Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?


Mustapha Hogga
Jeudi 21 Août 2014

Théocratie populiste L’alternance, une transition démocratique?
En quoi une meilleure organisation du système politique pourrait-elle nuire à la foi des Marocains ? Ceux qui ont intérêt à ce que l’autocratie persiste propageront sans hésitation des inepties telles que la séparation des pouvoirs rend athée ou expose à l’athéisme. Comment accéder à la démocratie ? La réponse est aussi facile que la mise en application est difficile. Il s’agit avant tout de considérer les Marocains comme des membres de la cité et de reléguer toute autre détermination, de la rendre indifférente au regard de la loi. Il faut donc « accélérer de vraies réformes constitutionnelles, politiques et judiciaires pour que tous les Marocains, pratiquants ou non, hommes ou femmes, Arabes ou Berbères, musulmans ou juifs, pauvres ou riches, puissent vivre paisiblement avec des droits et des obligations civiques. Une fois que l’État établit, ou si nécessaire impose, un cadre politique de base qu’aucune majorité morale ou sociale ne peut remettre en question, la démocratie pourra alors voir le jour au Maroc». On ne saurait dire qu’une évolution véritablement démocratique conduirait – si cette démocratie est bien comprise – à une dictature islamique. Au contraire, on a bien vu qu’en Turquie, les islamistes se sont limités à ce que permet le cadre institutionnel libéral sans tenter véritablement de le modifier dans un sens théocratique. En ne séparant pas la religion des institutions politiques, en affirmant que la censure des mœurs incombe à tous et donc chacun a un droit de regard moral sur autrui, on porte atteinte aux libertés individuelles conçues selon la démocratie. 
Faut-il continuer à donner à la société civile un contenu religieux ou postuler son autonomie ? L’islam et la démocratie ne sont pas nécessairement incompatibles; seule une interprétation déterminée de l’islam rejette la démocratie. Celle-ci n’a pas pour but de remplacer la religion et ne peut lui nuire et ce n’est pas la démocratie qui fait les matérialistes ou les athées. Ceux-ci ont existé et existeront à toutes les époques. Il s’agit de savoir ce qui est mieux, d’avoir des libres-penseurs sournois (par crainte des conséquences) ou des libres penseurs et qui le disent tout en respectant la liberté de conscience. Je préfère la deuxième situation car elle donne lieu à un débat utile pour tous. Il serait absurde de blâmer la Bible ou le Coran d’avoir ignoré la séparation des pouvoirs, concept qui est l’aboutissement de plusieurs siècles de pratiques et de réflexions politiques. Il serait encore plus absurde de rejeter ce concept parce qu’il ne figure pas dans le Coran. Toute religion doit être servie par des interprétateurs avertis qui veillent à ne pas faire du texte révélé une lettre morte. On voit que la question est plus complexe qu’une citation littérale du Coran. Si la concentration des pouvoirs était la règle dans le monde jusqu’au XVIème siècle, au siècle suivant, il s’agissait de fonder l’ordre politique sur la représentation et la responsabilité du gouvernement devant l’assemblée. Il s’agissait aussi d’instaurer un équilibre entre les trois pouvoirs par leur limitation les uns par les autres afin de mieux sauvegarder les libertés. Ce n’est pas le seul monde islamique qui resta à l’écart de cette évolution : l’Amérique latine, même après son indépendance, de nombreux pays asiatiques ou africains et même la Russie impériale. Est-il temps aujourd’hui de jeter résolument un pont entre le Maroc et l’Occident en matière de doctrine politique ?
La construction d’une identité nationale sur la religion ou l’attachement à une dynastie particulière qui marqua l’histoire de nombreux pays musulmans doit s’enrichir en permanence. La communauté de langue et de culture, façonnée par des siècles d’histoire et par des causes politiques jugées essentielles (nationalisme anticolonial) ajouta de nouvelles dimensions à l’identité nationale ; mais celle-ci peut-elle reposer uniquement sur un islam réduit à sa plus simple expression : un dogme et un culte sans approfondissement, sans une interprétation humaniste ou universaliste?
