Vide juridique et carence d’ une politique migratoire au niveau local
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Conseil de la ville, le coupable idéal ?
«Au niveau de la ville de Casablanca, le Conseil de la ville a toujours préféré ne pas s’impliquer dans ce dossier ou plutôt, il ne veut rien entendre sur ce sujet. Le dossier migration ne fait pas partie des préoccupations des élus qui ont du mal à s’en approprier comme en témoigne le fait que depuis le lancement de la nouvelle politique de migration en 2013, rien n’a été fait au niveau de la ville en faveur des migrants», nous a indiqué Fatima Ezzahra Fassali, secrétaire générale et chargée de communication externe à l’Association Rim espoir et développement. Et de poursuivre : «Il y a eu dernièrement des discussions avec les ONG casablancaises œuvrant dans le domaine de la migration pour la mise en place d’un bureau chargé de cette question, mais l’idée n’a pas abouti ou plutôt elle est mort-née». Des propos que nuance Houcine Nasrallah, vice-maire de Casablanca, qui insiste sur le fait que le Conseil de la ville exerce ses fonctions dans le cadre des prérogatives délimitées par les lois tout en précisant que cette institution n’est qu’une partie parmi d’autres chargées de gérer la chose publique au niveau de la capitale économique. «Tout le monde nous pointe du doigt. Nous sommes le coupable idéal. Toutefois, nous ne sommes pas les seuls responsables de tout ce qui se passe dans la cité casablancaise. Sa Majesté le Roi dans son discours de 2013 a désigné aussi les services extérieurs des ministères et d’autres parties comme responsables de cette gestion », nous a-t-il expliqué. Et de préciser : « Le problème de la migration dans la ville a de multiples facettes (sécuritaire, économique, sociale, culturelle...) et chaque facette doit être traitée dans le cadre de la mission de chaque partie et dans les limites de ses responsabilités. Mais ce qui est sûr, c’est que nous tous en tant que Marocains, nous devons assumer notre responsabilité, en tant que pays qui s’ouvre sur nos frères en provenance d’autres cieux et à la recherche d’un avenir meilleur». A ce propos, et en évoquant la responsabilité sociale du Conseil de la ville, le vice-maire nous a révélé qu’une plateforme numérique destinée aux migrants est en cours de mise en place. « Il s’agit précisément d’un numéro vert avec toute une équipe qui a pour objectif d’orienter et de sensibiliser les migrants concernant leurs devoirs et droits». Une idée jugée louable par certains acteurs associatifs casablancais qui estiment qu’il y a une forte demande au niveau de l’orientation, de la médiation et de la sensibilisation. Notamment de la part des migrants qui débarquent souvent dans des villes dont ils ignorent tout et, du coup, un service spécifique doit être créé dans chaque commune pour les orienter et les informer.
Manque de volonté
Que dit la loi concernant les prérogatives des collectivités territoriales au sujet de la migration ? Au Maroc, les communes sont le premier niveau de décentralisation et le plus proche des citoyens. Elles sont regroupées sous l'égide de préfectures ou de provinces, qui sont elles-mêmes regroupées en régions. Les six grandes villes du pays, telles que Casablanca, Marrakech, Rabat-Salé, Tanger et Fès, sont dirigées par un conseil d'arrondissement qui jouit d'une autonomie administrative et financière. Chacun des arrondissements formant la commune est représenté au sein du Conseil de la ville par un certain nombre de membres élus. La loi organique n° 113-14 sur les collectivités territoriales confère aux communes des attributions propres, d'autres en commun avec l'Etat et d'autres transférées par celui-ci. Ces attributions incluent l'élaboration d'un plan d'action communal, ainsi que la gestion des équipements collectifs, des infrastructures et de l'urbanisme. Par contre, les attributions liées à l'accueil et à l'intégration des migrants ne font pas partie des compétences des communes. Ce sont les autorités locales qui s'occupent de ces dossiers. Les associations locales jouent un rôle important dans la relation avec les migrants, en fournissant des locaux et un soutien logistique pour les événements culturels, à titre d’exemple ou à des caravanes médicales. Pourtant, Said Machak, enseignant-chercheur à l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, estime que cette question dépasse le seul cadre législatif et institutionnel et que le vide juridique n’explique pas tout. « Les acteurs locaux peuvent contourner les textes en faisant appel à leurs prérogatives générales en matière de développement local ou dans le cadre des programmes sociaux. Autrement dit, ces acteurs manquent de volonté et parfois d’audace ».
