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Libé
Samedi 16 Mars 2024

Le rapport de la Cour des comptes, concernant la vérification des comptes des partis politiques au titre de l’année 2022, a suscité de larges discussions dans l’opinion publique nationale, notamment des critiques et griefs quant à la gestion du soutien supplémentaire réservé aux recherches et études. Cela suppose l’impératif et la nécessité d’approfondir le débat autour des bases juridiques encadrant le champ d’action et les limites des compétences attribuées à la Cour des comptes dans sa relation avec les partis politiques, et ce à partir d’une vision globaliste tenant compte de la relation de la Cour avec les autres instances et institutions qui sont incluses dans ses compétences.

Il convient de relever que les précédents rapports de la Cour des comptes n’ont enregistré aucune remarque négative ni même observation à caractère formel à l’encontre du parti de l’Union socialiste des forces populaires.
Or ce dernier rapport est venu enregistrer deux observations, l’une relevant que le parti s’est contenté de conclure un accord global sans fixer un tarif unilatéral pour chaque étude ; l’autre ayant trait à l’évaluation de l’opportunité des études et recherches réalisées.

Cet état de faits suscite plusieurs interrogations fondamentales quant au sérieux de ces observations d’autant que la compétence de la Cour des comptes demeure focalisée sur les deux missions de vérification des comptes et l’examen de l’authenticité du décaissement du soutien prodigué dans le cadre de l’article 32 de la loi organique des partis politiques aux fins spécifiées sans pour autant se prolonger au contrôle et à l’évaluation des études et recherches en question.
Le législateur marocain a attribué à la Cour des comptes la mission seulement de la vérification des comptes des partis politiques et l’examen du décaissement du soutien public qui leur est accordé …
A cet effet et après examen de ces deux remarques, l’on peut noter ce qui suit :
  1. Une confusion conceptuelle dans l’esprit de la Cour des comptes entre la vérification des comptes et le contrôle de la gestion avec l’évaluation des programmes :
Il est clair qu’en se référant aux dispositions de l’article 44 de la loi organique n°29-11 relative aux partis politiques de même qu’à l’article 3 de la loi n° 62-99 relative au statut des tribunaux financiers, l’on relève que le législateur marocain a attribué à la Cour des comptes la mission de la vérification des comptes des partis politiques et l’examen du décaissement du soutien public qui leur est accordé.

Par ailleurs, en extrapolant profondément ces dispositions, particulièrement l’article 3 du statut des tribunaux financiers, l’on relève que le législateur a fait usage d’une terminologie juridique différente en matière de définition des attributions de la Cour des comptes, ayant utilisé le terme de vérification concernant les comptes des comptables publics, celui de contrôle de la gestion quant aux projets et aux programmes des organismes publics et celui de vérification des comptes des partis politiques mais aussi le terme d’examen de la véracité des dépenses relatives aux opérations électorales.

Ainsi, le législateur marocain, tant dans la loi organique des partis politiques que dans la loi n° 62-99 relative au statut des tribunaux financiers, n’a pas fait usage de ces différents termes d’une manière absurde ou arbitraire, le fait est que la différence terminologique dans la définition des missions de la Cour des comptes (vérification, décision, contrôle, évaluation, examen) a des significations et des portées dans le tracé de la nature, du contexte et des limites des attributions de la Cour des comptes eu égard à la nature de toute instance ou institution figurant parmi celles qui font l’objet de ses compétences. Aussi à titre d’exemple, le législateur a-t-il attribué, s’agissant des comptables publics, la mission de la vérification de leurs comptes et la prise de décision quant à leurs comptes (alinéa 1 de l’article 3), alors que concernant les ordonnateurs, le législateur charge la Cour des comptes de la mission du contrôle de la gestion et de l’évaluation des projets et programmes inscrits parmi leurs compétences (alinéa 4 de l’article 3).

Quant aux partis politiques, le législateur a attribué à la Cour des comptes la mission de la vérification de leurs comptes (alinéa 7 de l’article 3) mais sans lui accorder la tâche de se prononcer sur ces comptes, de même qu’en application des dispositions de l’article 44 de la loi organique des partis politiques, la Cour a pour mission d’examiner la véracité du décaissement des dépenses quant au soutien dont fait référence l’article 32 de ladite loi organique.

