Où va le Liban ?


IV… et que vogue la galère

Libé
Vendredi 4 Décembre 2020

Où va le Liban ?
La tentative d’assassinat de l’ambassadeur d’Israël à Londres lui a donné le prétexte pour déclencher l’opération ‘’Paix en Galilée’’ de 1982, alors que les opinions publiques vivaient l’euphorie de la Coupe du monde de football. C’est lors de cette Coupe du monde que l’Algérie a battu l’Allemagne, et il s’en est suivi d’immenses manifestations de joie dans la plupart des villes algériennes, au même moment où des boucheries étaient commises tout au long du sud libanais par l‘armée israélienne. Après avoir envahi tout le Sud du Liban, les troupes israéliennes sont arrivées jusqu’à Beyrouth où elles avaient commencé à exécuter leur agenda caché, à savoir détruire l’OLP et la liquider son commandement politique et militaire qui, dans sa totalité était présent dans son QG à Beyrouth. Sous la pression des bombardements aériens sans répit pendant plusieurs semaines, l’OLP s’est résignée à accepter la loi de la puissance de feu israélienne en exprimant sa volonté d’évacuer ses bases du Liban : C’était la fin de l’OLP au Liban comme elle l’a été douze ans auparavant en Jordanie.

En effet, l’opération d’évacuation a commencé le 20 août sous le contrôle de la FMS (Force multinationale de sécurité), et le nouveau siège de l’OLP a été transféré à Tunis. L’assassinat de Bachir Gemayel le 14 septembre a fait précipiter l’armée israélienne pour occuper de nouveau Beyrouth, et ouvrir la voie aux milices chrétiennes pour commettre le pire des atrocités que sont les massacres de Sabra et Chatilla entre le 16 et le 18 septembre 1982. Le 21 septembre, le frère de Bachir, Amine Gemayel, est élu Président de la République, et signe un accord de retrait avec Israël, qui s’est trouvé devant un mouvement de guérilla dirigé par les druzes dans le Chouf. Après ce retrait, la zone est devenue un lieu de conflit entre chrétiens et druzes, qui a tourné en faveur de ces derniers : c’est l’annonce d’un nouvel exode des chrétiens. Effet de l’interventionnisme iranien : Un événement d’un autre genre a ébranlé l’intérieur libanais, à savoir la série d’attentats qui ont frappé américains et français, annonçant l’implication d’une autre puissance régionale dont le rôle à jouer n’a fait que commencer : C’est l’Iran. Le 18 avril 1983, un attentat meurtrier a frappé l’ambassade américaine en tuant 63 personnes ensuite le 23 octobre, deux attentats simultanés ont frappé les contingents américains et français de la FMS, tuant 241 marines américains et 58 militaires français.

Cette fois, la présomption de culpabilité est dirigée vers l’Iran, dont le Guide de la Révolution avait menacé auparavant les puissances occidentales qui portaient leur assistance à l’armée irakienne dans sa guerre contre l’Iran. Sous la pression de leurs opinions publiques, tous les contingents de la FMS étaient obligés de quitter le Liban, remplacés par la FINUL en mars 1984. Devant le retrait des gouvernements arabes de la confrontation avec Israël (Egypte et Jordanie), la Syrie était en quête d’un allié fiable et puissant et bien implanté au liban. Le mouvement chiite Amal n’était pas assez fort pour accomplir cette tâche. C’est là que l’étoile du HezboAllah (HA) allait briller dans le ciel libanais avec l’aide inestimable de la République Islamique d’Iran.

L'accord de Taëf

La guerre interconfessionnelle a fait des ravages dans la société libanaise, la Ligue arabe est intervenue pour trouver une solution à ce déchirement faisant des milliers de victimes. Une réunion au sommet a eu lieu à Casablanca où une troïka composée de trois chefs d’Etat a été désignée en vue de mettre fin aux hostilités. Les 62 députés encore membres du Parlement libanais sont invités au Taëf (Arabie Saoudite) pour une réconciliation qui a pris trois semaines. Pour tenir compte de la réalité démographique du pays, un accord a été obtenu entre ces députés, augmentant leur nombre à 108, pour ne pas diminuer celui des chrétiens.

