Premier contact avec le Maroc : La poésie fait tourner le monde


Par Nadine Grelet *
Mercredi 2 Mars 2011

Premier contact avec le Maroc : La poésie fait tourner le monde
A Casa dès ma descente d’avion, je ressens le dépaysement… Je suis au Maroc! Par quel miracle suis-je ici? Le nouveau continent Facebook a forgé des contacts et permis ce rapprochement ! Des détails visuels se présentent, des voix, des silhouettes et des démarches résonnent, étranges à mes oreilles. Puis, l’accueil chaleureux de Ahmed. C’est un plaisir de le trouver là, de le reconnaître et de voir l’éclat dans ses yeux. Je ne suis pas seule. Les jours passent très vite… A la maison, je me sens en famille. Tout le monde vient au-devant de mes moindres désirs, prête attention à un confort qui, pour ma personne doit être parfait. Transférée en quelques heures de l’Amérique à l’Afrique, je suis plongée dans la symphonie de la langue arabe, j’entends, j’écoute et hélas je ne comprends rien!
Face à moi, étrangère, les sourires sont éloquents. Je représente un monde inconnu qui pénètre dans ce quotidien immuable ou presque. Le choc culturel sévit de part et d’autre : pour moi et pour mes amis marocains et à propos de choses insignifiantes! A table, on mange à la marocaine : pas d’assiette, tout le monde pioche dans un plat unique qui est au centre. Pour moi c’est une découverte. Une exploration… comme je peux, je tente de faire comme tout le monde. Un chapelet de choses de ce genre m’étonne, me bouleverse tout au long de la journée. Je dois laisser de côté les vieilles peaux, les vieux mécanismes. Il faut s’intégrer, se fondre dans ce qui est nouveau pour moi. Au long des conversations, parfois un mot, une phrase en français viennent me rassurer, c’est comme une perche tendue qui m’invite à dire ce que je ressens… «Il faut manger. Mange, me répète-t-on de toutes parts !» On mange à toute heure au Maroc, délicieusement, abondamment et généreusement et puis, on déguste ce thé à la menthe sucré qui vous réchauffe et qui vous ensoleille l’intérieur…
Ce qui me trouble, c’est qu’il fait froid… Là où je suis, pas de chauffage pour adoucir le piquant hivernal et cette année, celui-ci est plus frisquet que d’ordinaire. Nous sommes en février, moi qui transporte avec moi le redoutable hiver canadien, je gèle! Je comptais trouver ici un soleil sans défaillance, j’ai fait une erreur de calcul! Le seul moyen de m’octroyer un peu de cette chaleur qui manque malgré le ciel bleu, c’est de s’enrouler dans une couverture et en dernier recours, de se mettre au lit si le corps refuse de se réchauffer. Après avoir donné une conférence pour les élèves du BTS du lycée, par une journée de pluie battante à Meknès, trempée comme une soupe et pour le plus grand étonnement de mes hôtes, j’ai tenté de sécher mes chaussures devenues inutilisables, avec le séchoir à cheveux! Jusque-là, lorsque j’accompagne Ahmed dans son quartier, je sens les regards interrogateurs de tous ceux qu’on croise. Des regards chargés. Qui est-ce ? Que fait-elle ici ? Visiblement, cela ne se fait pas de sortir dans la rue accompagné d’une étrangère… Et puis, petit à petit, ma silhouette devient plus familière aux habitués. On me salue d’un signe de tête…
Après quelques jours, déjà j’ai vu Fès, Rabat et Casa et rencontré un grand nombre de poètes, d’écrivains ou de professeurs qui se  croisent au SIEL (Salon du livre) malgré un mot d’ordre général : le boycottage de l’événement. Pourquoi cela ? Il paraît que l’actuel ministre de la Culture ne fait pas son travail ou du moins le fait mal !