Nouvelles appréciées de la littérature arabe Tayeb Salih : Le palmier Oud Hamed (5)


Libé
Lundi 18 Août 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe   Tayeb Salih : Le palmier Oud Hamed (5)
Tayeb Salih est un écrivain soudanais né en 1929 à Markaz Marawi dans l’Ach Chamaliyah, au nord du Soudan et mort le 18 février 2009. Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains arabes avec  Taha Hussein et Naguib Mahfouz.
Venant d’un milieu modeste et composé essentiellement par des agriculteurs, il avait l’intention d’aider sa famille dans l’agriculture et pensait faire des études d’agronomie ou travailler dans les champs. Mais le destin en a voulu autrement. Pour lui, il n’aurait jamais écrit s’il n’avait pas quitté son pays.
Il poursuit ses études supérieures à l’Université de Khartoum pour les 
achever à l’université de Londres en Angleterre. Il travaille comme enseignant et rejoint ensuite la section arabe de la BBC à Londres.
Ses œuvres ont été traduites dans plus de 30 langues. La plus célèbre est « Saison de la migration vers le nord »  qui est considérée comme un chef-d’œuvre de
 la littérature arabe contemporaine. Il a reçu le prix de la troisième rencontre du Roman arabe.
Oh ! Ce dos me fait mal depuis une semaine ! Qu’est-ce que cela pourrait être à ton avis mon fils ? Je sais cependant que c'est l'âge... Ah si jeunesse savait. Je mangeais  quand j’étais jeune la moitié d'un mouton au petit déjeuner, et au dîner, je buvais la production en lait de cinq vaches. Je portais un sac de dates d'une seule main, et menteur celui que prétendait me battre au cours d'un combat. On m'appelait le crocodile.
Au cours d’une nuit, j'avais nagé dans le Nil, poussant de ma poitrine une barque chargée de blé vers l’autre rive. Quand quelques hommes qui se trouvaient là-bas me virent, ils jetèrent leurs effets de peur, et prirent la clef des champs. Je leur criais : « O gens, qu'est-ce que vous avez? Puisse Dieu vous maudire ! Vous ne me reconnaissez pas? Je suis le crocodile.  Vous avez peur vous ?  Vous, avec vos visage si laids qu’ils terroriseraient même les diables, vous avez peur !».    
Tu m'as demandé mon fils, ce que nous faisons quand nous tombons malades? Oui, je ris par ce que je sais ce qui se passe dans ta tête. 
Vous les habitants du Banadir, vous accourez vers l'hôpital  pour la moindre chose.
Si l'un d'entre vous a une blessure bénigne au  doigt, il se précipite chez le médecin. Il l'enveloppe dans un pansement et le suspend à son cou plusieurs jours. Il ne guérit pas pour autant. Une fois, alors que je travaillais dans mon champ. Soudain, je sentis une sorte de morsure au doigts. C’était à l’auriculaire. Je me levai et me mis à fouiller dans l'herbe. J’y tombai sur un serpent tapi tranquillement. Je te jure qu'il était aussi long que mon bras que voici. Je le pris de la tête et l'écrasai entre mes doigts. Je suçai alors le sang du doigts mordu et le frottai d'une poignée de terre.
Puisque ce ne sont là que des incidents sans importance, que faisons nous quand nous sommes devant des incidents graves. Une fois, notre voisine eut à la gorge  une inflammation qui lui fit garder le lit durant deux mois. Une nuit, lorsque sa température dépassa les limites de la normale, à cause de la fièvre, elle se réveilla à l'aube et se traîna malgré elle jusqu'à ce qu’elle arrivât au... Oui mon fils, elle se dirige vers le palmier Oued Hamed. Elle nous raconta son histoire :
"J'étais debout au pied du palmier avec à peine la force de me tenir sur mes pieds. Je criai alors de toute mon énergie:
"Oued Hamed, j'ai accouru vers vous, demandant votre secours, je m'enfermerai chez vous, je dormirai là dans votre mausolée, au pied de votre  palmier, tuez-moi, ou donnez-moi la vie, je ne quitterai les lieux que dans l’un ou l’autre des deux cas".
Et la femme de continuer son histoire:
«Je me suis recroquevillée tout en ayant peur. Heureusement, j’ai dormi aussitôt. Seulement, pendant que je m'assoupissais, j'entendis des voix lire le Coran. Soudain, une lumière forte semblable à la lame d'un couteau se répandit jusqu'à atteindre les deux rives. Je vis alors le palmier s’agenouiller. Mon cœur palpita tellement fort qu'il faillit me sortir  par la bouche. Je vis alors un vieillard l’air respectable, la barbe blanche et les habits propres se diriger vers moi, avec un sourire aux lèvres. Il me donna de son chapelet une tape sur la tête, me poussa et dit : «Lève-toi!».
Je vous jure que je me suis levée, sans m’en rendre compte. Je suis arrivée chez moi à l’aube, sans savoir comment. J’ai réveillé mon mari, mon fils et mes filles. J’ai dit à mon mari : allume le feu et mets l'eau bouillir. J’ai demandé à mes filles de lancer des youyous et tout le village est  accouru chez nous. Je vous jure que depuis, je n'ai jamais eu peur, et je ne suis jamais tombée malade».
Oui mon fils, nous sommes des gens qui ne prennent pas les chemins des hôpitaux, quand il s'agit de petits incidents comme les morsures de scorpion, la fièvre, les torsions ou les fractures. On garde le lit jusqu'à la guérison. En cas de gros problèmes, nous recourons au palmier.
Aimerais-tu mon fils que je te raconte l'histoire d'Oud Hamed, ou préférerais-tu dormir? Les habitants de Bandar se couchent tard la nuit. C'est ce que je sais sur eux. Quant à nous, nous nous couchons au moment où les oiseaux rejoignent leurs nids, où les feuilles des arbres ne bougent plus, les poules couvent leurs poussins sous leurs ailes  et les chèvres s'allongent sur un seul flanc pour ruminer ce qu'elles ont  englouti au cours de la journée. Nulle différence, mon fils, entre nos animaux et nous. On se réveille quand ils se réveillent,  et on ferme les yeux quand ils les ferment ; et nous respirons au même rythme.


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