Le Parlement formé a élu un nouveau président René Moawad, assassiné 17 jours après son élection. Le général M. Aoun a rejeté l’accord de Taëf, et reçoit le soutien de la France qui a pris ses distances de cet accord. Même le commandant des forces libanaises Samir Geagea a exprimé son soutien à l’accord, ce qui a déclenché une guerre interne au sein des chrétiens opposant les troupes d’Aoun et de S. Gaagea. Ce fut le moment où la Syrie est intervenue pour déloger Aoun qui a trouvé refuge dans l’ambassade de France en octobre 1990, d’où il a été exfiltré vers la France. Après cet événement, le calme est revenu au pays, les barricades entre les deux communautés ont été enlevées, les milices désarmées, à l’exception du HA que l’accord a épargné pourvu qu’il garde le statut de groupe armé qui lutte contre l’occupation israélienne et, depuis, il est resté en dehors du contrôle de l’Etat libanais.

En 1992, ont eu lieu des élections législatives qui ont ramené Rafic Hariri au poste de Premier ministre, qui a tenté de regagner la confiance des chrétiens en les faisant participer au gouvernement et à l’effort de reconstruction du pays. Les conséquences de la guerre sont néfastes sur le pays. Elle aurait fait plus de 150.000 morts et des centaines de milliers de blessés, en plus de 900 000 déplacés. La bourgeoisie locale a été contrainte à l’exil ainsi que les cadres, privant le pays de ses ressources financières et humaines dont il avait besoin pour sa reconstruction. Les opérations de guérilla menées par le HA ont obligé Israël de se retirer du Sud Liban en 2000, ce qui lui a permis de s’imposer comme le libérateur de cette région, et de monter en première ligne pour investir à la fois le champ politique et paramilitaire du pays. En 2004, l’ONU a décrété la résolution 1559 exigeant le retrait de l’armée syrienne et que soit mise fin aux activités militaires du HA, mais cette résolution est restée lettre morte. L’année 2005 a connu un véritable séisme politique causé par l’assassinat de R. Hariri dans un attentat au camion piégé, car la victime avait ouvertement demandé le retrait de l’armée syrienne du Liban la considérant comme une armée d’occupation. Après cet attentat, c’est le tour d’un grand nombre de partisans de Hariri, d’être assassinés. Cela a plongé le pays dans une crise politique rappelant celle des années 1970 et les autres crises qui ont secoué le pays bien avant. Les services secrets syro-libanais y compris ceux du HA ont été pointés du doigt.

Dans cette crise, deux nouveaux clans se sont formés, qui n’ont rien à voir avec ceux du passé. D’un côté, le clan pro-syrien (composé principalement des deux partis chiites Amal et HezboAllah), de l’autre, le clan anti-syrien regroupant sunnites, druzes et chrétiens et qui réclame le départ des forces syriennes. Des élections législatives ont eu lieu entre le 29 mai et le 19 juin, et la coalition Hariri a obtenu une petite majorité de 72 sur 128 qui a été réduite à une minorité, à cause de la disparition de 4 députés dans des attentats meurtriers. Devant un tel climat d’insécurité, les Etats-Unis et la France ont dépêché des experts en sécurité, qui ont remis leurs conclusions à l’ONU en faisant état d’implication directe des services de renseignement syriens et libanais. L'amplification de la crise entre 2006 et 2008.

Dès son retour au Liban après son exil en France, M. Aoun a créé le CPL (Courant patriotique libanais) qu’il a aiguillé vers un terrain d’entente avec le HA, mais les accords de Taëf considèrent le HA comme un groupe armé ayant le rôle de mener une guerre de libération contre Israël et non pas comme un parti politique. Son entrée dans la scène politique par le CPL va encore aggraver la crise politique, surtout lorsque celui-ci a capturé deux soldats israéliens. Cette opération a déclenché des hostilités avec Israël, qui a bombardé des secteurs stratégiques y compris ceux de nutrition. Ces hostilités sont arrivées à leur paroxysme lorsqu’un bâtiment à Cana a été détruit provoquant la mort de dizaines de personnes dont presque la moitié étaient des enfants. L’absence de majorité parlementaire va faire son effet quand le président E. Lahoud a fini son mandat, et qu’un nouveau président devait être élu, ce qui a laissé ce poste vacant pendant six mois. Dans ce climat, une nouvelle fracture est apparue dans le champ politique libanais.

