est le cas de l’islam belge dans lequel les Marocains et Belgo-Marocains jouent un rôle essentiel.  Cet islam belge apparaît comme une construction intellectuelle d’une nouvelle pensée, qui s’oppose à la résonance traditionnelle des pays d’origine.
Ces Marocains investissent également dans le domaine associatif et dans les activités culturelles. Ainsi, dans les pays où ils peuvent s’organiser en associations, les Marocains ont un parcours tout à fait différent par rapport à ceux qui n’ont pas cette possibilité.  Dans les pays européens des premières migrations marocaines, ce tissu associatif est bien dense et engage de véritables dynamiques culturelles et sociales. C’est le  cas en France, en Allemagne et en Belgique.
Dans les pays africains (Sénégal et Côte d’Ivoire), le paysage associatif a des motivations de solidarité communautaire et de quête d’identité. Dans les deux pays d’Amérique du Nord, des associations existent et aident les Marocains résidents à construire une communauté. Dans les pays d’immigration plus récente, comme l’Italie et l’Espagne, le mouvement associatif existe certes, mais ne connaît pas le même dynamisme. Alors que dans les pays du Golfe, ce mouvement est inexistant car interdit, et les Marocains qui y résident souffrent sérieusement de cet handicap : impossibilité de s’organiser autour de projets communs alors que les besoins en termes de scolarisation des enfants par exemple sont immenses.

Visibilité de plus en plus
grande dans la vie politique

 Ces différentes transitions que vivent les communautés marocaines à l’étranger s’accompagnent d’une mobilité sociale même si elle est lente. L’un des indicateurs de cette mobilité sociale est la visibilité de plus en plus grande des Marocains dans la vie politique des pays d’accueil. En effet, si la première génération se tenait à l’écart de la vie politique, à part quelques exceptions d’engagement syndical - notamment en France - les générations suivantes s’engagent sur la scène politique. Celles-ci participent de plus en plus aux opérations de vote en tant qu’électeurs et candidats. Parfois cette participation se traduit par des abstentions en tant qu’attitude politique notamment aux Pays-Bas où un certain pessimisme s’installe au sein de ces générations. On peut rencontrer le même type d’attitude au Royaume-Uni où l’abstention de vote peut émaner d’un sentiment de désillusion, surtout en ce qui concerne la politique étrangère du pays. Alors que la première génération s’inquiète parfois des conséquences du non vote, la deuxième a confiance en son droit de s’abstenir. Mais en même temps on relève des percées parmi ces nouvelles générations de personnalités politiques qui peuvent devenir des représentants aux Parlements comme en France, en Belgique ou au Canada ou bien des élus locaux parfois à la tête de grandes villes comme à Rotterdam aux Pays-Bas. Tels sont les types de mobilités sociales et politiques qui émergent parmi les Marocains de l’extérieur. Précisons toutefois que ces mutations sont surtout valables dans les pays européens et notamment ceux ayant reçu les premières vagues de migrations marocaines tels la France, la Belgique ou les Pays-Bas. C’est moins le cas dans les pays européens d’immigration marocaine plus récente comme l’Espagne ou l’Italie. Ce n’est pas le cas dans les pays africains ou arabes. Dans les premiers, l’immigration est encore très récente et dans les seconds le modèle migratoire ne permet aucunement ce type d’intégration.

Féminisation de
la migration marocaine  

De son côté, Chadia Arab, chargée de recherche au CNRS, (France), s’est focalisée sur la féminisation de la migration marocaine  qui ne cesse de croître en mettant en évidence son importance et sa diversité, alors que le discours dominant la réduit « à l’image de l’épouse, économiquement inactive et dépendante de son mari qui a fait le choix d’émigrer».
Selon elle, la migration des femmes marocaines reste encore bien peu connue et les travaux sur cette question  sont rares. Ils sont souvent  traversés d’images stigmatisantes et généralisantes, que les récents débats médiatiques et politiques sur l’islam nourrissent en Europe d’aujourd’hui. En effet, ces débats font ré-émerger des discours réducteurs à l’égard de certaines migrantes et de leurs descendantes, dont les Marocaines, liant un supposé «défaut d’intégration» à la société d’immigration à un supposé «défaut d’émancipation» d’une domination masculine émanant (essentiellement) de leur société d’origine. Parallèlement, au niveau des études «générales» sur la migration, la figure de l’homme seul, partant majoritairement pour des raisons économiques et de travail, reste prédominante, marginalisant, entre autres, la migration féminine, en la réduisant à l’image de l’épouse, économiquement inactive et dépendante du migrant qui a fait le choix d’émigrer. Peu de recherches analysent la décision de départ du point de vue des femmes ou se penchent sur celles qui partent «seules», c’est-à-dire en dehors du cadre du regroupement familial.
La production scientifique a essentiellement abordé les migrantes dans le seul cadre familial, à l’exception de rares travaux comme ceux de Fatima Ait Ben Lmadani  sur le vieillissement et qui révèlent l’ancienneté de la migration des Marocaines et de leur travail en France et ceux de Houria Alami M’Chichi sur l’imbrication entre les contraintes économiques et l’égalité de genre. Les «jeunes femmes» sont, dans le cadre des travaux centrés sur le regroupement familial, abordées à travers les thèmes de l’intégration, de la citoyenneté et de la culture. «Le travail reste globalement dans l’ombre. Un certain nombre de certitudes et de préjugés subsistent sur les Marocaines. Celles-ci sont souvent présentées en Europe comme particulièrement soumises à «une culture» qui les empêcherait de travailler ou de voyager de manière autonome, ce qui conduit à stigmatiser les hommes migrants et dissimuler le rôle des discriminations à l’encontre des migrantes en Europe», a-t-elle précisé.

La vieillesse dans l’émigration
Pour sa part, Omar Samaoli, directeur de l’Observatoire gérontologique des migrations en France, a souligné une caractéristique démographique saillante de la migration marocaine dont on parle peu ou pas du tout, à savoir la vieillesse dans l’émigration. Selon lui, on ne peut pas renvoyer indéfiniment l’émigré à sa seule condition de travailleur et d’actif, car «les cycles de la vie ne s’arrêtent pas avec la vie active mais comprennent aussi la cessation de l’activité professionnelle, l’arrivée à la retraite et à la vieillesse pour tous ceux qui ont eu la chance d’atteindre cette étape de la vie», a-t-il souligné. Il est de ce fait temps de tenir compte du vieillissement des Marocains de l’extérieur et de considérer aussi la gestion de cette étape de la vie. Thomas Lacroix nous rappelle qu’en France un quart des immigrés marocains ont aujourd’hui plus de 55 ans et 65.000 ont plus de 65 ans. Après une vie structurée, voire justifiée par le travail, ces personnes doivent réinventer un mode de vie et une raison d’être avec une grande indécision relative à la question du retour. Et faute d’un retour définitif, les retraités développent une grande mobilité avec des séjours alternés, lorsque leur état de santé le leur permet.


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