Rêver le Maghreb Archéologie du blocage


Libé
Lundi 21 Décembre 2020

Juste un rappel: Le Maroc est peut-être le seul pays au monde à connaître un processus de décolonisation qui a duré plusieurs décennies. Et qui dure encore ! Cela a commencé par la zone française en 1956, puis espagnole, puis Tanger (zone internationale), puis Ifni (Espagne), puis Tarfaya (Espagne), etc. Et ce n’est pas terminé! Attendent encore, après le Sahara marocain, les villes de Sebta et Mellilia, sans parler de plusieurs îles et îlots. Pour ce qui est de l’Algérie, il faudrait rappeler que l’immense Sahara central a été agrandi par la France coloniale aux dépends de la Tunisie et du Maroc. Et ce sans respect du principe de l’autodétermination de plusieurs peuples et tribus, en particulier celui des Touaregs. Et pour cause : gisements de gaz et de pétrole en plus de la nécessité d’avoir un espace immense pour les essais atomiques. Par conséquent, la France a intégré en 1952 à l’Algérie française la région de Colomb-Béchar ainsi que celle de Tindouf. Confrontée au Maroc qui revendiquait ces territoires après son indépendance, elle lui a proposé de les lui remettre à condition qu’il cesse son soutien au combat armé des Algériens, ce que le Roi Mohammed V a refusé catégoriquement en disant qu’il ne veut en aucun cas poignarder ses frères algériens dans le dos. Il a préféré trouver une solution avec le gouvernement provisoire algérien en exil. Le fruit des pourparlers a débouché sur l’accord du 6 juillet 1961 qui prévoit des négociations en vue de la restitution de ces territoires après l’indépendance de l’Algérie. Le même problème s’est posé du côté tunisien. Le président Habib Bourguiba réclame en 1957 une exploitation maghrébine commune du Sahara. Il a fait, lui aussi, confiance au gouvernement provisoire algérien avec lequel il a signé un accord. Mais il a été également poignardé dans le dos par la junte militaire algérienne, tout comme son frère le Roi Mohammed V. Nous constatons que pour les héros de l’indépendance, aussi bien au Maroc qu’en Tunisie, et même en Algérie, le Sahara était considéré comme un bien maghrébin commun. Mais la junte militaire a pris le pouvoir réel déjà avant l’indépendance et ne l’a plus lâché depuis (voir l’article sur le régime militaire algérien : https://algeriawatch.org/?p=55355). C’est elle qui détermine d’une main de fer la politique et dicte directement ou indirectement à toutes les instances du pays la marche à suivre. Pour détourner l’attention de l’opinion publique internationale, elle se sert des idéologies du tiersmondisme et du socialisme pour discréditer ses voisins, pour leur imposer les frontières coloniales et pour leur réclamer, par-dessus le marché, les quelques parcelles de terrain saharien qu’ils détiennent encore. La vraie question qui se pose donc, c’est l’autodétermination des peuples et tribus qui se trouvent dans le Sahara colonial central contrôlé par l’Algérie. Donc, le gouvernement provisoire algérien (avant l’indépendance) avait promis à ses voisins de leur rendre les territoires annexés arbitrairement par la France, mais le régime militaire qui a été instauré juste après l’indépendance, et qui sévit toujours, n’a rien voulu savoir. Il a fait sien l’état de fait colonial. Il est même allé plus loin en s’attaquant ouvertement à la Tunisie à Gafsa. A l’Ouest, il manipule le « Polisario », mouvement séparatiste absurde qui est à sa solde. Absurde par son nom même (Polisario), étant donné qu’il utilise la langue du colonisateur pour définir son pseudo-anticolonialisme. Le régime militaire algérien, pendant toutes ces dernières décennies, n’a même pas eu l’intelligence de dépasser ces questions de frontières dans un projet d’unité maghrébine à l’instar de ce qu’ont fait les pays européens. Cela aurait été bénéfique pour tous les peuples et les Etats du Maghreb. Bénéfique même pour ceux de l’Europe. Et maintenant, c’est la déstabilisation et l’embrasement de toute la région qui se profilent à l’horizon. En général, et l’Histoire l’a souvent démontré, ce sont les grands ensembles qui font les frais d’une telle politique et d’une telle évolution. Et le grand ensemble de populations et contrées diverses regroupées arbitrairement par la France, qui a cru pouvoir s’installer éternellement dans cette contrée, c’est bien sûr l’Algérie actuelle qui épouse parfaitement les contours de l’Algérie française. Mais ne perdons pas espoir de voir ce blocage maghrébin, qui n’a duré que trop longtemps, se dénouer grâce au mouvement de protestation de ces derniers mois pour le bien du peuple algérien frère et surtout pour le bien de sa jeunesse et de celle de ses voisins qui ne rêvent que de connaître la paix et la prospérité dans le cadre d’un Grand Maghreb.

