Politiques publiques : Gouvernance et participation


Par Mohamed Anwar El Hazziti
Mercredi 9 Octobre 2019

Au cours de la dernière décennie, les questionnements autour des politiques publiques sont devenus très fréquents au Maroc. Le récent débat national sur le nouveau modèle de développement, surtout après le discours historique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l'occasion de la rentrée parlementaire en octobre 2017, constitue un grand défi pour le gouvernement en vue d’essayer d'améliorer et de mettre en place de nouvelles méthodes pour mener les politiques publiques, et ce dans le but de les adapter aux aspirations de toutes les catégories sociales. A cet effet, de nombreuses questions persistent encore à tous les niveaux de la décision publique concernant plusieurs secteurs : la politique publique actuelle d'éducation a-t-elle un impact sur la société ? Les projets actuels du développement social ont-ils un effet sur l'éradication de la pauvreté? Pourquoi nombre de politiques et programmes publics n’aboutissent pas?
La société marocaine est aujourd'hui plus ouverte aux environnements national et international en raison du développement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. En fait, la société actuelle est plus combative sur les questions d'intérêt public et plus informée parce qu'elle a une bonne accessibilité à l'information. Les partis politiques et les organisations non gouvernementales essaient de soulever les questions d'intérêt public afin que la population puisse en bénéficier.
Les débats actuels montrent que le renouveau des politiques publiques devient crucial de nos jours. Une compréhension approfondie de l’impact  des politiques publiques sur la société est très importante pour l'amélioration à long terme de leurs concepts et processus. Dans le contexte d'une perspective pragmatique et pratique, le renforcement de la participation de la société civile au processus d’élaboration, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation des politiques publiques, en tant que principe constitutionnel au Maroc, est impératif. Ainsi, le processus de la politique publique a besoin de la coopération et de la participation des parties prenantes qui exigent une gouvernance publique plus transparente et plus ouverte.
Le concept de gouvernance n'est pas nouveau. Mais, sa perspective moderne devient de plus en plus complexe en raison de l'évolution rapide du rôle du gouvernement et du processus de gouvernance accéléré par le phénomène de la mondialisation. Il est donc primordial de mettre à niveau les caractéristiques et les valeurs du concept de gouvernance dans le contexte du management des politiques publiques.
Lors du processus des politiques publiques, les parties prenantes ayant des enjeux, des points de vue, des justifications et des valeurs différents se réunissent pour participer aux processus décisionnels publics. Au départ, l'élaboration des politiques publiques a été considérée comme un chemin linéaire allant de la définition du problème à l'évaluation des options. La participation était traditionnellement réservée aux autorités politiques et aux experts externes. En effet, les contributions des experts ont reçu plus d'attention que les connaissances des parties prenantes nationales et locales. Cependant, grâce à la prise de conscience croissante de la complexité du secteur public, ce point de vue a été remis en question. Au lieu d'une sélection rationnelle parmi des alternatives politiques données, la prise de décision publique devient le résultat d'un processus de collaboration. En tant que tel, le développement d'une compréhension commune entre toutes les parties prenantes est une condition préalable à la mise en œuvre réussie des politiques publiques.
Une participation significative exige la collaboration des parties prenantes à toutes les phases du processus. Ce principe de la participation est constitutionnalisé au Maroc depuis 2011. Cependant, sa traduction en pratique nécessite une remise à niveau en termes de compréhension, de conceptualisation et de méthodes. Le constat actuel des dispositions juridiques et procédurales relatives à la participation citoyenne dans le processus des politiques publiques montre une limitation de la mise en pratique dudit principe. Tout d’abord, l'élaboration des politiques intègre souvent les intervenants à la fin du processus, une fois le problème défini et  les solutions de substitution déjà identifiées, ce qui augmente le risque que la consultation soit interprétée comme une formalité limitant la capacité des intervenants à intégrer
