Recommandations notoires de la CIJ au service du climat

Une opportunité allant dans le sens de la politique verte adoptée par le Maroc


Hassan Bentaleb
Mardi 29 Juillet 2025

Recommandations notoires de la CIJ au service du climat
Nouveaux engagements pour le Maroc en matière de lutte contre le changement climatique. En effet, le Royaume devrait à l’avenir prévoir obligatoirement des mesures «appropriées», «conséquentes», «rapides» et «durables» pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et il devrait aussi coopérer en matière de financement, de transfert de technologies et de soutien aux pays les plus vulnérables. C’est ce qui ressort d’un avis consultatif rendu public, mercredi dernier, par la Cour internationale de justice (CIJ).
 
Les fondamentaux
 
Selon Gabriel Ajabu Mastaki, doctorant en sciences juridiques à l'UCLouvain et chercheur au Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen, Equipe Droits et Migration, cet avis de la Cour internationale de justice met concrètement en lumière trois fondements normatifs essentiels qui structurent la réponse juridique au changement climatique. « Il y a, d’abord, l’obligation de prévenir les dommages significatifs à l'environnement. Cette obligation est désormais reconnue comme une règle coutumière du droit international, ce qui signifie qu'elle s'impose à tous les Etats, même sans traité spécifique. La Cour précise que cette responsabilité s'étend explicitement au système climatique mondial, définissant le climat comme un bien commun mondial. Les Etats ont donc un devoir rigoureux d'agir avec diligence — une diligence qualifiée de stricte — impliquant la mise en place et l'application constante de mesures concrètes, efficaces et adaptées pour empêcher toute dégradation importante. Cette vigilance doit s'exercer à chaque étape : de la planification à l'action, en passant par le suivi et l'évaluation des impacts, afin de limiter autant que possible les risques pour l'environnement et les générations futures».

«Ensuite, ajoute-t-il, le devoir de coopération entre Etats. Reconnu lui aussi comme une norme coutumière, ce devoir découle principalement des principes stipulés dans la Charte des Nations unies et est renforcé dans divers instruments environnementaux internationaux. Face à un défi global tel que le changement climatique, qui ne connaît pas de frontières, la coopération devient non seulement nécessaire, mais impérative. La Cour souligne que la collaboration entre les Etats — que ce soit par le partage d'informations, la coordination des politiques ou l'appui technique et financier — est un pilier indispensable d'une réponse mondiale cohérente, efficace et équitable».

«Enfin, affirme-t-il, la reconnaissance implicite du principe de non-refoulement dans le contexte climatique. Il s’agit là d’une évolution majeure puisque la Cour a examiné comment le principe fondamental de non-refoulement — qui interdit le renvoi forcé d'une personne vers un pays où il pourrait y avoir des atteintes graves à ses droits humains — doit être interprété face aux impacts du changement climatique. La Cour observe que les phénomènes liés au dérèglement climatique, tels que la montée du niveau des mers, les catastrophes naturelles ou la dégradation des conditions de vie, peuvent mettre en danger la vie, la santé, voire la dignité des individus. Par conséquent, renvoyer une personne vers un environnement devenu hostile ou dangereux pourrait engager la responsabilité internationale de l'Etat demandeur de son renvoi. Ce principe étend ainsi la protection des droits humains en intégrant les menaces environnementales comme facteurs déterminants dans les situations d'asile ou de protection internationale ».
 
Fertilisation croisée
 
Gabriel Ajabu Mastaki soutient, en outre, que « l'avis rendu par la Cour internationale de justice établit un dialogue fécond avec l'avis consultatif du Tribunal international du droit de la mer (TIDM), opérant ce que l'on peut qualifier de «fertilisation croisée» entre les deux juridictions internationales. Cette démarche vise à construire une lecture systémique et cohérente du droit international face à la crise climatique, prenant en compte la complexité et l'interdépendance des enjeux».

Concrètement, poursuit-il, la CIJ s'appuie sur les analyses, principes et conclusions novateurs posés par le TIDM, notamment sur la notion d'«obligation de diligence» dans la prévention des dommages environnementaux, le rôle structurant du devoir de coopération entre Etats et l'importance de la préservation des biens communs comme les océans et l'atmosphère. En intégrant la jurisprudence et les normes issues du droit de la mer, la CIJ élargit ainsi le spectre de la responsabilité internationale à la dimension climatique globale ».
 
Opportunité
 
Pour Mohamed Chaoui, spécialiste des politiques publiques, le Maroc a été l'un des pays du Sud les plus engagés dans la ratification des principaux traités climatiques (Convention-cadre de l'ONU, Protocole de Kyoto, Accord de Paris) et se distingue par des objectifs nationaux ambitieux. Selon lui, « l'avis de la CIJ, qui renforce la portée juridique des obligations climatiques, va consolider la stratégie marocaine déjà tournée vers le respect du droit international environnemental et l'intégration des normes internationales dans sa législation». Et d’ajouter que «la législation marocaine va continuer de s'aligner sur les normes internationales : réforme des normes environnementales, du suivi et de l'évaluation, transparence des contributions nationales (NDC) et accent sur la responsabilité partagée et différenciée». La coopération avec des partenaires internationaux et régionaux (UE, ONU, Afrique) sera également renforcée, notamment pour la recherche, le financement vert et la formation.

Notre interlocuteur estime que «l'avis de la CIJ pourrait être une opportunité pour le Maroc pour renforcer sa voix dans les débats sur la justice climatique : faire valoir la responsabilité accumulée des pays historiquement pollueurs et réclamer davantage de financements pour l'adaptation et la compensation des pertes et dommages». «Le Royaume, tout en affirmant son exemplarité, plaidera pour une solidarité internationale active afin de soutenir ses propres efforts et ceux du continent africain», souligne-t-il. Et de conclure : «Sur la scène internationale, le Maroc utilisera probablement l'avis de la CIJ pour appeler à plus de coopération Sud-Sud et Nord-Sud sur le climat; protéger ses intérêts dans les négociations sur les ressources naturelles et le commerce vert et encadrer juridiquement ses politiques migratoires et énergétiques dans le respect des nouvelles normes climatiques ».

Hassan Bentaleb


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