Une page difficile à tourner


Par Frédéric Couteau RFI
Jeudi 20 Janvier 2011

Des milliers de manifestants et des ministres issus de l’opposition qui démissionnent à peine nommés… Pour une frange importante de la population tunisienne, il faut tourner la page Ben Ali, mais également celle de son parti, le RCD… Une volonté de changement illustrée dans de nombreux blogs hier, à l’exemple de Debatunisie, le blog du caricaturiste Z, avec ce dessin, où l’on voit un malade sur son lit d’hôpital, couvert de pansements, qui hurle à son médecin : «dégage !». Et ce commentaire : «cette fois, la Tunisie n’avalera plus la pilule ! Après 23 ans de mauvais traitements, rien d’étonnant que la patiente Tunisie devienne allergique à tout ce qui lui évoque son cancer mauve (le mauve étant la couleur de l’ancien régime). Malgré une volonté commune de panser les plaies et de reprendre une vie normale rien n’y fait, constate Z, le nouveau gouvernement chargé de guider le pays vers les prochaines élections ne convainc presque personne…».

Changement de ton…

D’autres blogs prennent la défense du gouvernement de transition. Ainsi pour Sahbi Yahiaoui’s Bloggin’, « le gouvernement de transition n’est là que pour stabiliser le pays afin qu’il ne tombe pas dans le chaos et n’a pas pour vocation de mettre en place les réformes économiques et sociales profondes dont le pays a besoin. Mais que cela nous plaise ou non, poursuit-il, les partis d’oppositions n’ont pas la maturité nécessaire pour être aux commandes du pays».
Du côté des médias nationaux à présent, après une période de flottement, on apprend à jouir de cette liberté toute neuve… Et certains journaux, qui défendaient bec et ongles le régime Ben Ali il y a encore peu, exaltent maintenant la révolution du jasmin… Exemple : Le Quotidien qui constate qu’un «air de liberté souffle sur le pays. Les Tunisiens prennent la parole, s’expriment sans peur et sans censure -et sans auto-censure- Ils revendiquent leur droit à une citoyenneté pleine qui leur ouvre la voie de la participation effective à la vie de la cité. Les horizons se dégagent donc, poursuit Le Quotidien, et les Tunisiens voient se dessiner un nouvel avenir porté par les valeurs de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales, valeurs qui leur avaient été généreusement promises dans les discours mais clairement refusées dans les faits plus de deux décennies durant»
Même exaltation pour Le Temps : «l’essentiel, aujourd’hui, est que le peuple, ceux qui .ont mené la révolte et qui ont payé de leur sang le prix de la liberté ne soient pas délestés de leur triomphe et que leurs acquis ne soient pas récupérés par les politicards de tous bords. Et qu’ils soient aussi à la hauteur de l’image reluisante qu’ils donnent au monde, celle d’un peuple civilisé, refusant la tutelle et la dictature».

Longue marche !

Dans la presse du continent, avalanche de commentaires toujours sur la situation en Tunisie… Liberté, en Algérie, estime que la transition démocratique prendra du temps : «maintenant que l’ouverture est consacrée, et que le mur de la peur est définitivement tombé, il serait utopique de croire que la démocratie viendra rapidement, estime le quotidien algérien. C’est une longue marche que vient de commencer le peuple tunisien vers plus d’acquis démocratiques après avoir subi la chape de plomb depuis plus de 40 ans. C’est la raison pour laquelle des compromis s’imposent en pareille situation de crise majeure, affirme Liberté, afin de surmonter les difficultés du moment et permettre à la Tunisie de rebondir avec du sang neuf, énergies issues de l’opposition démocratique et de la société civile tout en sauvegardant les forces saines du RCD qui dispose encore de ses hommes au sein des institutions et des structures de l’Etat». Et Liberté de conclure : «le militantisme est primordial dans un changement mais il ne suffit pas dans la gestion des affaires de l’État. C’est le diktat de la realpolitik».
Analyse différente pour Le Pays au Burkina, Le Pays qui estime que «la configuration du nouveau gouvernement n’est pas de nature à mettre fin au système Ben Ali et à réussir la transition en cours, encore moins à réconcilier le peuple tunisien avec lui-même. Si le Premier ministre avait la volonté de former un vrai gouvernement d’union nationale, poursuit le quotidien burkinabé, il aurait dû dissoudre toutes les institutions et en asseoir de nouvelles. Certes, il y a un semblant de destruction des symboles de Ben Ali, mais cela n’est qu’un témoignage de façade. Le peuple tunisien souhaite tourner la page d’un régime qui l’a oppressé pendant presqu’un quart de siècle».
Enfin cette remarque de L’Observateur, toujours au Burkina, «la Tunisie, pour repartir du bon pied, a sans doute besoin de la compétence et de l’expérience de certains dignitaires du RCD. Mais de là à presque tout leur céder, ne laissant que la portion congrue à ceux-là même qui ont eu l’idée de secouer le cocotier, il y avait un pas qu’il ne fallait sans doute pas franchir. Reste à savoir, se demande L’Observateur, si le mécontentement des Tunisiens suffira pour forcer Mohammed Ghannouchi à revoir sa copie, ou si ce sont ces derniers qui devront faire preuve de suffisamment de patience pour franchir les six mois qui les séparent des élections».



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