Vide juridique
Et qu’en est-il de la politique migratoire lancée en 2013 et de la Stratégie nationale d'immigration et d'asile (SNIA) élaborée en 2014 ? « Ces deux dispositifs ne contiennent aucune mesure ou programme spécifique au bénéfice des migrants irréguliers. Il y a eu les deux opérations de régularisation qui ont permis de régulariser la situation administrative de plusieurs migrants en séjour irrégulier. Toutefois, ces deux opérations n’ont pas été en mesure de redresser la situation d’autant que plusieurs de ces migrants n’ont pas bénéficié du renouvellement de leurs cartes de séjour. Le problème des migrants d’Ouled Ziane est l’une des manifestations de cette problématique dont l’ampleur est difficile à évaluer en l’absence de chiffres sur le nombre de personnes qui ont réussi à renouveler leurs cartes de séjour. Ce qui démontre le caractère limité et circonscrit de la nouvelle politique de migration et d’asile et celui de la SNIA », nous a expliqué Said Machak. Et d’ajouter : « Le vrai problème réside dans le fait que la politique de migration a été conçue par le centre sans intégrer la dimension territoriale. C’est-à-dire que les collectivités territoriales ont été exclues de la conception et de l’exécution des politiques de migration ».
Le local, le grand absent
Mais qu’en est-il des programmes destinés à intégrer la migration dans la planification locale ? « Il y a eu plusieurs programmes dans ce sens au niveau de certaines régions du Maroc. Il s’agit en gros de formations conçues dans le cadre d’une coopération internationale et destinées à appuyer les acteurs locaux dans la gestion de la migration au niveau local », rappelle Said Machak. Et de préciser : « Toutefois, l’impact de ces projets reste médiocre et limité dans le temps et dans l’espace. En effet, ces projets ont été conçus dans le cadre des programmes de coopération internationale et leur durée de vie se termine une fois que les bailleurs de fonds achèvent leur mission dans le pays ». Même son de cloche de la part d’un responsable communal qui a sollicité l’anonymat. « Il y a eu plusieurs projets pilotes notamment au niveau de la région de l’Oriental, de Tanger-Tétouan et de SoussMassa. L’idée était de former les acteurs clés des différents ministères, de leurs services déconcentrés et des collectivités territoriales pour mieux planifier et mettre en œuvre des mesures d’intégration. Notamment au niveau de la planification locale. Il y a eu également l’idée de mettre en place une structure chargée de gérer la question de la migration au niveau local, mais il n’y a rien de concret à part quelques formations et l’élaboration des guides. A noter que ce genre de projets intéresse moins les élus que les agents communaux. La thématique migration, comme celle du changement climatique, a du mal à intégrer l’agenda communal», nous a-t-il confié. Et de souligner : «Cette situation perdure malgré le fait que la «Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants» adoptée lors du Sommet des Nations unies sur les réfugiés et les migrants du 19 septembre 2016 a reconnu le rôle des autorités locales et régionales dans la gestion de la migration pour le développement ».
Responsabilité collective
Qu’en est-il des besoins des migrants au niveau local notamment ceux irréguliers ? « Aujourd’hui, il est plus difficile de distinguer entre ceux dont la situation de séjour est régulière et ceux qui sont dans une situation irrégulière. Les dernières années ont été marquées par la hausse du nombre des migrants qui n’arrivent toujours pas à renouveler leurs cartes de séjour. Les migrants irréguliers ne sont pas ceux installés aux alentours de la gare routière», tranche Fatima Ezzahra Fassali. Et de conclure : «Concernant les besoins, ils sont énormes (logement, nourriture, hygiène,...). D’autant que la ville manque drastiquement de structures d’accueil pour migrants. A souligner que le problème actuel entre migrants et riverains à Ouled Ziane n’est que le résultat direct de l’absence de ce genre de structures. La destruction du campement informel d’Ouled Ziane a été une erreur majeure puisqu’au moins les migrants avaient la possibilité de bénéficier de certains services même dérisoires. Aujourd’hui, les ONG ne peuvent rien faire toutes seules. Il faut l’intervention des élus et des ministères concernés, et que tout le monde mette la main à la pâte ».
Source : La Migration au service du développement : «Comment intégrer la migration dans la planification locale?», guide méthodologique.