Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Les ennemis (3)


Traduit par Sahraoui Faquihi
Lundi 21 Juillet 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Les ennemis (3)
    
Le grand écrivain et  nouvelliste syrien, Zakaria Tamer, a commencé sa vie en tant que forgeron acariâtre à la cité Albatha. De là, cigarette habituelle à la bouche, toujours secoué par sa toux perpétuelle, il se lança dans le domaine de l’écriture. Il ne quitta point son métier d’origine. Au contraire, comme dirait plus tard son compatriote le poète Mohamed Elmaghote, il restera toujours le forgeron acharné qu’il était, mais dans une patrie en poterie. Ainsi ne tardera-t-il pas à tout renverser. Rien ne lui résistera sauf les cimetières et les prisons parce que fort protégés.
Il publia de nombreux recueils de nouvelles que les critiques et essayistes considèrent parmi les meilleures nouvelles de la littérature arabe. Nous avons choisi la nouvelle intitulée «Les  Ennemis» extraite  du recueil : «Les tigres au dixième jour », publié par Dar Aladab Beyrouth. 
 
17-Les responsables. 
Le policier s’accouda sur le parapet  longeant le fleuve  et cria d’une voix grossière ; -«Toi, fleuve !»
-«Qui m’interpelle ?»
-«C’est moi qui t’interpelle !»
-«Et qui es-tu ?»
-«Je suis le policier»
L’eau du fleuve trembla. Le policier ajouta :
-«Si tu tiens à ne pas être expulsé, et vivre le restant de ta vie en exil, tu dois t’engager par écrit à ne jamais te mêler de politique»
-«Mais  la patrie est mienne !» 
  Le policier demanda grossièrement :
-«Tu veux aller en prison?»
Le fleuve s’exécuta, déclarant obéissance et fidélité aux responsables.
 
18-Pour une patrie qui satisfait les touristes.
A qui de droit :
Nous les créatures humaines sales qui habitons dans les ruelles sombres demandons ce qui suit :
1-Qu’on nous permette de marcher nus pour économiser le prix des vêtements, et pour donner l’occasion à nos corps de profiter de l’air et de la lumière.
2-que les hôpitaux de l’Etat nous fassent une ablation de l’estomac qui perturbe notre vie ; perturbation qui ne sert à la patrie en rien.
3-Qu’on nous coupe la tête, parce que nous sommes sûrs que ce qui pousse le citoyen à trahir c’est l’œil qui regarde, l’oreille qui écoute, la langue qui parle, le cerveau qui pense ou qui ne pense pas. 
 
19- Les chaînes des morts.
On racontait qu’un homme aima une femme, et qu’elle refusa de l’épouser. Il lui demanda étonné :
-«Comment refuses-tu de m’épouser alors que tu ne cesses de répéter que tu m’aimes?»
La femme répondit :-«Certes, je t’aime, mais tu es d’une famille qui n’inhume jamais ses morts, depuis son premier aïeul. Comment veux-tu que je vive avec toi dans une maison qui déborde de morts?»
L’homme réfléchit quelques instants puis il dit :«Tu as tout à fait raison. La place des morts est dans le cimetière et non pas à la maison».
Il entreprit de creuser un large fossé pour enterrer tous ses aïeux. Malheureusement les fantômes des aïeux et des ennemis l’attachèrent avec des chaînes et l’enterrèrent dans le fossé qu’il avait creusé.
La femme ne pleura point son homme.  Elle affûta son épée et attendit sans désespérer son retour pour qu’il combatte les aïeux et les ennemis. 
 
20-Soleils et lunes. 
Un peureux vivant vaut mieux qu’un  téméraire mort.  Baise la main forte et demande secrètement  au bon Dieu qu’elle soit cassée. Si ton intérêt  est entre les pattes d’un chien appelle-le Sir le chien.
- Sois le premier à obéir et le dernier à se révolter. Celui qui ne se fait pas obéir n’a pas d’opinion. Si la parole est d’argent et le silence est d’or. La sobriété est un trésor inépuisable. Le jaloux est éternellement insatisfait. Soumets-toi aux ordres et obéis aux supérieurs. Ceux qui persistent sur  le chemin arrivent tôt ou tard.  
 
21-Les petits rient.
Un jour, le roi vit quelques enfants jouer tout en riant gaiement  au milieu des champs. Il leur demanda pourquoi ils riaient. L’un des enfants répondit :
-«Moi, je ris parce que le ciel est bleu»
Un deuxième dit : «Moi, je ris parce que les arbres sont verts».
Un troisième dit :«Et moi je ris parce que les oiseaux volent».
Le roi jeta un regard sur le ciel et remarqua que ni les arbres, ni  les oiseaux ne riaient. Il comprit que les enfants se moquaient de sa majesté. Il revint à son palais et donna ordre d’interdire à ses sujets le rire. Les adultes obéirent, quant aux enfants, ils ne firent aucun cas de ses instructions et continuèrent de rire parce que le ciel est bleu, les arbres sont verts et les oiseaux volent. 
 
22-La corruption
Les gens du quartier organisèrent une assemblée générale où ils discutèrent  de la vie et de la religion. Un homme avec une barbe blanche leur déclara sur un ton réprobateur:
-«Nous ne fumes vaincus par nos ennemis que parce que nous nous sommes écartés des principes de notre religion. Sachez que cette défaite n’est autre qu’une punition et un avertissement ; une punition à cause de tous les péchés que vous avez commis, et un avertissement pour vous annoncer l’avenir malheureux  et catastrophique qui vous attend».
Un habitant du quartier s’écria :«Que faire ? Conseillez-nous !» 
Le barbu dit :«Revenez au bons principes de votre religion et demandez au bon Dieu de vous pardonner, et de vous réserver un meilleur sort».
Un autre dit :«Mais nous faisons la prière, nous observons le Ramadan, nous ne faisons de mal à personne et nous pensons au bon Dieu matin et soir».
Le barbu dit :«Ce que vous faites est insuffisant. Vous devez construire une mosquée où le nom de Dieu sera quotidiennement à l’honneur».
-«Mais la construction d’une mosquée demande des fonds et nous sommes pauvres».
Le barbu dit :«Malheur à vous ! Vous-vous excusez de ne pouvoir construire une mosquée en alléguant des prétextes, pendant que vous dépensez vos biens pour des futilités passagères. Celui qui préfère ici-bas aux bonnes grâces du bon Dieu connaîtra une fin tragique».
Les hommes baissèrent la tête, craintifs. 
Les habitants du quartier ne mangèrent guère à leur faim mais construisirent une mosquée avec une tour qui ressemblait à un javelot  sur le point de s’élancer à travers l’espace pour mettre en éclats les avions ennemis. 
 
 
A suivre


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