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Un débat initié par CapDéMa et Sciences-po sur les droits de l’Homme : Les douze plaies du monde arabe


Nicolas Laurent
Mardi 16 Mars 2010

Les associations CapDéMa et Sciences-po monde arabe ont organisé dernièrement une rencontre sur le thème des «Droits de l’Homme dans le monde arabe».
Chamari du réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (RMDH), Hassan, directeur de l’Institut du Caire pour l’étude des droits de l’Homme (ICEDH) et Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) se sont succédé à la tribune pour dresser un état des lieux inquiétant, montrant la persistance des violations, selon des modalités diverses et des intensités variables, dans tous les pays du monde arabe sans exception, malgré la diversité des expériences nationales.
L’introduction de Chamari a porté sur les deux principales faiblesses du mouvement pour les droits humains. Il s’agit d’une part des tensions internes au mouvement dans le monde arabe, liées aux rapprochements entre des membres éminents de la lutte contestataire et les dirigeants politiques qu’ils critiquaient. D’autre part, il a relevé le problème de l’appropriation par le monde arabe des droits de l’Homme. Ce faisant, il a défendu l’universalité des droits humains, ressortissants non d’un monopole occidental sur l’édiction de principes juridiques et éthiques à vocation hégémonique, mais bien plus de la convergence de sources de pensée diverses, vers un consensus interculturel pour la promotion de la dignité et de l’intégrité humaine et la défense des individus.
Pointant les signes de régression, les trois intervenants ont unanimement dénoncé la répression des défenseurs des droits de l’Homme, comme en Syrie où Mohamed Al Hassani s’est vu radier du Barreau après s’être impliqué dans la défense de militants, une décision dénoncée par l’Ordre des avocats français.
Les difficultés pour tenir les réunions sont communément admises, comme pour la Ligue tunisienne des droits de l’Homme qui n’a pu tenir d’assemblée générale depuis plusieurs années. L’arrestation du président de l’Association pour les droits de l’Homme dans le Rif, après avoir accusé des hauts fonctionnaires de participation au trafic de drogue, est un autre exemple qu’il faut verser au même dossier.
Plus généralement la liberté d’expression est une cible pour les gouvernements et chefs d’Etat arabes. Le Yémen tient le haut du pavé, où 10 journaux sont interdits et une cour spéciale instituée pour juger les crimes dits «de publication». En Egypte, où l’on constate cette année une diminution des emprisonnements pour crime de publication, Kamal A’mer n’en a pas moins été condamné à quatre ans de prison après avoir critiqué le chef de l’Etat et les  conservateurs sur Internet. En Syrie, au moins 225 sites web sont purement et simplement bloqués - presque rien par rapport aux milliers de sites bloqués en Arabie Saoudite.
Les lois «anti-terroristes» votées depuis le crime du 11 septembre 2001 ont redonné du lustre aux régimes sécuritaires. En Egypte, Mohamed Abu Al Fajr est emprisonné depuis trois ans, en vertu de la loi sur l’état d’urgence. Il avait interpellé sur son blog le gouvernement égyptien au regard du non-respect des droits des Bédouins du Sinaï. Au Yémen, Yacine Al Wazeer a été condamné à huit ans de prison en l’absence d’un avocat. En Tunisie, l’«apparence particulièrement religieuse» constitue un motif d’inculpation!
Ces quelques exemples rendent à peine compte de la réalité des violations perpétrées en toute impunité. La torture est encore monnaie courante dans les prisons arabes, malgré les discours et les déclarations d’intention. Le Maroc, considéré par beaucoup comme le «bon élève» en matière de droits de l’Homme,  commence à mettre en œuvre une partie des recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation, suscitant une augmentation des plaintes de personnes déclarant avoir été torturées pour obtenir des aveux lors d’instruction concernant des réseaux terroristes. Quant à l’Algérie, aucune enquête n’y a jamais été diligentée suite à des plaintes de prévenus alléguant avoir subi des tortures ou des traitements humiliants.
Enfin, élargissant la question aux institutions et aux minorités, les intervenants ont dénoncé l’absence d’alternance politique réelle et le problème chronique des divisions ethniques et culturelles. En tête du palmarès, la Libye fête 40 ans de pouvoir suprême sans alternance, on compte 32 ans au Yémen, 29 ans en Egypte, 23 ans pour le Président tunisien, 21 au Soudan, 11 en Algérie (qui a supprimé l’article de la constitution limitant à deux mandats l’exercice de la présidence), 10 ans enfin en Syrie.
Les intervenants ont toutefois souligné des évolutions positives, concernant les milieux d’opposition et la société civile notamment, qui se structurent malgré la répression. Le Forum égyptien des droits de l’Homme regroupe à présent 16 associations. Les élites politiques semblent en outre plus enclines à s’engager pour les droits des minorités. Le Maroc a fait de nombreux progrès vers la reconnaissance de la culture amazighe, même s’il reste interdit de donner certains noms amazighs aux nouveaux-nés comme à un bâtiment public, et que les programmes scolaires n’ont pas encore totalement incorporé ce pan de l’identité marocaine. L’existence d’«organisations véritablement gouvernementales» témoignent certes d’une récupération de l’action de la société civile, mais aussi dans une certaine mesure d’une appropriation par l’entourage des dirigeants des discours des droits de l’Homme - dont la pratique reste à approfondir.
Le Maroc a occupé une place particulière dans la conférence, dès l’introduction et jusqu’à la conclusion finale. Les participants ont insisté sur des signes encourageants : la création de l’Instance Equité et Réconciliation, la publication des  témoignages et la mise en œuvre de ses recommandations, la relative libéralisation du secteur de la presse, la tolérance à l’égard de certaines revendications, la prise de parole par des magistrats concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Mais le verre est à moitié vide : les pratiques judiciaires et policières après 2003 ont fait l’objet de critiques répétées, et de nombreux exemples suscitent des doutes quant à l’enracinement du processus. C’est le cas de l’incarcération du colonel à la retraite Tarraz, condamné à 8 ans de prison après avoir dénoncé la mise à l’écart des officiers marocains libérés après leur capture et leur emprisonnement à Tindouf. C’est le cas aussi des violences à l’égard des manifestants contre le chômage de Sidi Ifni en août 2008. C’est le cas enfin d’une actualité brûlante, celle du procès en appel de Zahra Boudkour, interpellée à Marrakech, début 2008, lors d’une manifestation d’étudiants pour l’accès aux soins hospitaliers, violentée et humiliée par les forces de l’ordre, comme plusieurs de ces camarades. Son procès en appel, après avoir été reporté deux fois, devrait se tenir ce 31 mars. Les organisateurs de la conférence ont proposé lors de la clôture de la séance une photographie affichant le soutien des participants, pour la plupart étudiants de Sciences-Po, à Zahra.
Notons que des représentants de la presse tunisienne officielle se sont fait huer en tentant d’intervenir dans la discussion. Celle-ci manquait certes de contradicteurs face à l’unanimité de la tribune. Les officiels tunisiens, en tentant de jouer ce rôle, se sont pourtant ridiculisés par leur intervention décousue et ne respectant pas le processus de prise de parole proposé au début de la conférence. Apprendre à débattre, ce n’est pas une sinécure… 


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