La criminalité est en recrudescence au Maroc. Avec un taux des plus élevés dans le pays - troisième après El Jadida et Fès -, Casablanca abrite des femmes des plus dangereuses. Dans certaines zones de la capitale économique, qui ont vu se multiplier des actes criminels, les femmes ont, elles aussi, leur place. «Les recherches faites sur la violence au Maroc révèlent que la violence chez la femme est aujourd’hui un phénomène alarmant. C’est même phénoménal. Cela peut atteindre jusqu’à 50% de la violence, à savoir des crimes allant de bas âge jusqu’au crime professionnel », selon le psychosociologue, Mohssine Benzakour, qui a encadré une étude de la violence chez la femme. Pour le psychosociologue, qui tire la sonnette d’alarme, «la société marocaine commence vraiment à basculer vers un phénomène social très inquiétant». Il ajoute que «les premières apparences de l’âge criminel chez la femme commencent à partir de l’enfance. Mais le crime proprement dit, c’est à partir de l’adolescence chez la femme jusqu’à l’âge de 50 ans». Ces dernières années, déclare-t-il à Libé, «on a assisté à la mise à jour des réseaux internationaux. On doit aussi faire face à des crimes effarants commis par des personnes à l’égard de leurs proches». Mais, poursuit notre interlocuteur, « ce qui devient de plus en plus flagrant dans notre société, c’est que la criminalité n’est plus que masculine. On parle aussi de plus en plus de la violence de la femme. Laquelle enregistre une augmentation de la délinquance juvénile, qui incite des femmes à recourir à la drogue, à la prostitution et à la criminalité».
Pour Mohamedd El Azhar, criminologue et enseignant à l’Université Hassan II de Casablanca, la femme occupe aussi une place dans le monde de la délinquance et de la violence. Plus, le criminologue déclare à Libé qu’«aujourd’hui, la femme commence à faire la concurrence à l’homme qui, naguère, agissait seul». Et d’ajouter: «A défaut d’un programme d’aide et d’intégration pour les femmes récidivistes, une grande partie des délinquantes ayant été condamnées pour vol, prostitution, violence ou trafic de drogue atterrissent à la rue. La femme, tout comme l’homme, s’adonne aujourd’hui à la drogue et commet aussi des crimes atroces ». Et de poursuivre: « Il n’y a pas de zone à Casablanca qui ne soit à l’abri du phénomène de la délinquance et de la violence de la femme. Certaines d’entre elles s’adonnent à la prostitution, d’autres à la violence et au trafic de drogue».
Pour ces femmes, il est trop tard. La rue a fini par les détruire à jamais, comme nous dira l’une des femmes récidivistes qui se prostitue au centre-ville de la capitale économique. Notre interlocuteur ne manque pas de citer certains quartiers considérés comme des points noirs en matière de prostitution, tels les Boulevards Zerktouni et Anfa, le passage Allal Ben Abdallah, 11 Janvier, Maarif (près de Mc do) ou encore le Boulevard Mohammed V. «C’est dans ces lieux que la femme qui s’adonne à la prostitution, commence à apprendre à consommer de la drogue. Elle apprend les techniques du crime », selon le criminologue.
«Libé» est allé à la rencontre de ces femmes dans certaines zones considérées comme des points noirs en matière de criminalité et de prostitution.
Sur le Boulevard Mohammed V, ce jeudi 15 mai, dans le centre-ville, c’est ici que nous avons découvert le quotidien des femmes qui sillonnent les lieux chaque jour et par tout temps.
Ce jour-là, ce n'était pas l'affluence des grands jours sur ce boulevard, connu depuis longtemps par la présence de ces femmes qui s’adonnent à une activité qui s’est jurée de tenir bon, malgré les descentes qui sont menées de temps à autre par les services sécuritaires.