Tout a commencé lorsque le gouvernement a dépêché le directeur général de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth qui a ordonné le démantèlement du réseau de télécommunication du HA. Dans un discours virulent, son secrétaire général a qualifié cet acte de déclaration de guerre du gouvernement de F. Assanioura qui a refusé de reculer, et de violents affrontements ont éclaté à Beyrouth entre les milices du HA et l’armée libanaise sécurisant les secteurs gouvernementaux . Les milices ont attaqué le siège du CF, des membres du gouvernement ont été encerclés et la maison de S. Hariri attaquée par des roquettes. Même au MontLiban, des échanges de tirs ont eu lieu entre les combattants de Joumboulat et ceux du HA, et ont dégénéré en affrontements sanglants. C’est une nouvelle guerre civile qui a duré de 2006 à 2008, lorsqu’en 28 mai le Qatar entre en ligne, afin de rassembler les antagonistes à Doha, en vue de conclure un accord (dit Accord de Doha), portant sur la décision d’élire un président consensuel et de former un gouvernement d’union nationale, en attendant les élections de 2009.

L’après-élections législatives de 2009

Depuis l’année 2009, plusieurs événements se sont succédé, accentuant la crise libanaise qui a dégagé deux nouveaux clans qui se sont opposés, le clan sunnite-druzechrétien et celui formé par les deux mouvements chiites et le CPL. Les élections de 2009 ont donné au CF 71 sièges et 57 à la coalition chiite et CPL. Toutes les tentatives de formation d’un gouvernement par S. Hariri ont été vouées à l’échec. Dans un ordre chronologique, les événements suivants se sont succédé :

 -Najib Mikati a formé un gouvernement le 13 juin 2011 qui n’a pas fait long feu.
- Depuis 2012, avec la crise syrienne, le Liban souffrant déjà de ses tensions intercommunautaires, s’est trouvé affecté par cette crise.
Le Liban abritant un flux de plus de 2 millions de réfugiés syriens, a du mal à les gérer, d’autant plus qu’il est devenu la base des insurgés de l’ALS (Armée libre syrienne), tandis que les milices du HA opèrent en Syrie en appuyant le régime syrien.
- En 2014, après 330 jours de négociations, le gouvernement Tammam Salam est mis en place, et le Parlement n’est pas renouvelé depuis 2009.
- Le 31 octobre 2016, M. Aoun est élu président de la République libanaise avec le soutien du HA. Des élections législatives ont eu lieu le 6 mai 2018, dont le grand nombre de sièges est revenu aux formations politiques principales, à savoir le CPL avec 29 sièges, le CF (20 sièges), le mouvement Amal (16 sièges), les Forces libanaises (15 sièges) et le HA (13 sièges).

Même avec un tel résultat électoral, toute la classe politique aspire à voir Hariri comme chef du gouvernement grâce à son rôle dans la stabilisation de l’économie, et sa capacité à attirer les investisseurs. Il est qualifié de plaque tournante, de tampon entre l’Occident riche et le camp pro-iranien semant terreur et destruction. Jusqu’à un certain degrés, Hariri fait les affaires du HA, car il permettait à ce dernier de jouer son rôle sans être dérangé, en Irak, en Syrie et au Yémen, jusqu’à ce qu’une grave crise économique s’est fait sentir, et que des centaines de milliers de Libanais ont réclamé le départ de toute la classe politique.

Par Abdelkrim Nougaoui
Enseignant-chercheur à Oujda
A suivre V- Le Hezbollah, un Etat dans l'Etat


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