La France a pris la décision de réduire de 50% le nombre de visas accordés au Maroc, à l'Algérie et à la Tunisie, a déclaré mardi matin Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, sur les ondes d'Europe 1. Cette décision intervient suite aux difficultés rencontrées par la France pour renvoyer dans leurs pays les ressortissants faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire. Selon les médias français, sur les 3.301 ressortissants marocains qui ont reçu une obligation de quitter le territoire, seuls 80 ont été expulsés dans les faits. Idem pour l’Algérie et la Tunisie (seulement 22 citoyens algériens ont quitté le territoire français sur les 7.731 concernés et uniquement 131 Tunisiens sur 3.424). Comment peut-on expliquer cette décision ? «Il faut lier cette action à l’approche des élections présidentielles en France et à l’importance que veut accorder Emmanuel Macron à la question de la migration étant souvent interpellé sur ce dossier par le Rassemblement national (« le Front national » jusqu'en 2018) et de plus en plus par le polémiste et probable candidat aux élections présidentielles, à savoir Eric Zemmour. Le président français veut introduire des sanctions envers certains responsables diplomatiques (politiques, administratifs et économiques) qui vont exercer, par la suite, des pressions sur leurs gouvernements pour accélèrer le retour des migrants irréguliers vers leurs pays d’origine», nous a indiqué Abdelkrim Belguendouz, universitaire et chercheur en migration. Et d’ajouter : «Cette décision française peut également être interprétée comme un signal fort envoyé aux autres membres de l’UE de la part d’un Etat qui va assurer du 1er janvier au 30 juin 2022, la présidence du Conseil de l'Union européenne. Ainsi pour le président Macron, tous les moyens sont bons pour faire pression». A souligner qu’Emmanuel Macron a plaidé déjà en juin 2020 pour une meilleure efficacité des expulsions d’étrangers en situation irrégulière. En effet, la présidence a jugé que la France a "un problème d'éloignement" et que le système de renvoi des étrangers est très difficile à activer pour des raisons politiques, diplomatiques et médiatiques. Emmanuel Macron a ambitionné de réaliser un taux d'exécution de 100%, et il a toujours réclamé une intensification des négociations avec les pays d’origine pour qu’ils acceptent le retour optimal de leurs ressortissants. Le site Infomigrants a indiqué que fin 2020, la commissaire européenne aux Affaires intérieures avait estimé devant le Sénat que le taux d'exécution moyen des décisions d'expulsion est de 30% en Europe mais n’est que de "13 à 14% pour la France", alors que l'Élysée avance le chiffre de 15,3%. Notre interlocuteur soutient, par ailleurs, que lesdites décisions s’inscrivent aussi dans l’attitude générale de la politique migratoire de l’UE qui fait de la réadmission un moyen de pression et une mesure centrale de cette politique comme en atteste le projet du Pacte européen en matière de migration et d’asile. A ce propos, il a rappelé les dernières modifications voulues par la Commission européenne qui consistent à procéder à des évaluations régulières de la coopération des pays tiers en matière de réadmission. Dans le cas où elle s’avère insatisfaisante, «la Commission proposera au Conseil d’adopter une décision d’exécution appliquant des mesures restrictives spécifiques en la matière liées au traitement et, par la suite, aux droits de visa». Dans le cas contraire, elle sera évidemment récompensée. «S’il s’avère qu’un pays coopère en matière de réadmission, la Commission pourra proposer au Conseil d’assouplir les conditions d’octroi du précieux sésame pour les voyageurs, en réduisant les droits de visa et le délai à statuer sur les demandes, ou encore en allongeant la durée de validité des visas à entrées multiples», avait indiqué le Conseil de l’UE dans un communiqué datant de février 2020. «L’octroi de visas a été le moyen le plus pratique pour réduire les arrivées des « Sudistes » vers l’UE en mettant en place des conditions d’obtention de visa drastiques, en réduisant le nombre des consulats et en augmentant les frais de visa», nous a expliqué Abdelkrim Belguendouz. Et de préciser : «Le visa a été toujours utilisé comme moyen de contrôle et une solution pour assurer l’externalisation». En effet, le visa Schengen est devenu plus qu’un simple document facilitant l’accès des étrangers à l’UE, mais il s’agit bel et bien, et surtout, d’un moyen, comme l’ont bien expliqué Elspeth Guild et Didier Bigo dans leur article «Schengen et la politique des visas», de tenir à distance ces étrangers et de mettre à l'écart les «indésirables», en les empêchant de voyager. Selon ces deux chercheurs, un visa permet théoriquement à une entité souveraine d'exercer un contrôle sur les entrées en provenance de pays tiers. Des contrôles qui sont souvent douteux car fortement influencés par des fantasmes et des peurs qui portent atteinte au droit de tous à la libre circulation. Ceci d’autant plus que les conditions d'octroi des visas ne sont pas claires et personne ne sait si elles répondent à des logiques diplomatiques d'Etat à Etat ou à une relation entre des règles de droit et un individu étranger en particulier. Idem pour les pièces à fournir et les procédures de contrôle qui changent d'un consulat à l'autre. Ainsi, si certains demandent de nombreux documents et ont une conception extensive du contrôle et de la notion de faux documents, d'autres en demandent peu et les vérifient rapidement. Le même visa - Schengen - peut être obtenu dans des conditions très différentes, et ce au sein du même pays d'origine. «Ce qui suscite un sentiment d'injustice et d'arbitraire chez ceux à qui l'on a refusé le visa et ils évoquent tous le terme de loterie», commentent Elspeth Guild et Didier Bigo. D’autant plus qu’il n’y a pas de critères clairs et transparents indiquant à qui on refuse la délivrance du visa, pourquoi et comment. Ils précisent, en outre, que la part d'appréciation des agents consulaires est en pratique limitée par l'obligation qu'ils ont de contacter de nombreux autres employés du consulat (attachés de sécurité dans le cas français) et surtout les autorités centrales nationales de leur pays, voire celles d'autres pays. Ils ajoutent que la coopération consulaire locale a tendance à fabriquer des critères ad hoc entre ceux qui méritent le visa et ceux qui ne le méritent pas. «On peut dès lors s’interroger sur la validité de ces échanges d'information et sur les procédures de contrôle qui pourraient être mises en place pour vérifier l’état des informations qui circulent. On peut aussi se demander si le silence sur ce point ne relève pas du rôle que serait dans ce cas amenée à jouer la Commission européenne», s’est-il demandé. Les deux chercheurs affirment que l’obtention du visa n’est pas la fin du calvaire des étrangers puisqu’il ne permet pas au demandeur de voyager librement sur tout le territoire de l’espace Schengen. Il ne peut arriver la plupart du temps que dans son pays de destination principale et il sera souvent sujet au contrôle lors du franchissement des frontières intérieures s'il se déplace par avion ou en groupe. Et beaucoup de Marocains en savent quelque chose.