La plupart d’entre elles viennent d’un milieu défavorisé. Beaucoup ont été violées ou abandonnées dès leur enfance. Et certaines sont même très violentes. Le soir, les agressions qui sont souvent commises dans cette zone en dissuadent plus d’un à se rendre dans ce lieu, fief de la prostitution depuis maintenant plusieurs années. Nous y avons rencontré Nadia, 33 ans, une récidiviste ayant fait la prison. Elle n’est plus jeune. Son look très sexy et sa démarche ne laissent aucun doute sur sa profession. Il nous a fallu beaucoup de persuasion pour convaincre la jeune femme de parler. Nous nous sommes fait passer pour d’anciennes de la profession, cherchant des filles pour passer de bons moments en compagnie de ressortissants émiratis. Au début, Nadia s’est montrée méfiante, avant de réfléchir, peut-être parce que nous lui avons proposé une somme d’argent comme avance. Nous avons essayé de la mettre en confiance, en lui expliquant que nous préparions une soirée pour le week-end, et que nous avons besoin de trois jeunes filles dont l’âge ne doit pas dépasser les 25 ans. Elle s’est décidée enfin à accepter notre proposition.
A notre question de savoir comment elle passait ses journées ici et si elle arrivait à s’en sortir, là elle ne s’est fait plus prier. Elle nous a raconté son quotidien de femme en perte de repères. «C’est de plus en plus difficile. Ce n’est plus sûr comme avant. Il y a des clients qui sont des salauds. Ils ne paient pas». Pis, ajoute-t-elle, «j’ai même été battue par des clients qui sont de vrais psychopathes». Tout en nous parlant, et comme une vraie professionnelle, la jeune femme fixait chaque homme qui passait. « La violence, on connaît aussi dans cette profession. On se fait bousculer de temps à autre, aussi bien par des clients que par la police. C’est pourquoi, une fille de rue se doit d’être forte. Elle doit même être très violente. Car la brutalité fait partie de son quotidien », a précisé Nadia, en confiant avoir été malmenée par des policiers. « Certains policiers nous font du chantage. Ils ne manquent pas de nous demander de passer une nuit avec eux sans payer », a-t-elle confié. En scrutant un homme, qui était assis non loin de la Chambre de commerce et d’industrie de Casablanca, la femme a mis brusquement fin à notre conversation. En prenant la direction de ce dernier, Nadia n’a pas oublié de nous donner son téléphone, en nous soulignant qu’elle répondrait favorablement à notre demande. «J’ai ce qu’il vous faut. J’espère que vos clients seront généreux», a-t-elle lancé avant de nous quitter.
Nous avons ensuite mis le cap sur l’ancienne médina, connue par la présence de revendeurs de psychotropes dont notamment des femmes. Un ancien dealer résidant dans cette zone depuis trente ans, a confié à «Libé» que des femmes de l’ancienne médina s’adonnent aussi à la drogue. «Il y en a même qui en font leur activité, allant jusqu’à Oujda pour s’approvisionner chez des barons de la drogue», a-t-il souligné, ajoutant que «dans l’ancienne médina, l’activité de ces femmes -mais aussi des hommes- n’est plus comme avant. Car depuis un certain temps, on a serré l’étau autour des dealers de la zone ».
Sur place, nous sommes tombés sur Khadija, une jeune fille de 29 ans, qui a attiré notre attention. Elle portait une djellaba noire et laissait voir sa grossesse qui semblait être au dernier mois. Khadija, qui ne passe pas inaperçue, est devenue dealer de psychotropes depuis maintenant quelques années. Elle a raconté, avec amertume: «J’ai eu une enfance difficile. Quand j’étais au collège, j’ai eu la malchance de faire la connaissance d’un toxicomane, lequel est devenu mon compagnon et m’a fait goutter mon premier joint». Et au fil des années, dit-elle, «je suis devenue moi aussi accro à la drogue». Son compagnon la maltraitait et la poussait à faire le trottoir, quand il commençait à avoir des difficultés financières pour se procurer de la drogue. Très vite, dit-elle, «j’ai appris à connaître les règles de ce monde de drogue, de violence mais aussi de prostitution».
Dans les quartiers que nous avons visitées, les histoires de ces femmes perdues dans le monde de la criminalité, de la drogue et de la prostitution se ressemblent.
Pour le criminologue, Mohamed El Azhar, si la délinquance de la femme a explosé, c’est parce qu’il n’y a pas de programme d’aide pour les femmes récidivistes. De plus, déplore-t-il, « il n’y a pas d’espaces socioculturels où ces femmes- et les jeunes en général- peuvent occuper leur troisième temps, en pratiquant leurs hobbies. De même qu’il n’y a pas d’action sociale au profit de cette catégorie de la société ». Pas étonnant que ces femmes soient détruites à jamais par la rue.