coupée», parue dans le supplément culturel du journal Al Moharrir, au cours des années 70, et son recueil «L'équarrissage». Devant le juge, mon cas se révéla complexe! Experts, conseillers et juges se trouvaient tous devant un dilemme. Ni les textes, ni la ruse, ni la violence ne leur furent d’un quelconque secours. Le responsable de la ville arriva. Il portait des gants blancs, en soie. Il jouait au diplomate respectable en me demandant:
«Ne crois-tu pas que ce que tu fais là est de la provocation, toi dont la tête est coupée? Tu viens de loin pour exciter les gens en leur racontant tes rêveries et tes hallucinations rouges ! Ignores-tu la loi?»
Je ne voulais pas dialoguer longtemps. Je dis brièvement :
"Je suis venu chercher mon cadavre, on m'a appris qu’il se trouvait au Sud".
"Comment te laisses-tu prendre par la ruse alors que tu es extrêmement intelligent selon les rapports concernant tes déplacements à Jamaâ El Fna.
«Les masses me séduisent, j'ai toujours estimé que c'est des coquilles dissimulant une énergie extraordinaire. Pourquoi veillez-vous à ce qu'elles continuent à somnoler dans leur oisiveté? Il ne me reste plus que la langue, et je me suis dit : voyons ce que peut encore faire ce morceau de chair».
«- Tu joues avec le feu».
- Vous savez que la mort m'a traversé sans réussir à m'atteindre.
Un jeune homme élégant, pressé, arriva, et chuchota quelque chose à l'oreille du représentant des autorités. Celui-ci s'adressa à moi de nouveau :
-«Tu as des revendications précises?»
-"Je voudrais avoir ma propre halka pour parler aux gens".
-"Votre demande est refusée ; on te jugera"
- "Je suis supposé être mort !"
Il sourit aussitôt comme s’il avait trouvé la solution idéale.
"Dans ce cas, nous convoquerons l'un de nos magistrats décédés pour te juger»
Je restai dans la cage à attendre. De temps en temps, les échos des vivats parvinrent jusqu'à moi:
«Vive l'homme dont la tête est coupée!"
Je ne sus combien de temps j'ai sommeillé. J’ouvris les yeux effrayés par un faisceau de lumière qui me submergea, provenant d'un projecteur orienté vers la cage. Les pas se succédaient, et la salle s'emplissait de nombreuses personnes éminentes, portant uniformes et décorations. Le gouverneur affichait le même sourire froid et inquiet. Je ne cessais de fixer tout ce beau monde calmement. Un moment après, quelqu'un annonça à voix haute:
- Son éminence le pacha Bel Baghdadi est dérangé pour l’occasion dans son gîte pour trancher dans l'affaire de l'homme dont la tête est coupée".
L'idée me plut. J'éclatai de rire, décontracté. Au moins, ils savent surmonter leur faiblesse. La sagesse des aïeux est plus forte que leur intelligence. Ça ne fait rien ! Remettons-nous en à la décision du sage, délégué par le Makhzen!
Je ne sais pas ce qu'on lui raconta au sujet de mon crime. Ils ajoutèrent certainement à la liste les trahisons de son fils le jour même de l'indépendance. Ma conscience était tellement éveillée qu’elle ne me permettait pas le jeu du dialogue et de l’ironie. L'envie de survoler me reprit, et je regrettai de ne pas avoir essayé de m'échapper au moment du danger.
Le pacha caressa sa barbe, plongea les doigts dans ses poils blancs tout en paraissant fier du service rendu au Makhzen de l’après indépendance et prononça enfin avec assurance son verdict :
"Puisque vous avez le cadavre, remettez la tête où elle était et coupez la langue".