… Et je serais bien en peine de juger et de prendre partie dans une querelle qui m’est étrangère. Alors de nouveau, j’observe, j’écoute. Les gens que je rencontre partout sont avenants et volubiles, que ce soit dans un café, dans le train ou dans les réunions de famille, ils aiment parler, ils aiment tout savoir de chacun. Ils aiment se raconter et il est facile d’entrer en contact. Chacun est généreux de ses salutations, de ses sourires. Je croise plusieurs personnages qui semblent issus d’un roman à venir et chacun taille sa place. Salamalekum, choukran; c’est pour le moment tout ce que je peux dire ou presque ! On passe des heures à discuter de détails, de philosophie, de pensée… d’évènements. C’est rassurant de voir que la brièveté nord-américaine n’a pas fait sa marque ici, qu’on prend son temps et qu’on ne se casse pas la tête pour performer contre le défilement des jours.
Une floraison d’artistes gravite autour de la littérature, de la culture : les écrivains et les créateurs sont nombreux. Ils se connaissent, se tiennent ensemble comme les pétales d’une fleur. Je constate que le poème et la poésie ont une grande priorité en regard de l’écriture en général… La poésie est le fondement de l’esprit qui réside en chaque personne née sur cette terre. La culture arabe, il faut s’en imprégner. Elle est omniprésente, se glisse partout et s’amuse à se jouer de ceux qui cherchent à s’exprimer, leur souffle des images et des métaphores. Il y a une tradition orale très forte, vivace et vivante qui imprègne les gestes et les sourires. Vieille dame noble de la civilisation, la poésie a baigné l’Afrique du Nord et rejaillit sur ses enfants qui l’exhibent à chaque instant comme un joyau. Au Maroc, tous ou presque font de la poésie malgré eux, s’en délectent et s’en nourrissent et contemplent avec ravissement celle qui leur est proposée par un ami… Les recueils sont innombrables qui chantent les vers d’une armée de poètes et il est fréquent qu’on vous en offre quelques-uns au cours d’une rencontre où plusieurs auront déclamé leur ballade devant un public assoiffé et conquis par avance. Les mots s’envolent, ils tourbillonnent, ils frôlent les replis secrets des âmes et permettent dans le cadre poétique de briser des règles conventionnelles trop strictes, de disséquer des tabous et de chanter la vie sans entraves, celle qu’ici-bas on ne connaîtra pas! A vivre au Maroc, on pourrait croire que la poésie fait tourner le monde…
Ainsi baignée sans transition dans le milieu marocain, je fais partie intégrante du pays et j’oublie très vite d’où je viens, je perds la notion du temps et je me laisse couler dans ce qui vient vers moi, dans ce qui me dépayse… Cette langue arabe, je la croyais moins présente, ou du moins je croyais au Maroc le français prépondérant. Or je suis étonnée de constater que l’arabe est partout en priorité et que peu de gens pratiquent la langue de Molière. L’arabe, c’est une mélodie chantante, rythmée et parfois rauque qui tombe sur ma tête qui se frotte à mes perceptions. Un chant vieux comme le monde qu’il décrit. Le français, les Marocains ne l’utilisent qu’en cas de nécessité, par exemple lorsqu’une visiteuse comme moi encore bien gauche, les oblige à l’utiliser ! A Fès, hormis la médina qui est une expérience à vivre, -car elle est d’une beauté sans pareille-, le béton domine le centre-ville. À Rabat, on sent la modernité, la culture qui a fait son œuvre et la ville est résolument moderne. A Casa, j’ai l’impression d’une ville étouffante, une ville-champignon envahissante et bruyante où les gens ne sont plus que des machines qui courent derrière l’agitation et la poussière. Mais il y a quelques joyaux. La grande mosquée se dresse majestueuse au bord de l’océan et sa médiathèque aussi imposante qu’elle, comporte un grand nombre de volumes et de documents. Elle est à la disposition de tous ceux qui veulent la consulter …C’est tout cela et beaucoup plus encore mon premier contact avec le Maroc.

* Ecrivaine québécoise en visite actuellement au Maroc



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