Là-dessus, si les missions de vérification et d’examen concernent exclusivement le fait de s’assurer de la légalité de la dépense, autrement dit sa conformité avec les procédures juridiques, les missions de contrôle de la gestion et l’évaluation des projets et programmes s’étendent à l’adéquation de la dépense. Ainsi, si les missions de contrôle de la gestion et de l’évaluation habilitent la Cour des comptes à contrôler les transactions des travaux et l’application des spécifications techniques telles que notamment la qualité des produits utilisés et s’agissant des transactions des études, le contrôle de leur performance, leur opportunité et le degré de leur conformité aux objectifs escomptés par les instances administratives concernées, celles de la vérification et du contrôle de la véracité de la dépense habilitent la Cour des comptes seulement à s’assurer de la légalité de la dépense et de la véracité de son décaissement, sans pour autant opérer l’évaluation de l’objectif escompté…

De ce fait, la différence terminologique quant à la délimitation des missions de la Cour des comptes trouve son fondement dans les limites qui distinguent les compétences de l’ordonnateur et du comptable public. Quant aux rapports entre la Cour des comptes et les partis politiques, la différence terminologique provient de la distinction constitutionnelle entre ces derniers et les instances administratives (le comptable public et les organismes publics), eu égard au fait que les partis politiques ne gèrent pas des fonds  publics ni présentent des prestations publiques mais reçoivent un soutien public qui vient s’ajouter à neuf ressources (droits d’adhésion des membres, contribution des élus, recettes des activités sociales et culturelles, recettes des investissements dans leurs entreprises de presse…), et ce contrairement aux instances administratives qui sont en charge de la gestion des fonds publics sans disposer de ressources autonomes.
Les dispositions législatives ont délimité les compétences de la Cour des comptes, concernant les partis politiques, dans la mission de vérification des comptes et le contrôle de la véracité des dépenses des partis politiques au titre du soutien qui leur est accordé
Par conséquent, le législateur a délimité les compétences de la Cour des comptes, concernant les partis politiques à la mission de vérification des comptes (alinéa 7 de l’article 3 de la loi n°62-99 relative au statut des tribunaux financiers et l’article 44 de la loi organique n° 29-11 relative aux partis politiques) de même qu’au contrôle de la véracité des dépenses au titre du soutien précité.

Dans ce sens, s’agissant des ressources des partis politiques, les compétences de la Cour des comptes sont confinées dans la vérification de leurs comptes afin de s’assurer que leurs ressources sont conformes à celles définies en vertu de l’article 31 de la loi organique n° 2911 relative aux partis politiques. Des même que les compétences de l’institution consistent exclusivement dans l’examen du décaissement des dépenses en lien avec le soutien public accordé en vertu de l’article 31 précité sans pour autant être habilitée à contrôler et évaluer l’opportunité de l’objectif visé.
La tutelle sur la forme et la teneur des études et recherche implique une atteinte
à l’autonomie et la liberté des partis politiques
A cet égard, la Cour des comptes n’a pas à évaluer l’organisation des congrès nationaux des partis politiques, sa compétence étant limitée à contrôler la réservation du soutien accordé à cette fin, à les financer et il va de même s’agissant du soutien annuel prodigué aux partis politiques, le rôle de l’institution se limitant à s’assurer qu’il est bien dédié aux affaires et activités du parti…

Il y va de même, en outre, en ce qui concerne le soutien accordé à l’occasion des échéances électorales, le rôle de la Cour des comptes se limitant à vérifier que ledit soutien a bien été consacré au déroulement desdites opérations sans pour autant interférer dans l’évaluation de la méthode et la procédure de la gestion par le parti des opérations électorales.

D’autre part, ces conditions sont les mêmes qui s’appliquent quant au soutien additif consacré aux recherches et études, le fait est que le rôle de la Cour des comptes se limite à vérifier s’il a bien été consacré à la réalisation des études et recherches en lien avec l’action partisane et politique sans toutefois s’étendre au contrôle et à l’évaluation de ces recherches et études, car la mission de la Cour consiste, en vertu de l’article 44 de la loi organique des partis politiques, seulement à contrôler l’effectivité du décaissement dudit soutien dans le domaine des études et recherches sans se prolonger au contrôle et à l’évaluation de ces dernières.

2- La tutelle sur la forme et la teneur des études et recherches implique une atteinte à l’autonomie et à la liberté des partis politiques :

L’on relève, en reprenant les termes du dernier rapport de la Cour des comptes, que cette dernière  a procédé à l’évaluation des études et recherches réalisées par l’Union socialiste des forces populaires pour conclure qu’elles ont dévié de la méthodologie scientifique, qu’elles sont accessibles au public et que le parti a conclu une convention générale sans préciser un prix unitaire pour chaque étude.

Ainsi, à travers ce constat, il est nécessaire de recourir au cadre juridique qui entoure le soutien dédié aux études et recherches partisanes, l’alinéa 6 de l’article 32 de la loi organique relative aux partis politiques disposant qu’un soutien annuel additif est consacré aux études et recherches en lien avec l’action partisane et politique.