A l’évidence, les clivages ethniques (tribalisme), linguistiques ou religieux, les disparités socioéconomiques excessives peuvent handicaper sérieusement l’identité nationale. 
Ce qui manque aux Marocains, c’est un mode de vie ensemble qui suppose l’acceptation des différences et la suppression de la marginalisation. A présent, c’est la séparation des pouvoirs qui doit poursuivre cet approfondissement de l’identité nationale. 
 Autonomie du Makhzen : que peut le despotisme éclairé ?
Hassan II pensait que la séparation des pouvoirs ne concernait que la société marocaine et que parallèlement à ces pouvoirs et en-dessus d’eux, il y avait le pouvoir royal. Or celui-ci articulait une réalité, celle du Makhzen, qui vidait de sa substance la séparation des pouvoirs formellement inscrite dans les diverses Constitutions. Le Makhzen dont les membres sont nommés par le Roi a une dynamique propre. A l’abri de la souveraineté monarchique, le Makhzen sous prétexte de protéger et sauvegarder le pouvoir royal se situe d’emblée dans une posture de confusion des pouvoirs. Au Maroc, on a fait de la défense de l’Etat, depuis un temps immémorial, une affaire personnelle; on a pensé que pour motiver les serviteurs de l’Etat, il faut qu’ils aient des intérêts à défendre, que leur fortune dépende de la continuité de l’État, que cela les pousse à être plus vigilants et plus perspicaces, et souvent plus corrompus ! Aujourd’hui, on se défie de ce genre d’idées : là où il y a intérêt personnel, il ne saurait y avoir intérêt d’Etat. 
Le Makhzen culmine dans le phénomène de l’homme fort, protecteur de la monarchie, mais il peut avoir son propre agenda. On semble, à présent, avoir rompu avec la recherche de l’homme fort. Ce n’est pas seulement d’être nommé par le Roi qui est constitutif du Makhzen, c’est de mobiliser la sacralité, selon la loi organique, du Souverain pour soi-même, de faire agir ce qui est dans la Constitution potentiel à son propre avantage ; c’est le fait pour la personne désignée de se mettre au-dessus des lois et de prendre toutes les libertés avec les droits et les intérêts des citoyens. 
Ce qui est loi organique pour le pays est opportunité stratégique pour tous ceux qui ambitionnent d’appartenir à l’un des cercles du Makhzen. Bien abrités derrière le sacré, nombreux sont ceux qui bâtissent des fortunes considérables au détriment du bien public. Ceux qui tiennent leur pouvoir ou exercent une autorité par une nomination royale font rarement preuve de retenue. Des potentats, sous couvert de servir l’Etat, servent leurs intérêts et bafouent sans vergogne les droits des citoyens. Les privilèges du Makhzen sont tels qu’il est foncièrement en faveur de l’autoritarisme et s’il semble libéral ( ?), ce n’est que provisoire ou tactique. Le Makhzen n’est pas seulement un système dans lequel les responsables profitent bien de leur situation, il établit un réseau de clientèles qui ignore délibérément la séparation des pouvoirs. 
Le Makhzen, gouvernement selon la confusion des pouvoirs, peut bien être constitué de clans en lutte entre eux, mais ceux-ci sont unanimes dans leur indifférence aux droits des citoyens. Force est de constater qu’autour de ce Makhzen gravitent tous ceux qui ambitionnent de faire rapidement fortune, soit en ayant des privilèges et des avantages de toutes sortes, soit en se protégeant des rigueurs de la loi. Le Makhzen n’est pas une instance d’équilibre social et d’arbitrage objectif au nom des intérêts de la nation, comme la bureaucratie hégélienne, il est le foyer du clientélisme et des passe-droits. C’est un corps de dignitaires qui occupe des postes-clés et qui prend les décisions qui leur permettent de les conserver le plus longtemps possible : résoudre les problèmes pour eux revient à nier leur existence.


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