Repères historiques:
Les indépendances des pays du Maghreb ont été déclarées juste quelques années après le début du processus de construction européenne (Libye 1951 ; Tunisie et Maroc 1956 ; Mauritanie 1960 ; Algérie 1962). Les dirigeants maghrébins de l’époque n’étaient pas bornés, c’est-àdire qu’ils ne pensaient pas seulement aux bornes, aux frontières, mais avaient une vision pour l’ensemble de la région. Ils avaient donc constitué des commissions pour établir un projet de construction maghrébine. Ces stratèges de « l’ Union du Maghreb » ont commencé par des réalisations concrètes. Ils ont commencé par mettre en place une institution pour gérer ensemble les ressources de la région : pétrole, gaz, phosphates, pêche, tourisme, etc. C’était déjà en 1964. Il fallait ensuite fonder la « Communauté économique maghrébine » (CEM). Pour ce faire, les cinq dirigeants du Maghreb ont signé le 25 mars 1967 les « Traités de Tunis » instituant la CEM ainsi que la « Communauté maghrébine du pétrole, du gaz et des phosphates » (CMPGP) et la « Communauté maghrébine de l’industrie et de l’agriculture » (CMIA). La vision consistait en la réalisation d’un grand marché commun facilitant la libre circulation des hommes et des marchandises. Une série de grands projets est aussitôt lancée : des TGV sillonnant tout l’espace maghrébin, ainsi que des autoroutes, des ports et des aéroports. En coopération avec l’Union européenne, on commença à réaliser deux tunnels sous la Méditerranée, l’un reliant Tanger à Tarifa en Espagne et l’autre Carthage à Marsala en Sicile. Il fallait, pour démarrer ces différents projets, mettre en place de nouvelles institutions, à savoir une « Commission maghrébine », un « Conseil des ministres » ainsi qu’une « Cour de justice maghrébine ». C’était chose faite dès l’année 1968. A partir du 1er juillet 1978, « l’Union douanière des pays du Maghreb » devient une réalité : abolition totale des droits de douanes. L’effet de cette mesure est presque immédiat : le commerce intra-maghrébin est multiplié par dix et les échanges avec le reste de monde par six. Les produits de consommation connaissent un essor considérable et les prix se stabilisent d’une manière spectaculaire. Le 1er janvier 1989, le « Parlement maghrébin » est créé et les premières élections au suffrage universel ont eu lieu au mois de juillet de la même année. Au 1er janvier 2003, les pays du Maghreb adoptent à Nouakchott « l’Acte unique » qui met fin à toutes les entraves douanières et fiscales. C’est enfin le Maghreb sans frontières ! Et le 7 février 2004 est signé à Alger le traité qui institue « l’Union maghrébine ». Ce traité consacre l’ambition politique des Etats du Maghreb. On a enfin compris qu’une coexistence politique entre monarchies et républiques est possible, puisque l’Europe voisine en donne l’exemple et se réjouit même de voir un grand marché se développer de l’autre côté de la Méditerranée. Le 1er janvier 2005 sont signés à Tripoli les « Accords Tripolitains » qui instituent définitivement les frontières extérieures du Maghreb. Dans le même temps, les peuples détruisent avec enthousiasme les bornes séparant le Sahara occidental du Sahara central, ainsi que celles séparant le Sahara central du Sahara oriental. La liesse populaire rappelle celle observée quelques années plus tôt lors de la chute du Mur de Berlin. Les passeports nationaux sont donc devenus obsolètes. Un passeport unique les remplace avec comme intitulé : « Passeport des Etats Unis du Maghreb ». A partir du 1er janvier 2012, la « Banque centrale maghrébine » (BCM), installée à Casablanca, décide de consacrer le « Tunis » comme monnaie unique dans tous les Etats du Maghreb. Le « Parlement maghrébin », réuni l’année suivante en session extraordinaire à Oran, décide le lancement des « Grands projets maghrébins du 21e siècle » : Multiplication des sources d’énergie renouvelable, développement de la production d’hydrogène, environnement, climat, robotique, aéronautique, numérique, conquête de l’espace, diversification des échanges avec l’Europe et les pays africains, etc. Le slogan pour cette relance est vite trouvé : « Initiative pour une vitrine maghrébine ». Une marche sur la lune avec cinq astronautes a même été réalisée par l’agence « Maghreb Espace » le 25 mars 2017 pour commémorer les 50 ans de la signature des « Traités de Tunis ». Vu le développement extraordinaire de ces dernières décennies et la prospérité qui en découle, les habitants du Maghreb ne sont plus refoulés. Leur passeport bénéficie désormais d’une reconnaissance internationale et ils n’ont plus besoin de visa pour voyager à travers le monde. Et dans l’espace aussi !
Par Fawzi Boubia
Ecrivain et historien, spécialiste des relations Orient-Occident


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1.Posté par Said le 27/12/2020 21:14
N'attendez rien des hypocrites algériens la fermeté rien que la fermeté qui compte

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