En vertu de ces dispositions, il est clair que ces études et recherches se différencient de celles entreprises par les instances administratives en étant étroitement liées à l’action partisane et politique, en d’autres termes, il s’agit d’études et de recherches à caractère partisan et politique. De ce fait, elles sont étroitement liées aux principes et orientations du parti à la différence de celles réalisées par les instances publiques qui manquent de toute approche partisane et politique et demeurent soumises aux objectifs et exigences à caractère purement administratif.

Par conséquent, la particularité de ces études et recherches fait qu’elles soient différentes d’un parti à l’autre de même qu’elles soient issues des principes et orientations du parti qui les effectue, ce qui implique qu’elles soient différentes les unes des autres et encore plus particulièrement de celles administratives.

Par ailleurs, si la Cour des comptes est habilitée, en vertu de la loi n°62.99 portant statut des tribunaux financiers et du décret des transactions publiques, à évaluer l’opportunité des études et recherches réalisées par les instances publiques eu égard au fait que cette évaluation est inscrite parmi ses compétences disposées par le 4° alinéa de l’article 3 de ladite loi, les études et recherches accomplies par les partis politiques n’admettent, bien au contraire, aucune évaluation, compte tenu du fait que la législation ne lui en attribue pas la compétence et que les études et recherches s’inscrivent dans la pratique par le parti de ses activités dont la charte suprême garantit une protection patente, notamment dans le deuxième alinéa de l’article 7 qui dispose ce qui suit : « Les partis politiques sont créés et pratiquent leurs activités en toute liberté dans le cadre du respect de la Constitution et de la loi ».

A cet égard, outre le fait que l’article 3 de la loi n°62.99 relative aux tribunaux financiers ne confère pas à la Cour des comptes l’attribution de l’évaluation des études et recherches accomplies par les partis politiques, cela constitue une atteinte et une violation  de la protection constitutionnelle de la liberté donnée aux partis politiques quant à la pratique de leurs activités, dont les études et recherches qu’ils effectuent en lien avec leur action partisane et politique.

L’évaluation par la Cour des comptes des études et recherches réalisées par l’Union socialiste des forces populaires, outre le fait qu’elle n’est pas incluse dans ses compétences disposées dans l’article 3 des tribunaux financiers, renferme une violation flagrante de la liberté du parti dans la pratique de ses activités et la réalisation des études et recherches en lien avec son action partisane et politique.

En conséquence, la Cour des comptes est tenue d’observer les limites des compétences qui lui sont attribuées en vertu de l’article 44 de la loi organique n°29.11 relative aux partis politiques et de l’article 3 du statut des tribunaux financiers et de se contenter dans l’exercice de ses missions de s’assurer si le soutien qui lui a été accordé a effectivement été consacré aux études et recherches partisanes et politiques et non à d’autres finalités, évitant d’entraver la protection constitutionnelle de la liberté des partis politiques dans la pratique de leurs activités à travers l’évaluation de ces études et recherches.

D’autre part, eu égard à la décision conjointe du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Economie et des Finances n°2635.21 en date du 4 octobre 2021, il ressort que le législateur a édicté aux partis politiques l’obligation de présenter les rapports et les issues des études effectuées en tant que documents justifiant le décaissement du soutien, non pas pour les évaluer et contrôler leur performance et leur sérieux, l’évaluation faisant partie des compétences exclusives des instances du parti, et ce dans le but d’assurer la protection de leur liberté et leur indépendance garanties par la Constitution…

Ainsi, le rôle de la Cour des comptes demeure, conformément à ladite décision commune, confiné dans l’examen du décaissement du soutien dédié aux études et recherches sans s’attribuer le droit d’en évaluer la teneur et l’opportunité. Et c’est ce qui confirme la nature des documents que le parti est tenu de présenter en application du 2ème volet de ladite décision intitulée : « Les documents et justificatifs attestant le décaissement des dépenses des partis politiques ». C’est en fait ce qui confirme que le rôle de la Cour des comptes consiste à s’assurer que les dépenses ont bien été dédiées à l finalité préconisée sans aucune évaluation de cette finalité.

D’autre part, concernant l’observation relative à la nature de la convention conclue avec le bureau d’études, il est à noter qu’à travers la disposition 15 du deuxième volet de ladite décision commune, le législateur s’est contenté d’évoquer l’accord conclu sans en définir les détails et la teneur, ce qui laisse la liberté entière au parti politique de déterminer sa forme (tarif global ou prix unitaire pour chaque étude ou recherche en lien avec son action partisane ou politique (…) 
 


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