Un procès ubuesque dans le cadre de l'affaire Mehdi Ben Barka, enlevé à Paris en 1965 et dont on n'a jamais retrouvé le corps. Ce n'est pas un suspect, mais l'avocat de la famille Ben Barka, Maurice Buttin, s’est retrouvé mardi dernier devant le tribunal correctionnel de Lille où le procès a été délocalisé, l’affaire demeurant en instruction à Paris. Il est poursuivi pour violation du secret de l'instruction après une plainte déposée, c'est un comble, par l'un des suspects de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka.
Devant le palais de justice, des dizaines de personnes se sont attroupées en l’occasion pour scander «Justice pour Mehdi Ben Barka» en appuyant leurs slogans par des pancartes affichant le portrait de Mehdi Ben Barka.
La délégation composée de militants de la Ligue des droits de l’Homme, de Voie démocratique Maroc et de l’Association marocaine des droits humains est venue ainsi soutenir Maurice Buttin, qui se bat depuis cinquante ans au côté de la famille du regretté.
Ce qui se jouait au cours de cette audience fleuve va, en effet, bien au-delà de faits que Maurice Buttin n’a jamais niés. Il les a même revendiqués. Tout comme, face au président Jean-Marc Lemaire, il explique avoir divulgué l’information à un journaliste, sciemment à la veille d’un déplacement présidentiel au Maroc de Nicolas Sarkozy. Il ne poursuit qu’un seul but : lutter pour que le dossier ne soit pas enterré. Il répétera : «Si j’ai fait ces révélations, c’est parce qu’au Maroc, depuis 2003, il y a des commissions rogatoires qui ne sont pas exécutées. Il fallait faire quelque chose…» Il dira que les mandats d’arrêt délivrés en France ne sont pas plus diffusés.
A 86 ans, Maurice Buttin est avocat honoraire. L’affaire Ben Barka demeure son seul dossier. Si sa convocation l’a blessé – «c’est surréaliste, on risque d’avoir comme seule personne réellement condamnée dans l’affaire l’avocat qui justement défend la famille Ben Barka», a dit son conseil Me Alexis Gublin –, Maurice Buttin a redoublé de combativité à l’audience pour faire avancer «l’autre» affaire.
D’emblée, il réclame la comparution de son accusateur Miloud Tounzi qui a été condamné à perpétuité en 1967, mais que la justice n’a soi-disant jamais retrouvé. Il sera beaucoup question de cet homme dont l’un des deux avocats, Me Hamid Andaloussi, venu de Casablanca, a présenté comme un paisible retraité. Il y aura alors quelques remous dans la salle où nombre de militants sont venus à l’instar de Bachir Ben Barka, fils aîné de Mehdi Ben Barka qui, pour relancer l’enquête avait déposé une nouvelle plainte pour enlèvement, séquestration et assassinat en 1975. Le second avocat de M. Tounzi, Me Philippe Clément, veille à ce que les débats ne débordent pas sur l’affaire.
Dans une jolie passe d’armes, le procureur Douglas Berthe a d’ailleurs démonté ses arguments, s’appuyant sur le fait qu’au tribunal s’exerce la loi et qu’en l’occurrence, elle ne s’applique pas au cas Buttin. Il plaidera la relaxe tout comme le fera avec beaucoup de lyrisme Me Gublin en défense en concluant : «Mon client a fait ce qu’il a fait car il sait que dans un dossier comme celui-là, le silence tue».
L’affaire a certes été mise en délibéré au 15 avril, mais elle n’a jamais cessé de gêner au plus haut point la diplomatie française. En octobre 2007, alors que Nicolas Sarkozy effectuait un voyage d'Etat au Maroc, la presse avait révélé que le juge parisien en charge de l'enquête sur la disparition de Mehdi Ben Barka avait lancé des mandats d'arrêt contre le général Hosni Benslimane, Abdelhak Kadiri, Boubker Hassouni, Abdelhaq Achaachi et Miloud Tounzi, alias Larbi Chtouki.
Ce dernier avait d’ailleurs été condamné par contumace à perpétuité lors du procès en 1966. Il a néanmoins toujours soigneusement évité d’être entendu par le juge d'instruction.
En revanche, en 2007, il a déposé plainte pour cette fuite concernant les mandats d'arrêt dans la presse française. Et c'est au titre de plaignant qu'il a donc été entendu au Maroc par un magistrat français. Le procès qui s'est ouvert mardi à Lille est vécu comme une offense par les parties civiles qui se battent depuis plus de 50 ans pour connaître les circonstances de la disparition de Mehdi Ben Barka.