Ruée à la nage vers Sebta

C’est aller vite en besogne que d’y voir une attitude volontariste de la part du Maroc


Hassan Bentaleb
Mercredi 19 Mai 2021

Arancha González Laya: Cet afflux de migrants vers Sebta n’est pas à attribuer au désaccord avec Rabat à propos de la présence en Espagne du chef du Polisario, Brahim Ghali

«C’est une journée indescriptible », c’est ainsi que Mohamed Benaïssa, président de l'Observatoire du Nord pour les droits de l'Homme (ONDH) a qualifié la journée de lundi dernier qui a été marquée par l’entrée irrégulière à Sebta de plus de 5.000 personnes selon des sources espagnoles. «Tout a commencé vers l’aube, mais le plus grand nombre d'entrées a été enregistré entre 16h30 et 19h. Vers 20h00, leur nombre a atteint 7.000 personnes et ils ont été 10.000 à suivre de près la situation de l’autre côté», nous a indiqué notre interlocuteur. Et d’ajouter : « L’arrivée des forces de l’ordre marocaines vers 22h00 n’a pas changé grand-chose puisque certains ont poursuivi leur tentative de passage vers Sebta». Concernant le profil de ces personnes, le président de l’ONDH nous a affirmé qu’il y en avait de tous les âges. « Nous avons recensé des hommes, des femmes, des enfants et même des familles venant de Tétouan et de ses alentours ainsi que d’autres villes (Tanger, Ouazzane, Chefchaouen,…). Il y avait également des migrants irréguliers subsahariens. Tout ce beau monde est arrivé à la nage ou via des moyens rudimentaires depuis la ville voisine de Fnideq», at-il précisé. Et d’ajouter : «Il y avait aussi beaucoup d’enfants qui ont réussi à passer de l’autre côté. Selon des chiffres non officiels, leur nombre a atteint 1.500 le soir alors que le matin, ce nombre a été de 700». De son côté, Bentahr Redouan, militant des droits de l’Homme installé à Sebta, décrit une scène de panique et d’hystérie. « Il y avait des hélicoptères qui survolaient le site, les sirènes des ambulances qui retentissaient, des individus qui couraient dans toutes les directions trempés et fatigués et des éléments de l’armée et de la Guardia civil qui tentaient de faire régner l’ordre. En un mot, la scène a été apocalyptique », nous a-t-il témoigné. Comment peut-on expliquer cette tentative collective de rejoindre Sebta ? Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les avis qui tendent à considérer ce départ collectif comme un acte prémédité de la part des autorités marocaines dans un contexte de tension diplomatique entre Madrid et Rabat. Certains n’ont pas hésité à évoquer une sorte de stratagème de la part du Maroc pour obtenir plus de fonds dans sa lutte contre la migration irrégulière. Pour sa part, Mohammed Charef, directeur de l'Observatoire régional des migrations, espaces et sociétés (ORMES) (Faculté des lettres et des sciences humaines d’Agadir) considère que l’ouverture des frontières devant les migrants a servi de monnaie d'échange ou comme cartes à jouer intégrant plusieurs pays. « Prenez l’exemple de la Turquie de Tayyip Erdogan qui a ouvert ses frontières avec l’Europe en 2020 pour laisser passer les migrants en échange d’une réponse « concrète » de l’UE à ses exigences. Prenez également l’exemple de la Libye de Kadhafi ou de la Tunisie de Benali », nous a-t-il rappelé. Et de poursuivre : « Mais, dans le cas du Maroc, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un acte délibéré des autorités malgré un contexte diplomatique exacerbé entre les deux pays. En fait, notre pays ne peut pas tolérer une action d’une telle ampleur. Il va de l’image du Maroc et de sa réputation ». Notre source estime qu’il y aurait eu un relâchement au niveau de la surveillance du passage séparant le Royaume de ses présides occupés vu le contexte des vacances de l’Aïd. « Il faut également rappeler que la tentative de lundi dernier n’est pas la première puisqu’en 2005 et au cours de deux semaines, près de 2.000 migrants africains ont pris d'assaut les postes frontières de Sebta et Mellilia. Il y a eu également d’autres tentatives en 2007, mais pas d’une telle ampleur», nous a-t-il expliqué. Et de conclure : «Ce genre de tensions durera dans l’avenir vu la configuration géographique des frontières marocaines à proximité de celles de l’Europe ». Du côté de Rabat, aucune information n'a filtré concernant la position officielle du Maroc. La ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha González Laya, a indiqué, de son côté, que des responsables marocains, qu'elle n'a pas nommés, ont "assuré" lundi aux autorités espagnoles que cet afflux de migrants vers Sebta n’est pas à attribuer au désaccord avec Rabat à propos de la présence en Espagne du chef du Polisario, Brahim Ghali. Pour sa part, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a jugé mardi "inquiétant" cet afflux et a appelé le Maroc à empêcher les "départs irréguliers" depuis son territoire. "Il est inquiétant qu'au moins 6.000 personnes, dont un grand nombre d'enfants, aient rejoint Sebta à la nage, en mettant leur vie en danger. Beaucoup ont dû être secourus, une personne est morte", a-t-elle déclaré. Et de marteler : «Le plus important maintenant, c'est que le Maroc continue à s'engager à empêcher les départs irréguliers, et que ceux qui n'ont pas le droit de rester soient renvoyés de façon ordonnée et efficace. Les frontières espagnoles sont les frontières de l'Europe ». "L'Union européenne veut bâtir une relation avec le Maroc basée sur la confiance et des engagements partagés. La migration est un élément clé à cet égard", a ajouté la responsable suédoise. A l’heure où nous mettions sous presse, quelque 300 personnes avaient déjà été renvoyées au Maroc, selon des sources policières. On compte également trois migrants décédés. 

​Le Premier ministre espagnol annule son voyage à Paris

Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a décidé d'annuler mardi un voyage prévu à Paris en raison de la crise provoquée par l'afflux de milliers de migrants dans le préside occupé de Sebta, a annoncé son gouvernement dans un communiqué. En raison des "derniers événements" à Sebta, M. Sanchez a annulé sa participation à un sommet sur le financement des économies africaines dans la capitale française et s'exprimera à l'issue du Conseil des ministres à la mi-journée, a précisé le gouvernement. Quelque 6.000 migrants sont arrivés lundi à Sebta, parmi lesquels 1.500 ont déjà été expulsés, a indiqué le gouvernement espagnol mardi. "Ma priorité pour le moment est de ramener la normalité à Sebta. Ses citoyens doivent savoir qu'ils bénéficient du soutien total du gouvernement espagnol", qui fera preuve "de la plus grande fermeté pour assurer leur sécurité et défendre leur intégrité en tant que partie intégrante du pays", a souligné Pedro Sanchez sur Twitter.


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