sérieusement le processus. Ensuite, la plupart des procédures de prise de décision collaborative sont perçues comme improductives en termes d'utilisation efficace du temps des participants et de réalisation efficace des objectifs. Enfin, la conception de politiques a longtemps été considérée comme une composante de l'élaboration de politiques sans aucune caractéristique opérationnelle.
En outre, dans le processus des politiques publiques se pose la grande question des approches de la mise en œuvre. Ainsi, la mise en œuvre des politiques publiques est supposée se faire à deux niveaux, à savoir un niveau macro de mise en œuvre où les acteurs élaborent au niveau central un programme gouvernemental et à un niveau micro où les acteurs locaux réagissent à ces plans et développent les leurs et les appliquent.
L'approche descendante (top down) supposait que la mise en œuvre commence par des objectifs de la politique publique et que celle-ci suivra de façon linéaire en tant que produit d'un modèle rationnel d'administration publique supposant une formulation et une mise en œuvre distinctes des politiques publiques. L'approche descendante met l'accent sur les acteurs qui conçoivent la politique publique et sur les facteurs qui peuvent être manipulés par le gouvernement central. Toutefois, l'approche descendante met l'accent sur la conception rationnelle de la politique publique qui peut profiter à tous.
Les modèles descendants considèrent le point de départ de la mise en œuvre comme identifiant les acteurs centraux en étant les plus influents dans la production des effets souhaités de la décision. Les caractéristiques de l'approche descendante des politiques publiques impliquent un nombre minimum d'acteurs et limitent l'ampleur des changements de contenu et de mise en œuvre effectués par les institutions responsables des objectifs des politiques publiques. La faiblesse de l'approche descendante est qu'elle ne tient pas compte de l'importance des actions passées dans le même domaine politique. Aussi, elle traite la mise en œuvre comme un processus administratif et ignore l'expertise des autres parties prenantes et les considère comme des obstacles.
Les modèles ascendants (Bottom up) se sont développés à partir de la critique principale des modèles descendants qui ignoraient l'aspect comportemental de la mise en œuvre et le rôle clé des acteurs locaux. Ils se concentrent sur les motivations et les actions des acteurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques publiques. De plus, ils supposent que la formulation et la mise en œuvre sont des processus intégrés. L'approche ascendante met l'accent sur les groupes cibles et les prestataires de services. Ces modèles sont également plus pratiques que ceux des politiques publiques descendants parce qu'ils sont considérés comme des politiques publiques du point de vue des groupes cibles et des fournisseurs de services.
Ce que l’on reproche aux modèles de politique publique ascendante c’est qu'ils mettent trop l'accent sur l'autonomie des responsables locaux dans la mise en œuvre, alors que le contrôle de la politique publique doit être exercé par des acteurs dont le pouvoir de formuler des politiques est dérivé du fait qu'ils sont des représentants élus. En outre, il est possible d'influencer les objectifs et les stratégies des acteurs locaux en déterminant leur structure institutionnelle, les ressources mises à leur disposition et leur accès à l’espace réel de la mise en œuvre.
Dans la pratique, on peut parvenir à une combinaison des approches descendante et ascendante lorsque les groupes d'intérêt et les parties prenantes créent un système de conception des politiques publiques comme des coalitions de plaidoyer partageant les mêmes valeurs et objectifs.
En conclusion, l'expérience actuelle montre que des méthodes bien structurées et formalisées de conception des politiques sont nécessaires pour intégrer les connaissances provenant de différentes sources, ce qui permet plus de transparence du processus. En d’autres termes, la participation constitue une inclusion structurée des connaissances de différents acteurs, afin de libérer la créativité et de concevoir de nouvelles solutions.
Cela devrait représenter le point de départ d'un processus de conception efficace et innovant. Dans ce contexte, les pouvoirs publics devront chercher en continu de nouvelles méthodologies innovantes visant à soutenir les décideurs politiques et les parties prenantes concernées lors de la conception d'alternatives dans le processus d'élaboration des politiques publiques.

 


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