Nouvelles appréciées de la littérature arabe Tayeb Salih : Le palmier Oud Hamed (4)


Mustapha Hogga
Samedi 16 Août 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe   Tayeb Salih : Le palmier Oud Hamed (4)
Tayeb Salih est un écrivain soudanais né en 1929 à Markaz Marawi dans l’Ach Chamaliyah, au nord du Soudan et mort le 18 février 2009. Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains arabes avec  Taha Hussein et Naguib Mahfouz. Venant d’un milieu modeste et composé essentiellement par des agriculteurs, il avait l’intention d’aider sa famille dans l’agriculture et pensait faire des études d’agronomie ou travailler dans les champs. Mais le destin en a voulu autrement. Pour lui, il n’aurait jamais écrit s’il n’avait pas quitté son pays. Il poursuit ses études supérieures à l’Université de Khartoum pour les 
achever à l’université de Londres en Angleterre. Il travaille comme enseignant et rejoint ensuite la section arabe de la BBC à Londres. Ses œuvres ont été traduites dans plus de 30 langues. La plus célèbre est « Saison de la migration vers le nord »  qui est considérée comme un chef-d’œuvre de la littérature arabe 
contemporaine. Il a reçu le prix de la troisième rencontre du Roman arabe.
Je regardai autour de moi, et vis un homme ayant de beaux traits, avec une barbe blanche, touffue, couvrant sa poitrine. Il portait des habits d'une blancheur claire, et tenait à la main un chapelet en "cahramane". Il posa sa main sur mon front et dit :
 "N'aie pas peur!", Je me calmai, je jetai un coup d’œil autour de moi, et remarquai que la plage s’élargissait  et  que l'eau coulait tranquillement à ma droite. Je vis des champs de blé mûr,  des fontaines,  des vaches broutant de l'herbe.  Sur la rive, je vis le palmier Oud Hamed ! La barque s'arrêta au pied du palmier. L'homme en descendit avant moi. Il attacha la barque, et me tendit la main pour m'aider à mettre pied à terre. Il me tapa doucement sur les épaules avec son chapelet, et ramassa du sol un palmier nain qu'il me déposa dans la main. Je me retournai, et ne vis plus trace de lui.  Et l’amie de cette femme de lui dire  alors :
"C'est Oud Hamed. Tu tomberas malade au point de frôler la mort, mais tu guériras, tu dois une offrande à Oud Hamid que tu déposeras au pied du palmier".
Ainsi, mon fils, pas un seul homme, ou une seule femme, un vieillard ou un enfant qui ne fasse un rêve la nuit sans qu'il voie, quelque part dans son rêve, le palmier d'Oud Hamed.
 Tu me demandes pourquoi on l'appela le palmier Oud Hamed ? Patiente un moment ! Prends un autre verre de thé !
Au début de l'indépendance, un fonctionnaire de l'Etat était venu nous informer que le gouvernement pensait nous construire un port pour le stationnement d'un  bateau. Il nous dit également que le gouvernement national avait l'intention de nous aider à évoluer. Il était enthousiaste et nous  parlait, le visage épanoui. Il regarda autour de lui, et remarqua que les visages qui l'entouraient ne répondaient pas à sa proposition. 
Nous mon fils, nous ne voyageons pas beaucoup. Mais quand nous décidons de nous déplacer pour une affaire importante, à savoir l'enregistrement d'une terre, ou  un divorce, on enfourche nos ânes pour tout un après-midi; puis une fois arrivé au village voisin , on prend le bateau. On s'est habitué à cela; c'est plutôt pour cela que nous élevons des ânes. Il n'est pas étonnant alors que le fonctionnaire ne remarquât rien sur les visages qui prouvât qu'ils étaient contents de la nouvelle. Son enthousiasme se relâcha, et ses propos ne furent plus que des balbutiements. Après un moment de silence, quelqu'un lui demanda : "Où pensez vous construire le port?"
Et le fonctionnaire de lui répondre qu'il ne se trouvait qu'un seul endroit convenable : celui où pousse le palmier. 
Si à ce moment-là tu avais emmené une femme  toute nue et que tu l'avais plantée là au milieu de ces gens, ils n'auraient pas été plus ébahis que lorsqu'ils entendirent la réponse du fonctionnaire. L'un d’entre eux s’empressa de lui dire : «Le bateau passe d'habitude par ici le mercredi. Si vous construisez une station ici, il accostera chez nous le mercredi après-midi». Le fonctionnaire dit à son tour que l'heure où le bateau abordera sera fixée effectivement à  quatre heures de l'après midi chaque Mercredi. L’habitant  rétorqua: "Mais c'est le moment où chaque semaine nous prenons nos femmes et nos enfants pour visiter le mausolée de Oud Hamed, près du palmier, et présenter nos offrandes». Le fonctionnaire rit et nous proposa alors de changer donc de jour de visite!
Si le fonctionnaire avait dit à ces gens qu'ils n'étaient tous que des bâtards, il ne les aurait pas offensés comme il l’avait fait avec sa proposition. Ils se lancèrent  sur lui tel un seul homme et se mirent à le lyncher. Sans mon intervention, il serait mort. Je l'arrachai à leurs ongles, le mis sur le dos d'un âne et lui dis : «Sauve-toi!».
C'est ainsi que le bateau n'accoste jamais chez nous. A présent, quand nous sommes contraints de nous déplacer, nous le faisons à dos d’âne pendant tout un après-midi  et nous prenons  le bateau au  village voisin. Il nous suffit de visiter le mausolée de Oued Hamed en compagnie de nos femmes et nos enfants, et que nous égorgions nos offrandes le mercredi, comme le faisaient avant nous, nos parents, grands-parents et nos aïeux.
Accorde-moi une minute mon fils, il faut que je fasse la prière du "soir". On dit que le soir est  un étranger, si tu n'arrives pas à temps, tu le rates..." Hommes saints, j'atteste qu'il n'y a point d'autre divinité que Dieu et que Mohamed est son Messager et son Prophète, que la paix et la miséricorde de Dieu soient sur vous". Que la paix et la miséricorde soient sur vous".


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